Essai
Nouvelle parution
D. Wilhem, Bévue

D. Wilhem, Bévue

Publié le par Romain Bionda (Source : Damien Guggenheim)

Référence bibliographique : Daniel Wilhem, Bévue, Genève, Furor, 2019.

96 pages
17€ / 21 CHFS
ISBN 978-2-940601-06-6

Les bévues, que personne ne sait calculer, sont utiles. Elles sont sans doute nécessaires. À l’occasion, elles corrigent la vue simple qui ne nous suffit pas. Elles s’ajoutent à la vue seconde, la plus perspicace. Elles effacent la berlue et sa tromperie. Grâce à elles, ce que nous percevons par inadvertance ou par ignorance, à cause d’un défaut de l’attention, grossit et augmente sous nos yeux. Blanchot, en racontant ce qu’on ne peut rapporter, invente un présent sans durée. Kafka, observateur comique, déplace des mondes pour rouvrir son terrier. Paulhan, entre deux guerres, traverse un jardin public où il est interdit d’entrer les fleurs à la main. Ils se sont mis à trois pour accroître notre vue. 


Note :
Au centre du village, comme chaque année, la fête commence par une tombola. Les prix attribués suffisent à distraire ceux qui ont accouru. Le perroquet rouge et jaune, bien visible sur le perchoir, sert de gros lot. Sa cage est installée au meilleur endroit, au-dessus du bar, entre les deux haut-parleurs. Sur la place, on voit des notables, la femme du président qui porte une blouse à manches chauve-souris, une voiture repeinte en bleu canard, avec des vagues et des sauriens. Les paris durent trois journées. Bien entendu, les réjouissances catalanes ne ressemblent aucunement à celles de Babylone. Les gains sont très modestes. Personne ne va faire des procès aux perdants, ni mépriser ceux qui ne jouent pas, ni se moquer de ces mauvais joueurs qui réclament de meilleurs tirages. Les voleurs de billets ne sont pas roués de coups, ni traînés en prison. On demande simplement aux astrologues et aux marabouts de rester chez eux. Mais, ce matin du troisième jour, le perroquet est mort. Il a été gêné, culbuté, persécuté sans doute par le bastringue, par les hurlements des juke-box. La bonhomie d’une foule simple couvre, à date fixe, les cris et les dépits des parieurs. Elle détruit sans fracas ce que la loterie (qui accueille les coups malheureux, non pour contredire le hasard, mais pour le corroborer) peut avoir d’insaisissable. En plus, ou avant tout, elle fait un sort au perroquet qui est bien le roi de la frairie. La mort de l’oiseau est une bévue ? Oui, mais elle est celle que personne n’a pu commettre ou celle que, après un charivari, chacun peut montrer.

 (Bévue, p. 80)

 

    Daniel Wilhem a publié des essais sur Blanchot, Klossowski et sur les figures de l’ironie dans l’œuvre des romanciers viennois ou des romantiques allemands. Il a fondé et dirigé la revue et la collection Furor de 1980 à 2000.