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De l'histoire littéraire comme construction mémorielle (III). Double appartenance et consécration(s) (Metz)

De l'histoire littéraire comme construction mémorielle (III). Double appartenance et consécration(s) (Metz)

Publié le par Marc Escola (Source : Gregoria Palomar)

 

De l’histoire littéraire comme construction mémorielle III : Double appartenance et consécration(s).

Journée d’étude – Metz, vendredi 9 décembre 2016

La relation « naturelle » entre l’expression littéraire (ou artistique) et un territoire d’origine ou d’appartenance, telle qu’elle avait été configurée en Europe à l’époque du romantisme national, s’est modifiée à partir de la deuxième moitié du xxe siècle. Les exils résultant de la Seconde Guerre mondiale ou de la Guerre froide, ceux qui ont été provoqués par les dictatures, tout comme les déplacements de population liés aux décolonisations multiples et à la globalisation ont favorisé l’émergence d’une littérature transnationale, brouillant les frontières territoriales et parfois se réclamant d’une extraterritorialité dont la « littérature-monde » francophone serait une expression.

Tomás Albaladejo qualifie d’ectopique cette littérature qui « recouvre les phénomènes de déterritorialisation, reterritorialisation et transterritorialisation auxquels participent un nombre important d’écrivains représentatifs de la littérature interculturelle contemporaine [1] ». On sait que la littérature participe à la production, à la diffusion et à la légitimation du sentiment d'appartenance à un territoire (et/ou à une collectivité), une légitimation dont la dernière phase « est la canonisation (être un modèle de littérature, faire partie du patrimoine littéraire) et s’opère au sein de l’institution scolaire (programmes, manuels, dictionnaires des auteurs et des œuvres, anthologies, etc.)[2] ».

Dès lors que les populations ne se définissent plus en fonction d’un territoire, qu’elles se déplacent de l’un à l’autre ou qu’elles récusent le modèle romantique de l’identification nationale, le problème de la patrimonialisation se pose, et avec lui celui de l’énonciation des histoires littéraires nationales. Cette transnationalité (ou plurinationalité ?) peut en effet s’appliquer à des écrivains qui se sont inscrits dans deux champs culturels, voire dans plusieurs champs linguistiques. Il en va ainsi d’un très grand nombre d’écrivains, dont les parcours individuels sont bien connus : pour en rester à la France (mais le phénomène n’est bien entendu pas spécifique à l’Hexagone), contentons-nous de mentionner les noms de la Canadienne anglophone Nancy Huston, de l’Espagnol Michel del Castillo, du Grec Vassilis Alexakis, du Tchèque Milan Kundera,… Ou, pour l’Espagne, le cas de Jorge Semprún, longtemps exilé, militant clandestin en Espagne alors qu’il était un écrivain reconnu en France puis devenu ministre de la culture dans son pays d’origine.

La double appartenance apparaît dans leurs œuvres selon diverses modalités, qui ont déjà fait l’objet de diverses études, notamment linguistiques (co-présence des langues, auto-trraduction…) et thématiques (conflits identitaires, questions post-coloniales, littératures mineures, immigration ou migrance…).

Nous nous centrerons quant à nous sur la réception institutionnelle de ces écrivains, une problématique indissociable de celle du lieu de publication, de celle des lectorats « implicites » et réels, et dès aussi de celle des champs littéraires dans lesquels ils s’intègrent selon des critères qui peuvent être différents. Entre autres critères, les identités tantôt assumées, voire revendiquées, tantôt subies peuvent jouer un rôle important dans la reconnaissance, obtenue ou non, dans un champ donné. Quand un écrivain affirme, pour des raisons diverses, son appartenance à deux pays ou à deux cultures, quelle réception est-elle faite dans chacun des deux champs d’appartenance de l’écrivain ? Cela peut jouer à l’échelle nationale par rapport à l’échelle régionale ; ainsi le choix de Pere Gimferrer, poète espagnol qui, à partir de 1970, a abandonné le castillan pour s’exprimer en catalan, a-t-il modifié son insertion dans le champ littéraire espagnol ? Ou à l’échelle internationale, voire intercontinentale : les institutions françaises ont ainsi canonisé nombre d’écrivains venus d’ailleurs : Héctor Bianciotti, Argentin d’origine italienne, devient membre de l’Académie Française en 1996, ainsi qu’Andreï Makine, d’origine russe. Une troisième situation apparaît lorsque la relation entre les deux zones est marquée par un rapport de domination de type post-colonial, domination réelle (centre vs périphérie) et/ou mémorielle, ce dont l’Algérienne Assia Djebar pourrait être un exemple. Si l’on connaît la place des écrivains originaires des périphéries francophones, anglophones ou germanophones dans les champs européens concernés, qu’en est-il cependant de la reconnaissance de ces écrivains par les institutions des pays d’origine ? Comment y font-ils (ou non) « retour » ?

Cette journée d’études s’inscrit dans la continuité des travaux sur la construction mémorielle et les histoires littéraires de l’axe 3 du laboratoire Écritures, COMES (Constructions Mémorielles et Sacralisations) ; elle constitue le troisième volet d’une série de journées consacrées à l’histoire littéraire comme construction mémorielle, destinées à déterminer dans quelle mesure la littérature participe de la construction des mémoires culturelles, sociales, politiques, identitaires. La première journée (26/2/2016) avait privilégié le questionnement sur les différents phénomènes de construction d’une mémoire littéraire collective (sacralisation, exclusion…), à partir d’une approche notamment sociologique de la littérature. La deuxième journée (16/6/2016) avait envisagé avant tout de problématiser l’histoire littéraire à partir de son lien intrinsèque avec les temporalités de l’histoire. Cette troisième journée se situe dans une perspective comparatiste, et se propose d’analyser la construction des mémoires littéraires collectives à partir de figures qui, par leur trajectoire, pourraient nier l’existence même de cette identité nationale limitée à la nation. Il s’agira, au-delà des considérations linguistiques, de voir comment se résout cette dichotomie, en s’attachant essentiellement à la réception et au discours sur les œuvres et leurs auteurs, en se voyant comment s’inscrivent ces écrivains dans l’histoire littéraire de l’un ou l’autre pays, de leur région par rapport à la nation, afin d’établir si leur reconnaissance ou leur canonisation se fait selon les mêmes critères.

 

Les communications (20 mn) pourront prendre appui sur les littératures de toutes langues. Langue principale : français ; les interventions en anglais, en espagnol ou en allemand seront accompagnées de résumés substantiels en français ou en anglais.

Prière de soumettre un résumé avant le 30 septembre à :

Gregoria Palomar : gregoria.palomar@univ-lorraine.fr

Valentina Litvan : valentina.litvan@univ-lorraine.fr   

 

[1] Alfaro (Margarita), « De la littérature romande à la littérature interculturelle francophone en Europe. Adrien Pasquali ou la dualité dévastatrice de l’appartenance culturelle », in : Thélème. Revista Complutense de Estudios Franceses, Vol 27 (2012) p. 13-27.  

[2] Denis (Benoît), « La consécration, Quelques notes introductives », in : COnTEXTES [En ligne], 7 | 2010, mis en ligne le 03 juin 2010, consulté le 07 juin 2016. URL : http://contextes.revues.org/4639 ; DOI : 10.4000/contextes.4639