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D'Orient en Occident : les recueils de fables enchâssées avant les

D'Orient en Occident : les recueils de fables enchâssées avant les "Mille et Une Nuits"

Publié le par Florian Pennanech (Source : Marion Uhlig)

D'Orient en Occident :
les recueils de fables enchâssées avant les Mille et Une Nuits


Colloque international
Université de Genève
6, 7, 8 mai 2010

Organisatrice : Marion Vuagnoux-Uhlig
Comité scientifique : Yasmina Foehr-Janssens, Carlos Alvar


Présentation

Qu'y a-t-il de plus ingénieux, que d'avoir fait un corps d'une quantité prodigieuse de Contes, dont la variété est surprenante, et l'enchaînement si admirable, qu'ils semblent avoir été faits pour composer l'ample Recueil dont ceux-ci ont été tirés ?

L'éloge qu'Antoine Galland formule à l'égard du célèbre recueil des Mille et Une Nuits, dans l'Avertissement au lecteur de la première édition, alimente la réflexion qui est à la base de ce colloque. Il offre une définition exemplaire du « roman à tiroirs », dont la principale caractéristique tient dans l'enchâssement complexe de fables au sein d'une histoire-cadre responsable d'en agencer la succession.
Des Mille et Une Nuits aux Canterbury Tales, des Panchatantra au Décaméron, en passant par Artamène ou le Grand Cyrus, ce vaste réseau de textes témoigne de la richesse et de l'originalité de la structure héritée de la tradition orientale. Le nombre impressionnant des récits concernés, de même que l'extraordinaire diffusion qu'ils ont connue en Orient comme en Occident, au Moyen Âge comme à l'époque moderne, illustrent l'urgence qu'il y a à repenser l'étude de ces textes dont plusieurs comptent parmi les fleurons les plus illustres de la littérature universelle.

Les travaux du colloque se concentreront sur quatre recueils, le Calila et Dimna (ou Panchatantra), la légende de Barlaam et Josaphat, le Roman des Sept Sages (ou Livre de Sindibad) et la Disciplina Clericalis de Pierre Alphonse, dont les trois premiers ont marqué, bien avant leur apparition en Occident, toute l'histoire de la littérature orientale. On retrouve les traces de leur parcours, entamé aux VIe-VIIe siècles ou même avant, à travers les littératures indienne, arabe, persane, syriaque, arménienne et hébraïque, jusqu'en Espagne. Et c'est à partir du XIIe siècle que ces romans-recueils, rédigés aussi bien en latin qu'en langues vernaculaires, font connaître les traditions narratives du Levant dans l'Europe médiévale. Mais l'essor de cette veine exemplaire s'étend encore bien au-delà, puisque l'influence des quatre textes se fait sentir jusqu'à l'époque moderne dans le domaine occidental, à travers des réécritures et des adaptations. Il s'agira donc de suivre leur parcours du Moyen Âge à l'aube des Lumières, en réunissant des spécialistes des domaines et des littératures concernés par cette transmission. L'entreprise de traduction, de compilation et d'écriture débutée en 1701 par Antoine Galland en vue de la composition des Mille et Une Nuits, qui inaugure une ère nouvelle de la diffusion des contes arabes en Europe, servira de borne chronologique à notre projet.
Etudier cette forme, c'est aussi se confronter aux résistances qu'elle suscite. Si d'aucuns considèrent le récit premier comme un pur prétexte à raconter des fables, l'opinion la plus largement répandue mésestime le rôle des apologues et des fables jusqu'à en faire de simples hors-d'oeuvre dont le sens ne serait pas nécessaire à l'intrigue générale, de sorte que la technique de l'enchâssement narratif n'accède jamais à la même faveur critique que la narration continue et unifiée qui caractérise les « grands » genres comme le roman ou l'épopée. Pourtant son potentiel herméneutique et épistémologique est considérable.
Les recueils sont le lieu d'une mise à l'épreuve fictionnelle des pouvoirs mobilisateurs du récit. Placés dans la bouche d'un énonciateur inscrit dans l'histoire-cadre, les apologues interpellent les personnages du récit, mais adressent aussi, cela va de soi, leur leçon aux destinataires des textes. Le procédé d'enchâssement assigne ainsi à la fable, et donc à la littérature de fiction, une place et une fonction au sein du discours sapiential. La reconnaissance de cette valeur didactique vaut d'ailleurs à plusieurs exempla d'être rediffusés, de façon indépendante, à des fins d'instruction morale et religieuse, ou amplifiés pour donner lieu à des formes littéraires plus élaborées, comme le lai ou la nouvelle.
Les recueils qui nous intéressent mettent constamment en scène les rapports du savoir et du pouvoir, et élaborent à travers les figures du sage, de l'ascète, du philosophe et du disciple un discours sur la sagesse et sur son rôle. En présentant l'accès au savoir comme un privilège masculin, ils posent aussi le problème des rapports sociaux entre les sexes, envisagé à travers la confrontation de ces représentations du clerc avec des personnages de séductrices, de jalouses et d'entremetteuses. Par ailleurs, ils participent à la diffusion et à la réinterprétation du savoir oriental dans l'Occident chrétien. Situées à la croisée des cultures, ces oeuvres affichent dans la diégèse une certaine conscience de la translatio studii dont elles font l'objet. Enfin, se pose la question de leur destination. Tout porte à croire qu'elles s'adressent au premier chef à un public clérical, auprès duquel elles fonctionnent comme des instruments de conversion ou de persuasion. Mais il se peut aussi que, dans un temps et un lieu donnés, elles cherchent davantage à correspondre à telle ou telle vogue littéraire et, par conséquent, se plient à des compromis en faveur d'autres types de consommation. A cet égard, les remaniements textuels, tout comme l'environnement manuscrit dans lequel les textes sont préservés, ainsi que le contexte de publication dans lequel elles émergent, constituent des indices précieux.

Ce colloque s'adresse largement aux chercheurs qui consacrent leurs efforts à étudier le livre de Calila et Dimna (ou Panchatantra), le Roman des Sept Sages (ou Livre de Sindibad), la légende de Barlaam et Josaphat et la Disciplina Clericalis de Pierre Alphonse, dans l'ensemble des littératures qui les ont conservés. En réunissant orientalistes et spécialistes des littératures occidentales, il poursuit l'ambition d'enrichir l'état actuel des recherches sur ces textes, afin de faire apparaître l'originalité d'un courant littéraire naguère si prisé et aujourd'hui méconnu.