Essai
Nouvelle parution
Desfontaines, Tragédies hagiographiques

Desfontaines, Tragédies hagiographiques

Publié le par Alexandre Gefen

Nicolas Mary, sieur Desfontaines

Tragédies hagiographiques : Le Martyre de Saint Eustache (1643), L’Illustre Olympie ou le Saint Alexis (1644) et L’Illustre Comédien ou le Martyre de Saint Genest (1645)

éditées et annotées par Claude Bourqui et Simone de Reyff

Les trois pièces présentées dans ce volume s’inscrivent dans l’effort de création d’une « comédie de dévotion » destinée à la scène publique et professionnelle, qui marque, en France, la décennie de 1640. A l’exception du Polyeucte et de la Théodore de Corneille, du Véritable Saint Genest de Rotrou, ces tragédies à sujet religieux sont encore mal connues, alors même qu’elles constituent un des phénomènes culturels les plus saisissants du XVIIe siècle français : la tentative de conciliation des impératifs du Ciel et du Monde, dans le domaine extrêmement litigieux de l’art théâtral, condamné par toute la tradition ecclésiale. 

 Le comédien auteur Desfontaines, associé à cette époque à l’Illustre Théâtre de Molière, a contribué de manière essentielle à l’essor des sujets dévots, en proposant, en l’espace de trois années, trois tragédies hagiographiques, s’attachant à des personnages de saints porteurs de significations diverses.  Si les deux premières pièces mettent en scène des figures de premier plan de l’hagiographie baroque (Saint Eustache et Saint Alexis avaient fait l’objet, parmi de multiples versions, de prestigieux spectacles musicaux donnés à la cour des Barberini à Rome), L’Illustre Comédien ou le Martyre de Saint Genest, en revanche, prend pour sujet le parcours d’un saint nettement moins réputé, mais éminent sur d’autres critères. Saint Genest est en effet le patron des gens de théâtre : la représentation de sa conversion et de son martyre, illustrant les vertus de l’activité « comique », est mise au service de la défense professionnelle.

L’édition procurée accorde une importance toute particulière à la mise en relation des trois tragédies avec le contexte jusqu’ici peu exploré de la dévotion baroque. Les introductions aux pièces et les notes qui les accompagnent ont pour préalable des enquêtes inédites sur les exploitations littéraires et dramatiques de la vie des saints en question, sur les controverses théoriques autour de la représentation scénique de la sainteté, sur l’utilisation commune de certaines références bibliques. De nombreux textes sont signalés et répertoriés à cette occasion : versions françaises et européennes des légendes d’Eustache et Alexis, traités théologiques, littérature dévote (les poésies religieuses d’Arnauld d’Andilly, ainsi que les élégies du poète néo latin François Remond, ont été amplement mises à contribution par Desfontaines). Les trois pièces se révèlent ainsi dans leur contexte éminemment intertextuel.

Cette mise en perspective autorise des ouvertures nouvelles sur la vogue de la « comédie de dévotion », sur la dramaturgie de la sainteté, sur la notion de martyre à l’époque baroque.

Mais surtout la recherche documentaire offre un éclairage inédit sur l’identité de l’auteur, jusqu’ici controversée. L’édition, procurant à nouveaux frais une synthèse biographique, fournit des éléments décisifs démontrant que l’auteur dramatique Desfontaines est bien le comédien de l’Illustre Théâtre. La première troupe de Molière a, de fait, contribué au développement d’un théâtre religieux sur la scène parisienne : révélation capitale, si l’on songe qu’elle concerne une période mal connue de l’histoire du plus grand auteur de théâtre français.