Actualité
Appels à contributions
Discours et poétiques de l'amour (Postures n° 22)

Discours et poétiques de l'amour (Postures n° 22)

Publié le par Marc Escola (Source : Louis-Daniel Godin)

Écrire, aimer. Je vois que cela se vit dans le même inconnu. Dans le même défi de la connaissance mise au désespoir.

 – Marguerite Duras[1]

 

Objet de préoccupations des plus anciens, l’amour semble avoir de tout temps constitué la pierre d’achoppement de la raison humaine. Parce qu’il s’entend comme le sentiment le plus grand et le plus puissant, il déborde du domaine du connaissable et échappe à toute intelligibilité. Il est de l’ordre tantôt de l’irrationnel, tantôt du spirituel et son expérience s’accompagne de doutes, d’abysses et de vertiges. S’il est impossible à saisir dans sa généralité, on a toutefois tenté de le cerner à travers ses manifestations singulières dans les arts et la littérature. 

L’amour, dans la philosophie platonicienne, s’envisage comme un mouvement de dévotion vers un idéal. Platon, dans Le Banquet, conçoit l’amour en relation à son objet et en tant que principe dialectique permettant le passage du sensible vers l’idéel. Dès lors, à l’amour des beaux corps succède l’amour des belles âmes afin mener, enfin, à la contemplation du Beau en soi. L’amour devient ici l’amour de la connaissance.

Pour toute une tradition chrétienne, l’amour est le principe fondateur de la communauté : Dieu est amour – Deus caritas est, comme l’a écrit Saint Jean – et l’amour, la charité, la tendresse deviennent les moyens de communion divine. À cet égard, le Cantique des cantiques, l’un des livres les plus poétiques et érotiques de la Bible, composé d’un assemblage de chants d’amour, est associé à la pratique de la mystique chrétienne qui trouve dans ces vers l’expression de l’amour divin. Thérèse d’Avila était par ailleurs reconnue pour ses transverbérations, ces moments d’extase qui la laissaient « embrasée d’amour de Dieu[2] ».

Même s’il renvoie à un certain savoir transcendantal, l’expérience de l’amour révèle plus souvent qu’autrement la faille dans le savoir et le logos. C’est ce que Roland Barthes soutient, dans Fragment d’un discours amoureux, alors qu’il comprend l’amour comme ce qui entraîne le langage dans les dérives de l’inactuel, de l’intraitable, comme ce qui provoque un désordre de langage dans la tête du sujet amoureux[3]. En ce sens, nous pouvons penser l’amour en tant qu’il est événement, tel que le définit Anne Dufourmantelle dans son ouvrage En cas d’amour, c’est-à-dire un point de résistance ou d’impact au réel, qui surgit et s’impose au sujet comme expérience de désappropriation de soi, de désaveu[4]. L’amour est ce contre quoi la raison et le langage se butent, ce qui les met en péril.  

C’est donc ce surgissement, cette déchirure, quelque part entre naissance et mort, qui donne lieu à cet espace tragique des Élégies romaines et des grands récits amoureux tels Tristan et Iseult et Roméo et Juliette, à celui de la poésie de Victor Hugo ou bien celle d’Emily et Charlotte Brontë. C’est aussi de là que se déploie l’œuvre de Marguerite Duras par exemple, ou bien de Camille Laurens, pour qui l’amour s’annonce à la fois comme motif et mobile d’écriture, et comme espace d’une certaine écriture des femmes.

Enfin, l’amour est source de désillusion, produisant par son idéalité des tentatives toujours répétées et à chaque fois inadéquates de son actualisation dans le réel. Milan Kundera apporte une réflexion en ce sens dans L’insoutenable légèreté de l’être lorsqu’il élabore sur le Kitsch, tandis que des auteurs tel que Frédéric Biegbeder, Michel Houellebecq, Chuck Palahniuk et Bret Easton Ellis, inscrivent dans la littérature contemporaine cette figure de l’ « égoïste romantique[5] » qui se caractérise par son incapacité, malgré un désir éperdu, de se commettre à l’amour.

 

C’est à partir de ces différents filons que nous vous invitons à réfléchir et à problématiser cette question de l’amour. Les textes proposés, d’une longueur de 12 à 20 pages à double interligne, doivent être inédits et soumis par courrier électronique, à l’adresse postures.uqam@gmail.com avant le 31 mai 2015. La revue Postures offre dorénavant un espace hors dossier pour accueillir des textes de qualité qui ne suivent pas la thématique suggérée. Les auteurs et auteures des textes retenus devront participer à un processus obligatoire de réécriture guidé par le comité de rédaction, avant leur publication.

 

[1] Marie-Pierre Fernandes, Travailler avec Duras, Paris, Gallimard, 1986, p. 145.

[2] Thérès d’Avila, Le livre de la vie, chapitre 29, < http://www.carmel.asso.fr/Les-graces-mystique-ch-25-a-29.html>, consulté le 2 mars 2015.

[3] Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Parie, Seuil, coll. « Tel Quel », 1977, p. 7.

[4] Anne Dufourmantelle, En cas d’amour : psychopathologie de la vie amoureuse, Paris, Payot, 2009, p. 220

[5] L’expression est tirée de l’ouvrage éponyme de Biegbeder.