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Destructions et suites (L'éLaborée, n°1)

Destructions et suites (L'éLaborée, n°1)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Joan Grandjean)

"Destructions et suites" — L'éLaborée n°1

Argumentaire

Et Monelle dit encore : Je te parlerai de la destruction.

    Voici la parole : Détruis, détruis, détruis. Détruis en toi-même, détruis autour de toi. Fais de la place pour ton âme et pour les autres âmes.

    Détruis tout bien et tout mal. Les décombres sont semblables.

    Détruis les anciennes habitations d'hommes et les anciennes habitations d'âmes ; les choses mortes sont des miroirs qui déforment.

    Détruis, car toute création vient de la destruction.

Marcel Schwob, Le Livre de Monelle,1894, p. 16.

 

Toute création vient de la destruction. Telle est l'idée que souhaite aborder la revue du Laboratoire des Imaginaires, L'éLaborée, pour son premier numéro intitulé « Destructions et suites ». Depuis le XXè siècle, la perspective d'une destruction globale est au cœur de nombreuses préoccupations. Elle alimente angoisses et discours catastrophiques. De fait, les cultures de l'imaginaire tentent d'entrevoir ce qui est et ce qui sera. Elles nous permettent de lire, de jouer ou de philosopher d'autres mondes miroirs de notre réalité, de donner la parole à des vécus qui offrent un autre sens à la destruction. Si la destruction peut être collective, par exemple avec l'idée d'une apocalypse mondiale, elle peut aussi être individuelle, intime. Ces destructions et ces suites peuvent désigner autant la fin d'un monde que le choc brisant le corps ou l'esprit, ainsi que la rémission qui suit.

Lorsque nous pensons à la destruction et ses suites dans les cultures de l’imaginaire, il est difficile de ne pas évoquer le sous-genre du post-apocalyptique. Après qu'une catastrophe, qu'elle soit d'origine nucléaire, biologique ou pandémique, a anéanti le monde et les sociétés, que reste-t-il ? De nombreux récits de science-fiction s’emparent de cette interrogation, prenant place parmi les décombres fumants laissés par l’apocalypse. Ce cadre particulier permet d'envisager une esthétique qui lui est propre : planète jonchée de ruines ; nature ayant repris ses droits sur les villes ; déserts de sables percés par les sommets d’anciennes tours... Tous ces paysages marqués par la destruction offrent un miroir à l'humanité, ses peurs et ses dérives. Interroger les ruines, toujours riches en symboles, leurs formes et leurs sous-textes, permet de penser cette humanité déclinante. Tout comme le permet la mise en scène des survivant·e·s dans ce contexte unique.

Au-delà des décombres laissés par l'apocalypse, il y a la reconstruction. Se dessinent alors les plans de villes nouvelles : qu’il s’agisse de mégalopoles futuristes  – pensons à la Néo-Tokyo de Akira –, ou bien à ces amoncellements d’abris de fortune, tels ceux que l’audience joueuse arpente et explore dans la série Fallout. Là encore, les enjeux esthétiques sont cruciaux dans la représentation de la destruction et de son après. Ces derniers renvoient fondamentalement à des considérations éthiques quant aux angoisses humaines, et notamment aux grandes catastrophes ayant frappé le XXè et le XXIè siècles.

Il serait cependant erroné de penser que la science-fiction a le monopole de ces thématiques apocalyptiques. Dans Le Seigneur des anneaux, l'auteur fait s’abattre un cataclysme sur le peuple des Númenóréens, qui n'est pas sans rappeler le déluge biblique ou le mythe de l'Atlantide érigé par Platon. De cette catastrophe naîtront les royaumes d'Arnor et du Gondor, alors que les survivant·e·s parviennent à se réfugier en Terre du Milieu. Nous constatons, dans le cas présent, que la destruction et ce qui en découle s'inscrit dans une longue tradition littéraire et mythologique. Les cultures de l'imaginaire réemploient des topoï connus pour penser de nouvelles mythologies. Pensons également, en fantasy, au jeu Skyrim et à la civilisation perdue des Dwemer, dont l’audience joueuse est invitée à parcourir les vestiges.

 S'il est certain que la destruction globale s'approprie l'espace de notre imagination lorsqu'il s'agit de traiter une telle thématique, elle peut aussi relever d'une dimension intime. Certaines fictions abordent ainsi les destructions psychologiques et/ou physiques, ainsi que leurs implications. Ainsi, la littérature fantastique et horrifique a grandement contribué à faire du traumatisme psychologique un ressort narratif. Pensons aux personnages de H.P. Lovecraft et à leur psyché ravagée par des chocs existentiels, qui les détruisent autant qu'ils leur donnent accès à des réalités autres. Là aussi, il est donc bel et bien question d'une destruction menant à de nouvelles perspectives. Ce processus est abondamment utilisé dans la construction des personnages de comics, pensons par exemple à Batman, qui repose sur l'idée de renaissance au travers d'un traumatisme – ici la mort de ses parents.

Outre l'aspect psychique, un traumatisme corporel impactera également l'itinéraire d'un personnage. Le cinéma d'horreur – et particulièrement le body horror – a construit nombre de figures autour de l'idée d'une désintégration de la chair menant à une reconstruction trouvant sa source dans le mal, comme c'est le cas de Freddy Krueger dans Les Griffes de la nuit. La science-fiction s'est également intéressée à ce processus ; citons l'exemple de Robocop, policier devenu machine après avoir perdu la vie lors d'une mission. La question de la rééducation suite à un événement traumatique peut alors devenir centrale : comment, dans un univers où mystique et technologie sont différents, gère-t-on les conséquences psychiques et corporelles d'un tel processus ? L'on pensera, de facto, aux interrogations posées par le transhumanisme.

On pourra aussi se demander, par exemple, comment envisager l'effondrement du modèle capitaliste et ses répercussions. Selon le philosophe Slavoj Žižek, il est plus facile d'imaginer la fin de l'humanité que la fin du capitalisme, ce qui expliquerait l’essor actuel des récits eschatologiques. Le capitalisme est « ce qui reste quand les croyances se sont effondrées, ramenées au niveau de l'élaboration rituelle ou symbolique, et que seul demeure le consommateur-spectateur qui se traîne au milieu des décombres et des reliques[1] ». Cette destruction du sacré en faveur du « progrès » s'observe en fantasy lorsque d'anciennes idoles laissent place aux nouveaux mythes, un thème que développe, par exemple, Neil Gaiman avec American Gods. Ainsi, la « culture » religieuse est parfois très présente, et le sacré, loin d'être un simple décor, peut régir des univers fictionnels entiers. Y mettre fin entraîne alors le chaos et autres terribles répercussions. On peut ainsi penser au Dernier des héros de Terry Pratchett, qui pousse ses personnages dans une quête épique et carnavalesque visant à renverser les Dieux.

Comment, enfin, ne pas évoquer les systèmes alternatifs tels que pensés par l’anticipation et la science-fiction ? Citons les climate fictions de Kim Stanley Robinson, le best-seller Ecotopia de Ernest Callenbach, ou encore le cycle de l'Ekumen d'Ursula Le Guin. Le simple fait qu’un sous-genre tel que le solarpunk ait récemment émergé est lourd de sens à ce propos. Ce dernier témoigne du besoin de la collectivité de sortir du modèle capitaliste qui sombre dans la surenchère au détriment de l'environnement et de la survie des espèces. Fondamentalement optimiste, le solarpunk cherche à imaginer un futur positif à partir de l'état actuel de nos connaissances.

Lignes directrices

En plus des points évoqués plus haut dans l'appel, les propositions pourront s'inspirer des éléments suivants :

La destruction de l'écrit et ses suites : Les cultures de l'imaginaire ont beaucoup joué avec les codes littéraires et artistiques, les remaniant, les brisant pour en reconstruire de nouveaux. Il s'agira d'étudier ce jeu méta-artistique et d'en analyser les rouages ainsi que les enjeux quant à la question des genres. Aussi, il peut s'agir de briser la narration d'une œuvre, notamment grâce au principe du plot twist, qui fait basculer l’œuvre en prenant à rebours les attentes du lectorat ou du public.

L'imaginaire de la vie après la mort : Qu'advient-il après la destruction du vivant ? Nous pouvons penser ici à la figure du mort-vivant, du zombie, mais aussi à celle du fantôme, qui, après que la vie et le corps furent détruits, revient sous une forme nouvelle. L’au-delà se nourrit également des cultures de l’imaginaire qui, parfois, renouvellent des motifs religieux.

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Modalités de contribution

Il est vivement conseillé de consulter la définition des cultures de l’imaginaire proposée par l’association afin de vous assurer de la cohérence de votre proposition vis-à-vis de l’appel.

Vous pourrez la trouver à l’adresse suivante : https://lelaboratoiredesimaginaires.wordpress.com/about/

Au-delà des articles scientifiques, la revue L'éLaborée souhaite également laisser la place à des propositions axées sur la recherche en création, et plus particulièrement en création littéraire. Soumis à la même rigueur scientifique que les autres propositions, les écrits s'inscrivant dans cette discipline devront respecter un nombre de caractères similaires et être composés de deux parties : une création sur la thématique du numéro (70% de la publication) ainsi qu'un texte explicatif réfléchissant sur cette création et son lien à la thématique (30% de la publication). Les textes doivent, de fait, être originaux et ne pas avoir été publiés au préalable. La revue L'éLaborée publie des comptes rendus d'ouvrages académiques récents individuels ou collectifs, s'inscrivant dans le champ interdisciplinaire de sa ligne éditoriale.

Les propositions devront comporter deux documents : une proposition anonyme incluant un titre et un résumé de votre article de 1500 caractères (espaces compris), ainsi qu’un autre document comprenant votre nom, prénom, et votre bio-bibliographie (mémoire, éventuelles publications, etc.).

Concernant la soumission de comptes rendus, il est préférable de contacter directement le comité de rédaction de la revue. L'ensemble des propositions est à faire parvenir avant le 15 mars 2021 à l’adresse suivante : 

laboratoiredesimaginaires@gmail.com

Afin de faciliter le traitement des propositions, merci de nommer vos fichiers de la manière suivante : NomPrenom_Titre-de-la-communication_Proposition pour le premier document et NomPrenom_Titre-de-la-communication_Bio pour votre biobibliographie.

La réponse du comité éditorial sera donnée le 15 février. La publication aura lieu en septembre 2021.

L'association du Laboratoire des Imaginaires a pour vocation d'accompagner et favoriser la réussite des jeunes chercheurs et chercheuses. Nous souhaitons donc offrir aide et conseils aux personnes n'ayant jamais (ou peu) publié d'article.

Qui peut demander un accompagnement ? Il faut être en licence, master ou doctorat, et n'avoir publié que deux articles maximum.

Comment ça se passe ? Vous nous envoyez vos propositions avant le 22 janvier. Un retour critique vous sera fait par l'un·e des bénévoles de l'association (sur le fond et la forme) et vous aurez jusqu'au 8 février pour renvoyer une version amendée de votre proposition. Il faut préciser dans votre mail que vous envoyez votre proposition avec demande de correction à l'équipe du Laboratoire afin que la personne en charge de l'anonymisation puisse transmettre votre demande.

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Comité éditorial

Le Laboratoire des Imaginaires est une association étudiante de Rennes 2, fondée dans le but de valoriser les travaux de recherche des étudiant·e·s spécialisé·e·s dans les médias de l’imaginaire.

• Co-direction : Manon Tardy & Corentin Le Corre

• Direction d'édition : Corentin Le Corre

• Illustrations – graphisme : Solenn Deléon

• Maquettiste : Corentin Daval

• Communication : Marie Kergoat

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Comité scientifique

• Cécile Brochard, Maîtresse de conférences en littératures comparées à l'Université de Caen – Normandie.

• Frédéric Le Blay, Maître de conférences en langues, littératures et civilisations anciennes à l'Université de Nantes.

• Natacha Vas-Deyres, Maîtresse de conférences en littérature française à l'Université de Bordeaux.

• Manon Tardy, Doctorante en littératures comparées à l'Université de Bordeaux et l'Université de Nantes.

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Bibliographie indicative

AFEISSA Hicham-Stéphane, La fin du monde et de l'humanité. Essai de généalogie du discours écologique, Paris, Presses Universitaires de France, 2014.

BOURG, Dominique, Du risque à la menace : penser la catastrophe, Paris : PUF, 2013.

ENGÉLIBERT Jean-Paul, Apocalypses sans royaume : Politique des fictions de la fin du monde, XXe – XXIe siècles, Paris, Classiques Garnier, 2013.

ENGÉLIBERT Jean-Paul, Fabuler la fin du monde : La puissance critique des fictions d'apocalypse, Paris, La Découverte, 2019.

JAMESON, Fredric, Archéologies du futur. Le désir nommé utopie, trad. Nicolas Vieillescazes et Fabien Ollier, Paris, Max Milo, 2007, (« L’Inconnu »).

RUMPALA Yannick, Hors des décombres du monde. Écologie, science-fiction et éthique du futur, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018.

 

 

[1]FISHER,  Mark, Réalisme capitaliste. N’y a-t-il pas d’alternative ?, trad. Julien Guazzini, Genève, Entremonde, 2018, (« Rupture »).