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Deixis: de l'énoncé à l'énonciation et vice-versa

Deixis: de l'énoncé à l'énonciation et vice-versa

Publié le par Marielle Macé (Source : Anu Treikelder)

UNIVERSITÉ DE TARTU
LE DÉPARTEMENT DE PHILOLOGIE GERMANIQUE ET ROMANE,
SECTION DE FRANÇAIS,
LA CHAIRE DE LINGUISTIQUE GÉNÉRALE,
LE GROUPE DE TRAVAIL DE LINGUISTIQUE CONTRASTIVE
ESTONIEN / LANGUES ROMANES
ET
LE CENTRE D'ÉTUDES FRANCOPHONES ROBERT SCHUMAN

ORGANISENT À TARTU (ESTONIE)

UN COLLOQUE
LES 19 ET 20 NOVEMBRE 2004
DEIXIS:
DE L'ÉNONCÉ À L'ÉNONCIATION ET VICE-VERSA



Les propositions de communications devront être présentées avant le 27 septembre 2004. Elles comprendront le titre de la communication et un résumé de 150 à 200 mots. Les langues de travail sont l'estonien, le français et l'anglais.
Une sélection des communications présentées au colloque fera l'objet d'une publication.
Adresse pour l'envoi des propositions de communications : daniele.monticelli@ut.ee
Demandes d'informations sur le colloque : anu.treikelder@ut.ee
Le site Internet du colloque : http://www.ut.ee/prantsuse/konverents


PRÉSENTATION

L'idée de ce colloque est issue des discussions menées au cours d'un séminaire tenu une année durant, dont le thème était la deixis. Les questions les plus surprenantes et les plus intéressantes se sont révélé être celles qui avaient trait à la définition et à la circonscription de la notion même de deixis.

En linguistique, on appelle déictiques les expressions dont l'usage et l'interprétation dépendent entièrement des coordonnées de la situation d'énonciation : coordonnées personnelles je , spatiales ici ou temporelles maintenant . En partant de cette définition, on peut toutefois tracer deux programmes de recherche : (1) se limiter à l'analyse du sens et de l'utilisation d'un ensemble de termes précis les déictiques ; (2) envisager la deixis sous un angle plus large, qui pourrait à l'extrême embrasser toute la langue. Pour se convaincre que la deixis est un phénomène beaucoup plus général que les déictiques, il suffit de considérer les faits suivants :
Dans un article d'encyclopédie on n'emploie pas de déictiques, et pourtant le lien entre cet article et sa situation d'énonciation l'auteur, les connaissances et la culture de son époque peut s'avérer essentiel pour interpréter correctement l'article. D'un autre côté, dans une conversation, la situation déictique par excellence, l'usage des déictiques est souvent inutile et il est assez fréquent qu'un énoncé soit, sous ce rapport, non marqué :
Il pleut (non marqué) / Il pleut ici, maintenant (marqué).

Le but de notre colloque est de présenter des recherches dans chacune de ces deux directions, en rassemblant ce faisant les points de vue de diverses disciplines sur la deixis. Il s'agit donc avant tout de développer un échange interdisciplinaire.


DÉVELOPPEMENTS THÉMATIQUES ENVISAGEABLES, PAR DISCIPLINES

En linguistique dominent logiquement les recherches du premier type envisagé plus haut. Dans ce cadre, les questions suivantes pourraient retenir l'attention :
les moyens d'expression de la deixis, leurs relations mutuelles et leur classification ;
les déictiques et leur utilisation dans différentes langues : approche contrastive ;
deixis et anaphore.
Les recherches peuvent ainsi partir du référent (relations spatio-temporelles) ou des signes dont dispose a priori l'énonciateur (les déictiques en usage dans une langue ou une autre), mais tout aussi bien du contexte textuel ou encore d'autres aspects (par exemple le sens lié à la composition phonémique des déictiques, des particularités de la langue parlée, des phénomènes dits paralinguistiques comme les gestes, qui en soi sont les déictiques les plus purs, etc.)

En théorie de la littérature, les notions principales dans l'analyse textuelle sont le point de vue et la focalisation. Or la deixis et le point de vue semblent être des problèmes étroitement liés. D'un côté, les déictiques jouent un rôle important dans la construction du point de vue, d'un autre côté le point de vue crée des cadres (une situation) grâce auxquels il est possible d'interpréter les déictiques dans un texte donné.

Dans le cadre du second programme de recherche, celui de la « deixis élargie », il se pose une question très curieuse qui est liée au champ même de la deixis : est-il possible de distinguer deux dimensions dans la langue, que nous appellerions déictique et non-déictique, et quelle est l'importance de cette distinction dans la compréhension de la langue ? C'est ici que deviennent visibles les points de contact entre l'analyse linguistique et autres disciplines : sémiotique, psychologie, philosophie...

En sémiotique, on trouve des questions semblables dans le traitement du couple greimassien embrayage / débrayage. Le débrayage est le mécanisme par lequel le sujet énonciateur projette dans l'énoncé les catégories du non-je (il), du non-ici (ailleurs) et du non-maintenant (alors), qui créent un espace indépendant de la situation d'énonciation (je-ici-maintenant). Dans la théorie de Greimas, le débrayage est une opération essentielle, grâce à laquelle s'ouvre un espace linguistique intersubjectif. L'embrayage ramène le discours à la personne de l'énonciateur et aux catégories déictiques je-ici-maintenant. Il précède ainsi toujours je et est une des propriétés essentielles de la langue. La deixis et l'égo-centrisme langagier, qui ont toujours semblé si généraux et fondamentaux, seraient-ils en fait des phénomènes seconds ?

La primauté du débrayage semble encore confirmée par des observations psycholinguistiques, qui montrent que l'acquisition du langage par l'enfant commence toujours par il, pour n'aboutir que plus tard au je. Du point de vue de notre questionnement, une autre notion très intéressante développée en psychologie est la différence entre mémoire épisodique et mémoire sémantique. Si la mémoire sémantique est liée à des connaissances, que l'on peut comparer aux articles d'une encyclopédie, la mémoire épisodique met en revanche l'accent sur la position du sujet dans une situation rencontrée, et dans notre terminologie ce type de mémoire serait déictique. La faculté qu'a la mémoire épisodique de circuler dans le temps (et l'espace) rappelle la notion de changement de point de vue présente en théorie de la littérature et semble intégrer aussi l'opération d'embrayage. Selon Allik et Tulving, cette possibilité, liée au développement de la langue, est la faculté humaine essentielle.

En philosophie, notre question a été de tout temps liée à la discussion sur la signification des expressions. C. S. Peirce a considéré les index comme une classe à part de signes et leur a adjoint certains déictiques typiques comme par exemple ce (estonien see) et d'autres expressions qu'accompagne une désignation par un geste. Dans la tradition de la philosophie analytique, on distingue les indexicaux des autres signes linguistiques (les symboles de Peirce), parce qu'ils semblent référer « directement », uniquement en situation d'énonciation. Il y aurait ainsi dans la langue deux façons de référer, suivant que l'on a affaire à des indexicaux ou à des expressions ayant un contenu descriptif. Mais si les indexicaux ou les déictiques sont de contenu vide, quelle est leur signification ? Leur étude a-t-elle une place dans la sémantique, ou seulement dans la pragmatique ?