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L'abjection (Dalhousie French Studies)

L'abjection (Dalhousie French Studies)

Publié le par Marc Escola (Source : Marie Pascal)

Dalhousie French Studies

L’abjection

 

Dossier thématique proposé par

Marie Pascal, Dalhousie University

 

Correspondant à une réaction de dégoût face à un sujet, un objet ou une situation, la thématique de l’abjection joue un rôle notoire dans maintes œuvres littéraires et cinématographiques. La première discipline à s’y être penchée est la sociologie, dont l’un des piliers, G. Bataille, la voit comme un lieu symbolique situé à l’opposé de la vie et qui peut être véhiculé par différents comportements sociaux marginaux (prostitution et crime pour les plus courants). Ses textes successifs distinguent différents sèmes abjects dont le plus important, la mort, s’apparente à un « naufrage dans le nauséeux » (1949 ; p. 70). De son côté, M. Douglas (1966) interroge le concept de « limite » et décrit différents rites de purification préservant contre la pollinisation de l’abjection. Par extension, elle fait remarquer que son irruption met en péril l’ordre social tout en impliquant un châtiment pour qui en est à l’origine. Ces réflexions invitent à penser l’abjection comme intrinsèque à toute société humaine et ce, malgré les entreprises étatiques de purification ou l’instinct naturel qui pousse à la fuir. En parallèle, à l’instar de J. Kristeva et de D. Anzieu, la psychologie repense l’abjection qu’elle considère être à la base de toute l’expérience sensorielle et psychologique humaine. Reprenant la symbolique du cadavre, J. Kristeva explique par exemple que ce dernier est « la mort infestant la vie (…) un rejeté dont on ne se sépare pas » (1980 ; p. 12). La chute dans l’abjection est donc par réfraction susceptible d’engloutir l’entité qui lit ou regarde l’œuvre où elle se déploie. Finalement, le concept du « moi-peau » de D. Anzieu (1973 ; 1994) permet de repenser les frontières entre l’humain et ce qui l’entoure, en traitant des phénomènes aussi variés que la porosité de la peau, les relations de parasitage et l’animalisation.

En tenant compte du postulat de G. Bataille comme quoi « le ressort de l’activité humaine est généralement le désir d’atteindre un point le plus éloigné du domaine funèbre (que distinguent le pourri, le sale, l’impur) » (1979, p. 212), il s’agira dans ce dossier d’expliquer la fascination, partagée par maints artistes, pour la thématique de l’abjection. Pourquoi une telle attirance pour des représentations et réflexions qui déstabilisent l’identité humaine ? Cette sensation, intrinsèquement ambiguë, peut à cet égard être corrélée à une autre problématique, esthétique cette fois : celle du sublime. Bien que l’association abjection/sublime soit rarement étudiée, il est néanmoins possible de la voit poindre sous la plume de M. Bakhtine (1970) quand il traite du « rabaissement », « détruisant » et « régénérant » le lecteur (p. 30) et pourrait être une première hypothèse expliquant la prééminence de descriptions ambiguës de l’abjection dans le corpus artistique.

Le dossier qui sera publié par la revue Dalhousie French Studies propose de mener une réflexion critique sur le sujet de l’abjection en partant de l’hypothèse que la narration et la monstration vont à l’encontre de postulats présentés au cours des XXe et XIXe siècles par la sociologie, la psychologie et la philosophie de l’art. Mis à part les différents examens de la narratologie textuelle et filmique qui pourront être proposés et l’étude des visages de l’abjection dans les productions francophones, d’autres articles exploreront les aspects esthétiques et idéologiques qui lui font la part belle dans divers médias et discours.

Ci-dessous une liste non-exhaustive de pistes d’analyses : Thématiques et descriptions abjectes ; Représentations abjectes au cinéma ; L’abjection dans la bande-son ; Marges, purification, parasitage, animalisation ; Expérience(s) de l’abjection en tant que lecteur/spectateur ; L’abjection comme matière à créer le sublime ; etc. Nous accepterons tout article proposant une réflexion innovante sur l’abjection à travers le corpus littéraire et filmique francophone (y compris les adaptations cinématographiques), accueillerons des entretiens avec des auteurs et réalisateurs qui s’intéressent à cette thématique ainsi que des productions artistiques originales qui y ont trait.

Veuillez soumettre vos propositions d’articles (300-500 mots) avant le 1er janvier 2021 à l’adresse : marie.pascal@dal.ca

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Bibliographie sélective

Anzieu, Didier. « Le Moi-peau ». 1973. Nouvelle Revue de psychanalyse, n° 9, p. 195-208.

Anzieu, Didier. Le penser, du moi peau au moi pensant. 1994. Paris : Dunod.

Arya, Rina. Abjection and Representation. An exploration of Abjection in the Visual Arts, Film and Literature. 2014. New York : Palgrave Macmillan.

Bakhtine, Mikhail. L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance. 1970. Paris : Gallimard.

Bataille, Georges. « L’abjection et les formes misérables » (1934), Œuvres complètes. Volume II : Écrits posthumes 1922-1940. 1970. Paris : Gallimard, p. 217-221.

Bataille, Georges. « Attraction et répulsion II. La structure sociale » (février 1938), Le Collège de sociologie. 1979. Paris : Gallimard, p. 208-231.

Bataille, Georges. « La Part maudite » (1949, Edition de Minuit), Œuvres complètes. Volume VII. 1976. Paris : Gallimard, p. 17-179.

Bataille, Georges. « La littérature et le mal » (1957, Gallimard), Œuvres Complètes. Volume IX. 1979. Paris : Gallimard, p. 171-316.

Caillois, Roger. « Sociologie du bourreau » (février 1939), Le Collège de sociologie. 1979. Paris : Gallimard, p. 394-420.

Carol, Anne ; Isabelle Renaudet (dir.). La Mort à l’œuvre – Usages et représentations du cadavre dans l’art. 2013. Aix-Marseille : Presses Universitaires de Provence.

Chanter, Tina. The Picture of Abjection – Film, Fetish, and the Nature of Difference. 2008. Bloomington : Indiana University Press.

Damlé, Amaleena ; Aurélie L’Hostis (dir.). The Beautiful and the Monstruous – Essays in French Literature, Thought and Culture. 2010. Modern French Identities, n° 87, Bern : Peter Lang.

Derrida, Jacques. « L’animal que donc je suis (à suivre) ». L’Animal autobiographique. Autour de Jacques Derrida. (dir.) Marie-Louise Mallet. 1999. Paris : Galilée, p. 251-302.

Douglas, Mary. Purity and Danger. An Analysis of Concepts of Pollution and Taboo. 1966. Londres : Routledge and Kegan Paul.

Kristeva, Julia. Pouvoirs de l’horreur – Essais sur l’abjection. 1980. Paris : Seuil.

Kristeva, Julia. Soleil noir. Dépression et mélancolie. 1987. Paris : Gallimard.

Maertens, Jean-Thierry. Le Jeu du mort. Essai d’anthropologie des inscriptions du cadavre. 1979. Paris : Aubier Montaigne.

Menninghaus, Winfried. Disgust. The Theory and History of a Strong Sensation. 2003. New York : State University of New York Press.

Serres, Michel. Le Parasite. 1980. Paris : Bernard Grasset.

Spencer, James ; Marjorie Grene. Laughing and crying – A Study of the Limits of Human Behavior. 1970. Evanston : Northwestern University Press.

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Calendrier

Date limite pour soumettre une proposition d’article (200 à 500 mots) : 1er janvier 2021

Date limite pour soumettre les articles acceptés (formatés au protocole MLA) : 30 juin 2021

Publication prévue : hiver 2022 (Dalhousie French Studies, n°120)