Essai
Nouvelle parution
D. S. Larangé, L'Esprit de la Lettre: Pour une sémiotique des représentations du spirituel dans la littérature française des XIXe et XXe siècles

D. S. Larangé, L'Esprit de la Lettre: Pour une sémiotique des représentations du spirituel dans la littérature française des XIXe et XXe siècles

Publié le par Matthieu Vernet (Source : McGill University)

L'Esprit de la Lettre: Pour une sémiotique des représentations duspirituel dans la littérature française des XIXe et XXe siècles

Daniel S. Larangé

Paris : L'Harmattan, coll. "Ouverture philosophique", 2009.

EAN 9782296092716

Présentation de l'éditeur : 

L'Esprit est une notion floue surgissant dans l'intervalle qui sépare et relie les consciences entre elles (le "Je" et le "Tu") et entre le Moi et le monde. Il s'agit ensuite de pouvoir l'intégrer dans la description du processus sémiotique et dans l'interprétation des oeuvres littéraires. Le phénomène spirituel se manifeste généralement par une présence qui confère du sens aux événements et aux situations en les inscrivant dans un projet et une intention transcendants. La rencontre du spirituel dans le champ de lecture oriente l'interprétation de l'oeuvre. À ce titre, il semble possible de concevoir la présence de la spiritualité dans un contexte idéologique en terme d'« effet ».

Que l'écriture et la lecture sont deux pôles d'une activité qui se complètent, nous le savions déjà. Néanmoins nous occultions le lien étroit qui les relie, sous la forme d'un souffle, i.e. de l'inspiration laquelle incite l'auteur à saisir sa plume et le lecteur à se lancer dans une lecture. Une redéfinition de l'"esprit" permet de pénétrer les différentes couches qui constituent et enveloppent la littérature. Elle produit et est le produit de représentations, autrement dit de constructions de l'esprit, à partir des données puisées dans le monde externe, puis recomposées par les mécanismes internes du cerveau. Les représentations sont des structures absentes ou vides que l'esprit vient habiter et remplir de sa présence sapientiale.

La lecture apparaît alors comme une pratique spirituelle en ce qu'elle se réalise par l'application de l'esprit d'un lecteur à l'esprit d'une oeuvre, produite dans une idéologie particulière. La difficulté consiste à comprendre le phénomène de spiritualité dans l'abondance de ses manifestations : l'esprit est propre à un individu, l'esprit est une superstructure idéologique dans laquelle chaque esprit individuel trouve son territoire et l'Esprit est une énergie qui, en conférant du sens et de la valeur aux choses, parvient à infléchir un univers et à motiver les individus qui le composent. C'est pourquoi l'objet d'“esprit” est un objet de recherche éclaté, et non localisable et localisé, qui se construit à partir d'un réseau d'informations.

La Révolution française et le culte de la Raison Suprême ont permis d'affranchir la notion d'Esprit des seules institutions de la religion et de l'introduire dans l'art, et la littérature en particulier, afin qu'elle puisse être récupérée par les principales disciplines de l'activité intellectuelle. L'esprit est devenu une représentation polymorphe et polysémique qui a permis de réenchanter le monde en lui ouvrant de nouveaux horizons imaginaires.

La lecture de la présente étude laisser supposer qu'il s'agit d'un essai. Cette classification est juste, si l'on considère l'essai comme une tentative de laboratoire, le développement d'un travail (labor), l'effort de labourer un champ de connaissances. L'approche phénoménologique a montré que « la science tisserait donc un réseau de symboles commodes (énergie, force, tension, etc.) dont elle habille le monde ; son seul objectif serait alors d'établir entre ces symboles des relations constantes permettant l'action » (Jean-François Lyotard, La Phénoménologie, 1954). La somme, au sens scolastique du terme latin, de cette étude a pour objet de présenter un ensemble d'informations sur l'orientation de ce « savoir » organisé et compartimenté qui assure l'existence de l'esprit encyclopédique à la fin du XVIIIe siècle : la science s'est constituée paradoxalement par le discours romantique, comme une prolongation de la poésie, d'une poésie du monde, et non plus, comme supposé, en réaction au romantisme : les Idéologues, Saint-Simon, Charles Fourier, Auguste Comte et même les neurologues sont des romantiques qui ont permis à la science de s'affirmer positiviste au nom de l'esprit positif, en tant que troisième étape après l'esprit théologique et l'esprit métaphysique (Auguste Comte, Discours sur l'esprit positif, 1844). Au fond, ce « savoir » de l'esprit relève bien d'une gnose « rêvée » ou du « rêve » d'une gnose.

Le modèle explicatif présentant la spiritualité comme un phénomène produit par le je(u) des représentations en régime sémiotique n'a aucune prétention à l'objectivité. Au contraire, il insiste sur la nécessité de maintenir une ouverture subjective dans la connaissance objective, sans prôner pour autant un relativisme fallacieux et démagogique. Les différences de lecture, de description et d'interprétation garantissent la pérennité et l'efficacité des objets littéraires. C'est pourquoi le spirituel serait un “effet littéraire” qui se manifeste au contact de certaines régions du savoir. Autrement dit, la description de ce qui fait qu'un lecteur développe une sorte d'attente “spirituelle” face au texte littéraire permet de reformuler une explication de la réception des textes, loin de toute exhaustivité et universalité. Ce modèle est le simple produit d'une sensibilité toujours subjective, éventuellement partagée par une communauté intellectuelle.

Les extraits empruntés à la littérature française des XIXe et XXe siècles décrivent la dynamique des mouvements et des motivations des représentations qui ont touché depuis deux siècles la littérature devenue un refuge pour l'imaginaire et les croyances. L'analyse littéraire de la dimension spirituelle d'un texte s'organise en marge des approches historicisantes et des exégèses structurales. Il s'agit d'ouvrir une nouvelle voie sur la profondeur des textes et sur leurs résonances pour une théorie de la réception. Une des conséquences de l'effet du spirituel dans le cadre d'un objet culturel consiste dans la constitution de valeurs de référence qui parviennent à s'intégrer naturellement aux valeurs acquises et à orienter les décisions et les états de conscience.