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Douze ans de journal posthume : Le Passé défini de Jean Cocteau

Douze ans de journal posthume : Le Passé défini de Jean Cocteau

Publié le par Emilien Sermier (Source : Pierre-Marie Héron)

Douze ans de journal posthume : Le Passé défini de Jean Cocteau

Colloque international de Montpellier

15-16 octobre 2015

 

Sous le titre Le Passé défini, Cocteau tient de 1951 à sa mort en 1963 un journal personnel d'emblée placé dans la perspective du posthume, comme pour contredire la « mode absurde qui consiste à publier son “journal” de son vivant » et dont Gide serait l'initiateur : « Mode lancée par Gide. Mais la méthode gidienne consiste à feindre de tout dire pour cacher tout. Un journal n’existe que si on y consigne sans réserve tout ce qui vous passe par la tête » (22 février 1953). Commencée en 1983, l'édition en huit volumes de cet énorme opus de près de cinq mille pages s'est terminée en novembre 2013, pour le cinquantenaire de la mort du poète. Dans le prolongement de la première étude d'ensemble par Jean Touzot, publiée en même temps que le huitième et dernier volume du journal (Cocteau à cœur ouvert, éditions Bartillat, 203 p.), le colloque de Montpellier se propose d'explorer à plusieurs voix ce monument d'écriture des douze dernières années du poète, pour lui-même et en relation avec l'activité littéraire, artistique et médiatique qui accompagne sa rédaction.

La vie du poète s'y donne à lire dans la société de ses pairs, lecteurs, amis, mécènes et familiers ; dans ses préoccupations d'écriture, d'édition et de posture(s) publique(s) ; dans sa culture et ses lectures, ses idées et opinions, ses goûts et dégoûts, sa relation au corps, au désir, au rêve ; dans ce qui fait son pain quotidien et son actualité médiatique ; dans ses souvenirs ; dans ses hauts et ses bas, ses reliefs et ses routines. Tout cela mériterait d'être regardé de plus près, comme il serait nécessaire d'étudier de plus près l'objet « journal » intitulé Le Passé défini, dans sa matérialité (des manuscrits et leurs pièces jointes à l'édition et ses options, qui ont évolué au fil des volumes), ses rythmes, cycles et rituels d'écriture, les fonctions variables que Cocteau lui donne au fil des ans, ou encore ses confrontations avec différents repoussoirs ou modèles (Gide, Valéry, Kafka, Green, Hugo, Chateaubriand, Nietzsche…). Car si le poète veut au début faire bref, proscrire le « bavardage » et comme sculpter sa vie quotidienne en la réduisant à l'essentiel, il laisse ensuite son journal devenir autre chose : un emploi du temps, un atelier de textes, « un bon vide-poches » (21 août 1955), un remède à la solitude, un tiroir à secrets, un lieu de pensée en liberté, un défouloir, et surtout, peut-être, la chambre d'écho d'une apologie de soi sans cesse reprise, demandant justice à la postérité pour son œuvre et son génie, certes salués à l'étranger mais si mal reconnus dans son pays.

Considérant ce mouvement d'une écriture sans cesse en dialogue (d'amitié ou de procès) avec autrui, on peut aussi se demander ce qui survit dans Le Passé défini de l'ambition de connaissance et de perfectionnement de soi qui, de Benjamin Constant et Stendhal à Gide, Green ou Jouhandeau, anime le genre. Un des grands intérêts de la forme « journal » n'est-il pas précisément de permettre à son auteur de se découvrir toujours un peu autre et ailleurs que là où lui-même se voit, en notant les mobilités, variations et parfois contradictions de son âme, les courants et bifurcations imprévues de ses pensées, de ses humeurs, de ses rêveries, de sa vie et des événements ? Car il y a dans le principe même de l'écriture journalière une capacité d'invention de soi aussi forte en principe que sa pente à susciter et entretenir une certaine bêtise de la pensée, faite de déjà-dit et de déjà-vu.

On n'oubliera pas non plus que, depuis la fin du XIXe siècle, tout journal d'écrivain est aussi travaillé par la question de son statut littéraire. « Puis-je faire du journal une œuvre ? » Barthes a consacré à cette question une « Délibération » fameuse en 1979, nourrie entre autres de sa lecture du Journal de Kafka. Cocteau l'aborde en poète qui met la poésie en toutes ses occupations et dans tous les genres. Poète, c'est-à-dire sensible « aux choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement », exact dans la pensée et dans le style (« Soigner sa pensée, la manier, la mettre en relief, c'est soigner son style »), et doué du privilège de « toucher juste et plus loin que toute science », écrivait-il en 1922 dans Le Secret professionnel. Une « religion de la poésie » qui est aussi une « éthique » et commande « un style de l'âme » (10 octobre 1951), modélise Le Passé défini en profondeur, justifiant une approche proprement esthétique du journal, dont l'entreprise réservée pour la postérité demanderait dès lors à être située dans l'économie artistique et littéraire de Cocteau au cours des années de sa rédaction.

 

Ces pistes d'étude, et d'autres, peuvent faire l'objet de propositions de communication, à adresser à Pierre-Marie Héron (spm.heron@gmail.com) jusqu'au 30 juin 2015.

 

Éléments de bibliographie

1/ Sur Le Passé défini

El Gharbie (Rana), Les Journaux de Jean Cocteau, Thèse de doctorat sld Henriette Levillain, Université Paris-Sorbonne, 2012.

Touzot (Jean), Cocteau à cœur ouvert, Paris, Bartillat, 2013.

 

Boulangé (Guillaume), « Jean Cocteau au fil de l'onde », in Jean Cocteau. Pratiques du média radiophonique, Pierre-Marie Héron et Serge Linarès (dir), Caen, Éditions Minard / Lettres modernes, Revue des lettres modernes, Série Cocteau, n° 7, 2013, p. 111-121.

Burgelin (Claude), « Cocteau et son journal : le miroir aveugle », in Lire Cocteau, C. Burgelin & M.-C. Schapira (dir.), Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 31-45.

Ducrey (Guy), « Haine du journalisme », in Cocteau journaliste, P.-M. Héron et M.-È. Thérenty (dir.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Interférences », 2014, p. 157-168.

El Gharbie (Rana), « De la célébrité mondaine à la gloire posthume dans Le Passé défini de Jean Cocteau », Missile [revue de doctorants], n°1, septembre 2013, p. 3-7.

Lis (Jerzy), « Quelques réflexions sur le journal intime en France au XXe s. », Studia Romanica Posnaniensia, 17, 1993, p. 259-274.

Touzot (Jean), « Quand le crayon relaie la plume (les dessins en marge du Passé défini) », communication au colloque international de Salzbourg « Jean Cocteau. À la croisée des langages artistiques » (Autriche, 2-3 mai 2013), S. Linarès et S. Winter (dir.). Actes en préparation.

 

2/ Sur le journal personnel

Le Journal intime et ses formes littéraires, textes réunis par V. Del Litto, Genève, Droz, 1978.

Le Journal personnel, Philippe Lejeune (dir.), Nanterre, Publidix, 1993.

Les Journaux d'écrivains : enjeux génériques et éditoriaux, Cécile Meynard (dir.), Berne, Peter Lang, 2012.

Braud (Michel), La Forme des jours : pour une poétique du journal personnel, Paris, Seuil, 2006.

Didier (Béatrice), Le Journal intime, Paris, PUF, 1976.

Girard (Alain), Le Journal intime, Paris, PUF, 1963.

Lejeune (Philippe), Autogenèses (Les Brouillons de soi, 2), Paris, Seuil, 2013.

Lis (Jerzy), Le Journal d'écrivain en France dans la 1ère moitié du XXe siècle. À la recherche d'un code générique, Poznan, Wydawnictwo Naukowe UAM, 1996.

Marty (Éric), L'Écriture du jour. Le Journal d'André Gide, Paris, Seuil, 1985.

Pachet (Pierre), Les Baromètres de l'âme. Naissance du journal intime, Paris, Hatier, (1990), « Pluriel », 2001.

Rousset (Jean), Le Lecteur intime. De Balzac au journal, Paris, José Corti, 1986.

Simonet-Tenant (Françoise), Le Journal intime. Genre littéraire et écriture ordinaire, Paris, Téraèdre, 2004.