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Déplacer les frontières

Déplacer les frontières

Publié le par Université de Lausanne (Source : Laura Broccardo et David Couvidat)

Journée d’étude franco-américaine, le vendredi 17 juin 2016

« Déplacer les frontières »

Université Paris Diderot - Paris 7

 

« Qui est ouvert d'un costé l'est partout ; nos peres ne penserent pas à bastir des places frontieres [à faire des maisons fortifiées de tous les côtés] », Montaigne, Essais (III, 8)

 

La frontière a une réalité géographique et historiquement militaire. Le substantif proviendrait du provençal fronteira qui désigne d’abord le front d’une troupe militaire et, par suite, une place fortifiée faisant face à l’ennemi. Ce n’est qu’à la fin du XIVe siècle qu’il évoque une limite bordant un territoire. Depuis la révolution néolithique, sanctionnant le passage de l’homme nomade à l’homme sédentaire et, par conséquent, l’avènement de la notion de propriété individuelle, collective, puis nationale, les frontières n’ont cessé de se consolider et de se fortifier afin de protéger des richesses nouvellement accumulées.

Aux portes de l’Europe aujourd’hui, la délimitation des frontières est une question d’une actualité brûlante. La « crise » ou bien plutôt le drame que vivent des personnes redéfinies par – réduites à – leur statut de « migrants » nous rappelle chaque jour que la fermeture et l’entassement de populations aux frontières, de l’Europe ou d’ailleurs, ont des conséquences humaines et sanitaires qui dépassent de beaucoup les enjeux géographiques, militaires et politiques.

Notre expérience d’échange international, qui nous a conduits hors des frontières de la France et de l’Europe à la découverte d’un autre pays et d’un autre continent, nous donne non une légitimité, mais l’opportunité et la curiosité de revenir sur cette notion complexe et de l’éclairer à la lumière de nos recherches actuelles.

Si la frontière est toujours une limite, dont la définition oscille entre le naturel (limite qui détermine naturellement l’étendue d’un territoire) et le conventionnel (limite qui par convention sépare deux États), elle semble ne devenir pleinement elle-même que lorsqu’elle est désignée, nommée, tracée. Elle requiert donc un acte pour être portée à l’existence. Ce faisant, elle semble dès l’abord soumise à la contestation. Espace de lutte fondamentalement instable, elle englobe, autour de relations complexes entre dominés et dominants, des notions telles que conflit, révolte, rapports de force, impérialisme, révolution et militantisme. Autrement dit, le déplacement des frontières s'accompagne d'un projet de rétablissement d'un équilibre et de restauration d'une justice. En tant qu’elle marque un espace périphérique, la frontière peut alors conduire à une réflexion sur la marginalité. La limite est aussi un espace aux confins des possibles et aux limites de l’existence humaine. Les zones, villes ou provinces-frontières pourraient en ce sens être entendues comme un espace de résistance vis-à-vis d’une majorité ou d’une norme.

Tracé qui enserre un territoire, la frontière est enfin une interface entre deux réalités, un point de convergence, de rencontres et d’échanges. En rapprochant deux territoires, elle rappelle en effet que, s’ils se définissent par leurs limites respectives, ces territoires ne s’y réduisent pas et même s’entre-définissent. Les caractéristiques qu’ils présentent, loin de leur être intrinsèques, semblent ne devenir telles que lorsqu’elles sont considérées de l’extérieur – de l’autre côté de la frontière. Ne nous sentons-nous jamais autant Français dès lors que nous franchissons les frontières de l’hexagone ? Le poste-frontière, cette ancienne douane, peut se faire le lieu d’observation idéal des diversités identitaires. La frontière n’est plus alors celle à laquelle on se fait reconduire, qui se défend militairement et ne se viole jamais sans danger ; elle devient un espace de dialogues, de dépassement entre les cultures, les disciplines, les classes sociales et se franchit allégrement.

Passeurs de frontières aux trajectoires transnationales, nous sommes tous dans une certaine mesure des déplaceurs de cultures. Dans le cadre de cette journée d’études, nous vous invitons à présenter un aspect de votre travail de recherche actuel en relation avec le « déplacement des frontières », afin qu’à partir de cette porte d’entrée nous puissions tous converger vers une mise en commun et une discussion collective. La frontière abordée pourra être tout aussi bien politique, artistique, littéraire, générique, que sociale et linguistique.