Questions de société

"De Thatcher à Pécresse, réflexions françaises sur les "réformes" universitaires britanniques (1979-2009)", par K. Dixon (Lyon 2), Contretemps n°3

Publié le par Bérenger Boulay (Source : SLU)

DeThatcher à Pécresse réflexions françaises sur les « réformes »universitaires britanniques 1979-2009 - Keith Dixon (Lyon 2),Contretemps n°3

http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article2906

Dansun article récent sur l'envahissement du champ universitairebritannique par des acteurs issus du secteur privé publié par lequotidien britannique de centre-gauche, The Guardian, lejournaliste-écrivain George Monbiot pointait le nombre impressionnantd'industriels qui occupent actuellement des postes de premier plan dansle pilotage ou l'évaluation de la recherche publique britannique. Laliste est longue : de Lord (Paul) Drayson, ancien patron del'entreprise pharmaceutique Powder-Ject et actuel Ministre de laScience et de l'Innovation dans le gouvernement de Gordon Brown, à SirJohn Chisholm, ancien patron d'une société de logiciels militaires etactuellement Président du Conseil de la Recherche Médicale, en passantpar Lord Sainsbury, fidèle soutien financier du parti néo-travaillisteet désormais l'un des principaux responsables de la recherchescientifique publique, après avoir fait sa fortune personnelle dans lacréation d'une chaîne de supermarchés. L'avenir de la recherchebritannique relève donc en grande partie d'hommes et de femmes dont lacarrière professionnelle s'est déroulée dans le monde des affaires.Cela rappelle à quel point l' « entrepreneur », avec ses propres « valeurs » et sa prétendue connaissance du « monde réel »,est devenu une figure centrale dans toutes les institutionsbritanniques : que ce soit au Service National de Santé, dans lesécoles primaires en difficulté, dans le monde des arts ou dans le champuniversitaire, on fait désormais appel aux connaissances patronales etaux pratiques du secteur privé pour résoudre les problèmes de laGrande-Bretagne contemporaine.

Cela permet aussi de mesurer la distance parcourue depuis 1979 etl'arrivée au pouvoir des conservateurs radicaux regroupés autour deMargaret Thatcher, dont l'ambition - utopique à l'époque - était detransformer la vieille social-démocratie britannique en société demarché. La croyance centrale qui animait ce groupe était que le marchédétenait la solution à tous les maux de l'économie et de la société etqu'il suffisait de libérer les énergies entravées parl'interventionnisme étatique et le « monopole » syndical sur le marchédu travail pour que la Grande-Bretagne soit transformée, nécessairementpour le mieux. Pour effectuer cette transformation dans desinstitutions qui n'étaient pas directement soumises aux mécanismes dumarché, les gouvernements successifs sous la direction de MargaretThatcher ont initié ce déploiement d'hommes d'affaires et la promotionde leurs pratiques qui sont aujourd'hui monnaie courante sous le régimenéo-travailliste.

Au début de la période thatchérienne la question universitaire quinous occupe ici, et celle, plus générale, de l'éducation, étaientconsidérées comme subsidiaires par les néo-libéraux au sein de lamouvance conservatrice et surtout par le groupe dirigeant conservateur.Non qu'ils négligeaient l'importance de ces questions pour leur projettransformateur, ou qu'ils manquaient d'idées à cet égard – aucontraire, leurs think tanks avaient beaucoup travaillé sur cesquestions depuis les années soixante et préconisaient un certain nombrede ruptures profondes avec les pratiques existantes. Mais ils avaientd'autres chats à fouetter dans les premières années d'exercice dupouvoir.

Lors du premier gouvernement de Thatcher (1979-1983) l'hégémonienéo-libérale était encore loin d'être assurée au sein du particonservateur, voire au sein du gouvernement. Margaret Thatcher devaitgérer la présence de quelques caciques du conservatisme traditionnel,inquiets de ses projets révolutionnaires, méfiants envers sonenthousiasme doctrinal pour les théories de Hayek et Friedman, etsoucieux de préserver l'image d'un parti conservateur paternaliste et« social ». Cette vision du conservatisme était portée au parlement parles anciens Premiers Ministres Edward Heath et Harold Macmillan, entreautres, qui jouissaient encore d'une certaine influence au sein duparti. Thatcher était donc obligée de tenir compte d'un rapport deforces interne qui n'était pas en sa faveur sur tous les sujets, deprocéder prudemment, et de se centrer sur l'essentiel – les« réformes » économiques – sans ouvrir de nouveaux fronts susceptiblesde fragiliser ses positions.

Et puis, il y avait l'opposition syndicale. Si les conservateursnouvellement élus n'avaient pas grand chose à craindre de l'oppositionparlementaire travailliste : ils avaient une majorité confortable à laChambre des Communes grâce au système électoral britannique(majoritaire à un seul tour) ; et les travaillistes étaient de toutemanière tétanisés par des débats internes houleux débouchant sur unescission en 1981 (avec la création du parti social-démocrate) etrendant l'opposition politique au thatchérisme quasiment atone pour lereste de la décennie. Le mouvement syndical restait néanmoins puissant.Le taux de syndicalisation britannique était autour de 50%, avec despics dans certaines industries du secteur public, et un certain nombrede syndicats, dont le National Union of Mineworkers (NUM), rêvaientd'en découdre avec le nouveau pouvoir conservateur et de lui infligerla même correction que celle donnée au précédent gouvernementconservateur sous la direction d'Edward Heath (1970-1974) . Ici aussi,Thatcher a procédé avec prudence pendant ces premières annéesd'exercice du pouvoir, introduisant certes dès 1980 une législation surles pratiques syndicales destinée à enfermer le mouvement dans uncarcan légal fortement contraignant, mais dont les premiers effetsfurent tellement modestes que certains des radicaux commençaient àdouter de la volonté de leur leader à en finir avec le pouvoirsyndical. Ils avaient tort : Thatcher avait simplement une intelligencesuffisante des situations pour savoir qu'il fallait éviter uneconfrontation frontale et globale avec le mouvement syndical (ce quiavait été le cas dans les années 1970-1972 lorsque Heath voulut d'unseul coup législatif remettre les syndicats à leur place et s'estretrouvé avec une révolte sans précédent sur les bras) et procéder parpetites touches successives. Thatcher était tellement prudente qu'ellea même reculé en 1981 (un fait trop souvent oublié) devant la menaced'une grève nationale lancée par la direction du NUM contre un plan defermetures de mines : le temps de la confrontation « maîtrisée »n'était pas encore venu.

Il vint en 1984-1985, lorsque le NUM a été finalement battu par lepouvoir conservateur après une grève qui a duré un an et a laissé lesyndicat exsangue, les mineurs profondément divisés, et l'industrie ducharbon prête pour le démantèlement rapide qui devait suivre. Cettegrève a été à la fois une « pédagogie de la défaite » pour le mouvementsyndical britannique qui depuis évite la confrontation directe avec legouvernement et un tournant dans la politique thatchérienne. Libérée dela menace syndicale, Thatcher pouvait à la fois radicaliser sapolitique et étendre celle-ci à d'autres domaines, considérés jusque làcomme non-essentiels. Ayant vaincu les Argentins à l'extérieur (en 1982lors de la guerre des Malouines), ayant remporté une deuxième victoireaux élections législatives de 1983, renforcé ses positions au sein duparti et du gouvernement, prouvé que sa politique encore timidementnéo-libérale, mais en rupture effective avec la tradition conservatricede l'après-guerre, pouvait être politiquement payante (contrairement àce que susurrait l'opposition traditionaliste au sein du parti), etréglé le problème de ce qu'elle appelait l'ennemi intérieur syndical,dont le NUM était le symbole, Thatcher et son groupe avaient enfin lesmains libres.

C'est donc à partir du milieu des années quatre-vingts que lethatchérisme, fort de ses victoires successives et libéré de lacontrainte syndicale, a pu montrer son vrai visage : le gouvernementdébarrassé des éléments non-thatchériens accélère alors les« réformes » économiques, avec un vaste programme de privatisationcomme élément central. Il resserre la vis autour de l'activitésyndicale avec une série de lois destinées à la fois à réduire le champd'action syndical et surtout à faire peser la menace permanente depunition financière sur tout syndicat récalcitrant et toute tentativede lancer une grève en dehors des nouvelles limites strictes fixées parla loi. Il dérégule le marché du travail en réduisant à sa plus simpleexpression la protection des salariés et bouleverse la fiscalitébritannique, en réduisant massivement le taux d'imposition marginal desplus riches (le taux le plus élevé sera réduit de 80% à 40% pendant ladécennie thatchérienne, sans doute le facteur le plus important dansl'accroissement de l'inégalité des revenus qui a caractérisé cettepériode). Il étend les « principes de marché » à des domaines jusque làrelativement épargnés, dont le système universitaire.

Le thatchérisme et le monde universitaire

Quelle est la vision thatchérienne de l'éducation, et plusspécifiquement de l'enseignement supérieur, qui s'épanouit dans cettedeuxième moitié de la décennie ? Pour la comprendre, il faut rappelerque Thatcher était non seulement une militante néo-libérale, persuadéedu bienfondé de l'introduction des mécanismes du marché, et donc de laconcurrence, dans tous les domaines de la vie économique et sociale,mais aussi un produit particulier de l'éducation britannique. A ladifférence de la très grande majorité des dirigeants du particonservateur (et travailliste…), Thatcher n'avait pas été éduquée dansle secteur privé (public school) mais dans une grammar school(lycée public sélectif), et ensuite à l'Université d'Oxford. Elle étaitmoins sensible aux arguments proprement conservateurs émanant d'unepartie de son entourage qui considérait la démocratisation del'enseignement comme nécessairement une mauvaise chose (« more means worse ») et qui défendait les privilèges des public schoolset des universités d'élite (Oxford et Cambridge) dont ils étaientissus. C'est effectivement pendant les années Thatcher qu'un mouvementde massification des Universités britanniques a été réalisé (un quasidoublement du nombre d'inscrits entre le milieu des années quatre-vingtet le milieu des années quatre-vingt-dix, qui a d'abord bénéficié à cequ'on appelait encore les « Polytechnics »,établissements de l'enseignement supérieur plutôt spécialisés dans desformations professionnalisantes). Si les réformes des conservateursradicaux vont effectivement renforcer à terme la place du secteur privéau sein de l'enseignement primaire et secondaire (par l'encouragementfiscal du « choix » parental dans ce domaine), elles vont égalementdéstabiliser les pratiques anciennes d'un certain nombre d'universitéstraditionnelles : en transformant les modes de financement desuniversités, dès le premier gouvernement Thatcher, elles vont créer desdifficultés de gestion pour toutes les institutions du supérieur, ycompris pour les institutions d'élite. Ceci permet de comprendre larancune des enseignants chercheurs de l'Université d'Oxford qui, en1985, suite aux coupes sombres dans le financement de leur Université(comme de toutes les autres) prirent la décision inhabituelle de ne pasaccorder, comme la coutume le voulait, un doctorat honoris causaà l'ancienne étudiante, Margaret Thatcher, devenue Premier Ministre. Lapremière mesure à toucher le fonctionnement universitaire sous lerégime thatchérien relevait de la stratégie monétariste, adoptée par legouvernement conservateur dès son arrivée en 1979, visant à freinerl'augmentation des dépenses publiques, et autant que possible (commedans le secteur universitaire) à les réduire. La conséquence immédiatede cette austérité imposée aux Universités, dont le budget global subitune baisse de 15% programmée sur trois ans à partir de 1981, fut deleur imposer une réorganisation interne draconienne – une« rationalisation » de l'utilisation des fonds publics. Cetterationalisation fut l'un des objectifs de l'austérité gouvernementale,les nouveaux Conservateurs considérant la gestion universitaire commenécessairement inefficace car non soumise aux effets bénéfiques de laconcurrence. Cette stratégie permettait également de transférer laresponsabilité des décisions difficiles vers les gestionnairesuniversitaires eux-mêmes. On voit donc disparaître à cette époque unnombre significatif de formations désormais considérées commenon-rentables (cela fut particulièrement le cas, par exemple, desdépartements de langues qui ont été fortement affectés pendant cettepériode), avec une forte pression sur les enseignants, dont beaucoupavaient encore la sécurité d'emploi, poussés à prendre des retraitesanticipées ou à se recycler vers d'autres secteurs. On prépare aussi leterrain et les esprits, dès cette époque, aux réformes futures qui vontaccentuer l'autonomie financière des établissements, les contraignantau managérialisme devenu depuis le mode opératoire de toutes lesuniversités britanniques, et parfois mis en oeuvre par des managersuniversitaires directement recrutés dans le secteur privé.

Un des changements prémonitoires des tendances à venir futl'autorisation, donnée par le gouvernement Thatcher dès 1980,d'augmenter les frais d'inscription jusqu'au « prix coûtant » pour lesétudiants étrangers. Non seulement, cela ouvrait la voie àl'augmentation ultérieure des frais d'inscription pour tous lesétudiants, étrangers ou non, mais cela incitait certains établissementsà construire des cursus spécifiques destinés à attirer des « clients »américains, japonais ou en provenance des pays du Golfe, nonnécessairement dotés de capital universitaire, mais titulaires d'unecarte de crédit bien remplie. Ce fut le début d'un processus demarchandisation qui a atteint sa vitesse de croisière sous lesgouvernements néo-travaillistes de ces douze dernières années. Cecidit, la première réforme à proprement parler de l'institutionuniversitaire britannique par les conservateurs radicaux date de lapériode du thatchérisme triomphant : lors du troisième gouvernement deThatcher (1987-1990) on introduisit une législation (Education ReformAct de 1988) visant surtout à transformer les règles de fonctionnementde l'enseignement secondaire, mais comprenant aussi des préconisationssur le statut des universités et des universitaires. Le système definancement des Universités est alors profondément modifié : ondistingue désormais le financement de l'enseignement de celui de larecherche (cette dernière étant soumise à des évaluations régulières)et le tout nouveau Universities Funding Council (Conseil du FinancementUniversitaire) chargé de superviser l'utilisation des fonds publics parles universités est composé pour moitié de membres non-universitaires(pour en finir, bien sûr, avec le « corporatisme » universitaire). Onmet en place un système de contractualisation des Universités qui lessoumet plus directement au contrôle central par le biais de contrats :pour recevoir des fonds publics les Universités doivent désormaisrépondre aux appels d'offres du Ministère et se conformer aux critèresimposés par celui-ci. Déjà, en 1986, le premier « Exercice d'Evaluationde la Recherche » (Research Assessment Exercise) avait été lancé, quisoumettait les Universités à une concurrence entre elles pourl'obtention des fonds publics. Deux ans plus tard, dans le nouveaucadre législatif, les Universités sont priées de changer de régimephilosophique, d'être plus attentives au monde économique et à lapertinence de leurs formations en relation avec celui-ci. Lesuniversitaires, quant à eux, perdent leur sécurité d'emploi, et passentsous un régime général de contrats à durée déterminée. C'est la fin dela titularisation à la britannique. Elle vient compléter des pratiquesdéjà mises en place par des gestionnaires universitaires eux-mêmes.Soucieux de boucler leur budget en régression, ils ont fait de plus enplus appel à des enseignants recrutés pour de très courtes périodeset/ou sur la base d'un travail à temps partiel. La précarisation dessalariés, qui a été une des caractéristiques générales du marché dutravail britannique sous le thatchérisme, n'a donc pas épargné letravail universitaire.

C'est à cette époque, en particulier par la généralisation de lapratique de contractualisation qu'une autre caractéristique du régimeuniversitaire néo-libéral prend donc forme : la surveillance accrue del'activité universitaire par le biais des évaluations de plus en plusenvahissantes. Il y a en quelque sorte un double mouvement concernantles Universités : à la fois un retrait de l'Etat pour ce qui concernele financement des activités universitaires (le financement parétudiant décroît) poussant les Universités elles-mêmes à faire deséconomies (de coûts de travail, par exemple, par l'embauche de salariésprécaires) ou à générer de nouvelles recettes ; et un renforcement durôle de l'Etat quant à l'organisation même du travail universitaire,soumettant les universitaires à la double pression de la « culture desrésultats » pour ce qui concerne le travail de recherche et de la« qualité du service rendu » en invitant les étudiants à évaluer lesbénéfices obtenus de telle ou telle formation et la performance de telou tel formateur.

Si la législation de 1988 fut un moment marquant dans l'évolutiondes universités britanniques, beaucoup des changements qui ontprofondément modifié la pratique universitaire ont été introduits (etinternalisés) par touches successives, suivant la marche générale de lasociété britannique en pleine transformation néo-libérale. Le modèle del'entreprise privée devient peu à peu prédominant : les universitairessont priés de s'y conformer en rendant compte de l'utilité économiqueet de la rentabilité de leurs formations, en recherchant eux-mêmes dessources de financement, public ou privé, à leurs activités derecherche, et tenant le plus grand compte de ces nouveaux« consommateurs » que sont leurs étudiants. C'est aussi à partir decette époque que les Universités britanniques développent une pratiquede lobbying au sein des institutions européennes, recrutant desspécialistes chargés de récolter des fonds européens, qui viendraientcombler le manque à gagner national.

La question des frais d'inscription

Etant donné les contraintes imposées par l'austérité gouvernementaledes années Thatcher et la difficulté rencontrée par certaines filières(en sciences humaines par exemple) pour trouver des sourcessatisfaisantes de financement en dehors de celui fourni sous conditionpar l'Etat, la question de l'augmentation des frais d'inscriptiondevenait incontournable comme suite logique au tarissement dufinancement public. Ce tarissement se fait d'autant plus sentir que,par une nouvelle loi sur l'enseignement supérieur de 1992 (HigherEducation Act), la distinction entre universités de plein droit et« Polytechnics » disparaît et toutes les institutions de l'enseignementsupérieur britannique se trouvent en concurrence accrue pour des fondspublics dispensés au compte-goutte.

La question de l'auto-financement partiel par le biais des fraisd'inscription n'a été tranchée qu'après le départ des Conservateurs en1997, sans doute parce que ces derniers craignaient les effets négatifsd'une telle mesure sur leur base électorale – les couches moyennesétaient effectivement en ligne de mire - déjà fragilisée par larécession du début des années quatre-vingt-dix. Le deuxièmegouvernement de John Major (1992-1997) avait néanmoins commandité unesérie d'études sur l'état de l'enseignement supérieur britannique à unecommission sous la direction de Ronald Dearing, ancien chancelier del'Université de Nottingham, qui rendit son rapport en 1997 au nouveaugouvernement néo-travailliste. Celui-ci s'est empressé d'abonder dansle sens du rapport Dearing qui préconisait, entre autres, la fin de lagratuité des études pour les étudiants britanniques et une augmentationsignificative des frais d'inscription universitaires, qui pourraientprendre la forme de prêts remboursables après la fin des études.Intéressant à cet égard est l'argumentaire néo-travailliste en faveurde l'augmentation des frais d'inscription. C'est en mobilisant larhétorique de l'« équité sociale » que les blairistes ont défendu cettemesure, arguant du fait que les enfants des couches moyennes etsupérieures de la société britannique étaient sur-représentés dans lapopulation estudiantine et que ceux et celles qui passaient parl'université avaient la garantie (statistique) d'un revenu relativementplus élevé que ceux et celles qui n'avaient pas cette chance. Ils'agissait donc, selon l'argumentaire néo-travailliste, de faireassumer un investissement dans l'avenir à ceux qui avaient largementles moyens de le faire (argument déjà employé par Keith Joseph, lementor intellectuel de Margaret Thatcher lors des débats internes auparti conservateur sur cette question au début des annéesquatre-vingts).Cette mesure va non seulement profondément diviser le partitravailliste lors de la discussion parlementaire sur la question, quivit une partie des députés travaillistes voter contre leurgouvernement, mais va constituer une divergence importante entre legouvernement et les syndicats de l'enseignement supérieur (enseignantset étudiants). Comme on pouvait s'y attendre, une fois le principed'une augmentation significative des frais d'inscription admis, lemontant maximal de ces frais est devenu une pomme de discordepermanente entre les gestionnaires universitaires (et surtout ceux duRussell Group qui réunit un certain nombre d'universités aux ambitionsinternationales) soucieux de maximiser les rentrées financières et lesorganisations syndicales des enseignants et des étudiants britanniques.De £1000 en 1998, on est passé à £3000 en 2004 (Higher Education Act)et il est question aujourd'hui de porter les frais maximum à £5000voire £7000 par an. Au sein du Russell Group l'idée d'unelibéralisation totale des frais d'inscription gagne d'ailleurs duterrain.

Conclusion

On voit ici que bien avant le déclenchement du « processus deBologne », qui date de la fin des années quatre-vingt-dix et qui aconduit aux « reformes » Pécresse, le système universitaire britanniqueavait subi une transformation dont vont s'inspirer les néo-libérauxeuropéens : retrait du financement étatique ; surveillance accrue desactivités universitaires (et diminution parallèle de l'autonomieintellectuelle des universitaires) ; privatisation partielle par lebiais à la fois des partenariats public-privé (dont les gouvernementssuccessifs de Blair et de Brown ont été les grands promoteurs) etrecherche de financements privés ; transformation managériale des modesde gestion universitaires ; destruction du statut et de la sécuritéd'emploi des enseignants chercheurs ; augmentation vertigineuse desfrais d'inscription étudiants avec une focalisation particulière surdes étudiants étrangers perçus comme des ressources financièresprivilégiées . Le climat général dans lequel se déroule l'activitéuniversitaire a également changé : les universitaires britanniques sontdésormais sommés, par leurs propres administrateurs autant que par lesgouvernements successifs, d'être attentifs aux débouchés économiques deleurs recherches, à la « pertinence » de celles-ci. Ils subissent enmême temps des pressions provenant de la transformation des étudiantsen consommateurs . Force est de constater que malgré quelquesrésistances syndicales et un mécontentement diffus dans tout le systèmeuniversitaire britannique, un nouveau sens commun néo-libéral fraye sonchemin, selon lequel il n'y aurait pas de salut hors la concurrencegénéralisée. Dans ce système concurrentiel, qui joue les universités etles universitaires les uns contre les autres, il y a bien sûr toujourschez certains l'espoir d'être du côté des gagnants dans la course aufinancement (c'est l'ambition revendiquée du Russell Group), même si,pour la grande masse des universitaires britanniques et leursétudiants, un tel espoir est statistiquement peu fondé.