Questions de société

"Dire publiquement nos vérités sur l'AERES", par A. Trautmann (SLR 27/05/09)

Publié le par Bérenger Boulay

Sur le site de SLR:

"Dire publiquement nos vérités sur l'AERES". Par Alain Trautmann, le 27 mai 2009

http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article2771

En mettant en place l'AERES, legouvernement avait annoncé qu'il allait améliorer considérablement laqualité et l'efficacité de l'évaluation du système d'enseignementsupérieur et de recherche (ES&R). Maintenant que l'AERES est enplace et a commencé à fonctionner, on peut commencer à juger sur piècesdu résultat.

Ce qui suit est la relation d'une expérience vécue trèsrécemment, et qui ne constitue qu'un exemple. Il serait sûrement utilequ'en réponse à ce texte, d'autres racontent leur propre expérience de l'AERES, afin qu'émerge une image plus globale de son fonctionnement réel.

Dans l'Institut mixte CNRS/INSERM dans lequel jetravaille ( 600 personnes, 4 départements, 40 équipes), tout a commencéau printemps 2008. Il fallait que pour fin juin nous ayons bouclé nosrapports et projets pour l'AERES, afin que ces documents soient viséssuccessivement par le directeur de l'Institut et le président del'université (Paris Descartes) à laquelle nous sommes rattachés. Sixmois plus tard, en décembre 2008, nous recevions les visites descomités AERES, un comité différent pour chaque département.

Pour le département où je travaille, ce comité étaitconstitué de collègues estimables, tels qu'on pouvait les rencontrerdans les comités de visite du CoNRS (Comité National de la RechercheScientifique) ou de l'INSERM. Dont un membre étranger. Tous avaient éténommés par l'AERES, et étaient très pressés et occupés. La visite s'estdonc effectuée au pas de charge (entre 1h et 1h30 par équipe), et pourdeux équipes du département que je dirige, 2 ou 3 des 8 experts étaientabsents pour tout ou partie de la présentation de l'équipe. Aucunreprésentant ITA dans le comité de visite, comme c'est de règle àl'AERES, alors que la question des ITA est sensible dans la plupart deslaboratoires.

Après cette visite, il a fallu attendre plus de 3 moispour avoir les rapports. En effet, le rapport du comité de visite doitêtre revu, visé et en partie reformulé par des responsables de l'AERES,qui supervisent plusieurs comités de visite sans pouvoir tous lessuivre in extenso. Ce petit groupe de scientifiques qui se sont engagés dans le NPM (New Public Management), ces nouveaux managersont un rôle absolument déterminant dans l'homogénéisation des rapportsdes comité de visite, dans la notation finale attribuée, équipe paréquipe (A+, A, B, C), et qui doit émerger de 4 notes (..). Voilà unexemple de la concentration des pouvoirs réels qu'on voit aujourd'huiàl'oeuvre un peu partout.

En principe, les équipes ont un droit de réponse(puisque l'évaluation est censée être contradictoire). Mais on nous afait comprendre que les seules réponses qui seraient prises en compteseraient des corrections d'erreurs factuelles indiscutables (sur lenombre de chercheurs par ex.). Le caractère contradictoire del'évaluation etait pour nous totalement fictif.

L'AERES ayant donc fonctionné comme une agence denotation hâtive plus que d'évaluation, a transmis ses notes et rapportsaux directions de l'INSERM et du CNRS. Dans ces organismes, descommissions se sont réunies (pour l'INSERM) ou vont le faire (pour leCNRS). La consigne reçue par les commissions INSERM était, sur la basedes informations reçues de l'AERES, d'effectuer un classement de toutesles unités et équipes de la discipline, sur toute la France. L'objectifest clair : la direction de l'organisme utilisera ce classement(éventuellement retouché) pour fermer un certain pourcentage d'équipes.10% ? 30% ? On n'en sait rien. Un membre de la commission INSERM avaitparticipé au comité de visite, mais, à cette exception près, lesrapporteurs pour chaque équipe n'avaient pas pu visiter les labos niparler avec les membres des équipes évaluées. Pour les 19 équipes del'Institut qui dépendent d'une même commission INSERM, le résultat estassez violent : 5 équipes classées A par l'AERES se retrouvent dans ledernier tiers des équipes classées par la commission, donc peuventcraindre d'être fermées !

Et maintenant, que va-t-il se passer ? Pendant leprocessus d'évaluation, les Instituts INSERM (auxquels on nous avaitdemandé de nous rattacher, ce qui pour un Institut multidisciplinaire,était un exercice kafkaïen), ces Instituts ont disparu, ils ont étéremplacés (avec les même intitulés et les mêmes directeurs) par desITMO (Instituts Thématiques Multi-Organismes ). Mais si les ITMO sontdes instituts inter-organismes, ils ne sont plus INSERM, donc nous nesavons plus très bien de qui nous dépendons. Il faut que nous neperdions pas pied dans ces sables mouvants. Que faire ? Passer descoups de fils à des personnes bien placées dans l'INSERM ou les ITMO ?Autrement dit, le piston, le réseau, comme étape ultime del'évaluation ?

L'AERES était censé améliorer la qualité, l'efficacité,l'indépendance de l'évaluation, et voilà où on en est. Dans le systèmeantérieur, les commissions INSERM et sections CNRS mettaient sur piedun comité de visite commun (avec éventuellement des experts étrangers),et ensuite les sections faisaient leur travail sur la base du rapportdes membres du comité de visite, toujours plusieurs, dont un membre ITA. Le système était plus simple, plus transparent, le même comitéévaluait les équipes et les personnes, ce qui était très logique etévitait un travail en doublon (alors que dans le nouveau système cesévaluations sont disjointes) et une partie conseil était toujoursincluse dans cette évaluation, qui était bien plus qu'une simplenotation/classement.

Avec le nouveau système, d'une complexité et d'uneopacité sans précédent, un an après avoir fait leur rapport, leséquipes sont toujours dans cette attente angoissée : allons-nouspouvoir continuer à travailler ? A quelle sauce allons-nous êtremangés ? De qui dépend cette décision ? Du président du comité devisite AERES ? Du petit groupe de scientifiques-managers-évaluateurs semi-professionnelsde l'AERES ? De la commission INSERM ? De la direction d'un ITMO ? Dela direction de l'INSERM ? De ses conseillers particuliers ou de quelsréseaux opaques ? Lorsqu'un système d'évaluation est aussi complexe etmal conçu, il n'y a aucun doute que l'essentiel des décisions serontprises in fine au plus haut niveau, par unepoignée de personnes en mesure d'exercer un pouvoir absolu sanscontre-pouvoir. Où est l'évaluation collégiale, contradictoire,transparente, qu'on nous avait annoncée ? Combien de mois faudra-t-ilattendre pour que la machine ait fini son travail ? En tous cas, nuldoute qu'elle va faire de la casse, y compris parmi des chercheursreconnus pour la qualité de leurs travaux.

Chers collègues, réveillez-vous ! Si le nouveau systèmen'apporte aucune amélioration mais au contraire détériore l'évaluation,l'opacifie en renforçant le pouvoir de quelques uns, il faut lerejeter. Il faut exiger un système d'évaluation réellement collégial,contradictoire, transparent. Une bonne base pour cela, ce sera le CoNRSet les commissions INSERM, structures qui ne doivent pas êtresupprimées, mais améliorées (par exemple pour garantir la qualité deleurs membres, ou pour améliorer le processus de recrutement, qui sefait aujourd'hui sur la base d'auditions beaucoup trop courtes, etc…).

Ce qu'ilfaut supprimer, c'est l'AERES. Le premier pas pour cela pourraitconsister à demander au Directeurs d'Unité de la vague A (les prochainsà être évalués), à ignorer l'AERES, à transmettre leurs dossiersd'évaluation au CoNRS et aux commissions INSERM. Et si la réunionplénière du CoNRS du 10 juin se faisait le relais d'une telle demande ?

Voilà les conclusions que l'on peut tirer d'un exemple de réalité vécue de fonctionnement de l'AERES. Et chez vous, c'était comment ?