Au fond d'une grotte, la silhouette d'un taureau, et celle d'un homme étendu, le sexe dressé : si Lascaux nous touche à ce point, c'est que l'humanité signe d'emblée sa présence par une image. Une « oeuvre d'art », ou tout au moins une oeuvre dans laquelle on démêle mal la dimension magique de l'intention esthétique, de sorte qu'il est difficile de comprendre à quelle sommation a pu répondre une telle re-présentation et re-création du réel.
Alors que dans la plupart des mythes d'origine la création du monde constitue un événement unique, et achevé, l'oeuvre d'art procède à une recréation continue. Mais alors que le Créateur fait surgir le monde ex nihilo, l'artiste, lui, use d'une glaise déjà pétrie, puisqu'il écrit avec les mots de la tribu.
Mimant le Créateur, l'artiste entretient donc commerce avec les vérités cachées. Détenteur de pouvoirs chamaniques, habité par la voix des dieux, poète voyant, poète prophète…, il est l'inspiré, dont la parole donne accès à l'autre versant du monde. Mais comme sa parole vient d'ailleurs, le poète transmet plus qu'il n'invente. Créateur, mais par procuration.
S'il veut se substituer au Créateur, l'artiste doit donc emprunter d'autres chemins : jouer les démiurges en façonnant des mondes parallèles, mais surtout inventer des formes inédites — voire des langues inouïes. En effet, dans un monde d'où les dieux se retirent, le poète prophète n'a plus sa place. Demeure un paysage émietté où le culte de la singularité — le moi en son irréductible différence — exige de l'auteur qu'il crée une oeuvre singulière, et donc que l'art, en rupture permanente, s'affranchisse des modèles. À la poursuite d'un rêve d'auto-engendrement.
Mais une telle prétention à re-créer ex nihilo relève de l'impossible. Dans un monde “fini”, la création est le produit d'une transformation : comme un texte procède toujours d'une filiation, son auteur est moins créateur que continuateur — imitateur, copiste, voire plagiaire. En littérature comme en art, l'acte créateur consiste donc à faire surgir le nouveau de l'ancien avec, à l'arrière-plan, l'idée que le monde est déjà saturé de textes et d'images, dont on ne peut offrir qu'une nouvelle combinatoire.
À la démiurgie des siècles précédents succède ainsi une forme d'épuisement, comme on le voit avec le motif de l'écrivain qui n'écrit pas, ou de l'artiste sans oeuvre, avec ces romans de romanciers en quête d'un livre à venir, ou l'idée selon laquelle l'oeuvre tourne autour d'un irreprésentable (« centre vide », « nuit sexuelle » ou mot interdit).
Peut-être convient-il alors de changer d'angle dans la mesure où l'oeuvre n'existe que dans la conscience d'un lecteur, élevé ainsi au rôle de co-créateur ou re-créateur.
Dictionnaire des Mots et concepts de la création
Entrées
(liste provisoire, susceptible de modifications)
Ouverture : Mythes fondateurs
*Theut ou l'invention de l'écriture
*Dibutade ou l'invention de la peinture
Véronique et son linge
*Isis et son voile
Pygmalion
*Thésée et son bateau, ou la recréation permanente
I) Au-delà
*L'enthousiasme
*L'invention
Le poète prophète
Le voyant
La folie
*Les Muses
*Les Sirènes
*La Pythie
*Orphée
II) Au-dedans
*Lascaux
La catharsis
Le cri
L'aphasie
La cécité
La censure
Le secret
Le récit de rêve
L'écriture automatique
L'auto-engendrement
*Deuil et mélancolie
*Psychanalyse et création littéraire
III) En deçà
*Le Grand Livre du monde
*L'arrière-texte
*L'innutrition
La paraphrase
*Le plagiat
*Le copiste
Le collage
Le mot juste
L'étymologie
La contrainte
L'iconoclasme
*L'indolence
IV) Hors champ
Le mot absolu
Le livre fictif
*La scène irreprésentable
*Le non écrivain (le créateur sans création)
*Le lecteur comme co-créateur
Epilogue
*Les mots de la création dans les abécédaires d'auteurs
N.B. Les notices accompagnées d'un astérisque sont déjà réservées
Consignes et calendrier
Chaque notice pourra compter entre trois et dix pages, selon l'ampleur de la question.
Elle procédera, si nécessaire, à un historique du problème de façon à cerner la problématique centrale, c'est-à-dire la façon dont est pensé l'acte créateur.
En plus des références d'usage (notes en fin de notice), chaque notice sera complétée par une bibliographie.
Calendrier :
Fin 2010 – début 2011: appel à contributions
Printemps 2011 : récapitulatif des contributeurs
Printemps 2012 : envoi des textes
Printemps 2013 : publication du Dictionnaire des mots et concepts de la création.