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Corps sonore, corps musical. Corps/son/musique dans les écritures théâtrales et les pratiques scéniques contemporaines

Corps sonore, corps musical. Corps/son/musique dans les écritures théâtrales et les pratiques scéniques contemporaines

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Longuenesse Pierre)

Corps sonore, corps musical

Corps/son/musique dans les écritures théâtrales et les pratiques scéniques contemporaines

 

Journée d’étude organisée par Pierre Longuenesse et Sandrine Le Pors

14 février 2013, Université d'Artois, EA 4028 Textes et Cultures

 

Appel à communication

 

Ce projet de recherche intitulé corps sonore, corps musical fait suite à d’autres manifestations initiées par le groupe « Praxis et Esthétique des arts », au sein de l’équipe de recherche EA4028 Textes et Cultures de l’université d’Artois : Corps vivant / Corps marionnettique : enjeux d’une interaction en 2010, Corps et voix dans les écritures théâtrales 1900-2000 (textes et scènes) en 2011, ou les deux journées d’étude Voix marionnettiques dans les arts plastiques, scéniques et visuels, en 2012. Il prendra la forme d’une journée d’étude organisée à l’université d’Artois le 14 février 2013, qui elle-même constitue le prélude à un colloque sur cette thématique de l’articulation entre corps, son et musique au théâtre, prévu pour 2014. L’originalité de cette proposition consacrée au « corps sonore / corps musical » tient à la nouvelle perspective qu’elle ouvre : en effet, les précédents colloques se sont attachés plus particulièrement d’une part à l’étude de la voix et des voix comme support d’un ou de discours, rassemblé-s ou éclaté-s, monologique-s ou dialogique-s, en s’interrogeant sur ce qui en elle-s est révélateur de nouvelles modalités de représentations du corps et du sujet ; et d’autre part à l’étude de la voix en ce qu’elle pouvait également induire un théâtre de la phoné, du souffle et du son. Il s’agit désormais de nous centrer plus spécifiquement sur le sonore et non sur le vocal. De la même façon, le concept de « sonore » est à la fois différent et contigü de/au concept d’ « acoustique » : si l’on explorera d’abord le champ du son, on sera conscient du fait que la production du son a bien entendu maille à partir avec l’espace, et donc avec un « espace acoustique ».

C’est donc bien le phénomène sonore qui est ici envisagé sous toutes ses formes. Il s’agit d’examiner une approche esthétique et culturelle du corps sonore et du corps musical dans les arts dramatiques et scéniques. Sur cette thématique générale, plusieurs axes peuvent être définis, constituant de possibles pistes de réflexion pour les propositions de communication.

 

 1 – De l’anthropologie à l’esthétique

La question nécessaire et préalable à cette étude sera bien : qu’est-ce qu’un corps sonore ? (par opposition avec un objet sonore, par exemple). Cette approche plus anthropologique pourra alors s’ouvrir par de nécessaires mises au point sur des questions anatomiques, sur lesquelles s’adossera, en amont d’une approche dramaturgique et esthétique du corps sonore dans l’écriture ou dans la représentation, une réflexion sur le travail de l’acteur en formation. Ainsi du travail de Blandine Calais-Germain sur les résonateurs du corps ; ainsi, également, des formations de l’acteur qui, de l’orient à l’occident, sont adossées à des pratiques corporelles et vocales. Ainsi enfin, du geste somme toute fondateur de Delsarte, chanteur lyrique, résolvant son aphonie par des exercices du corps, et préfigurant ainsi en précurseur de nouvelles pratiques et de la voix et du mouvement, pratiques bientôt ré-investies par les « fondateurs » de la danse moderne, de Ruth Saint-Denis à Martha Graham.

Ce préambule n’est pas anodin, dans la mesure où l’époque contemporaine, depuis Artaud, ne cesse d’interroger le « corps sonore » dans le jeu, dans sa relation à l’espace et à la représentation. En séparant le concept et le son, Artaud « nous reconduit au bord du moment où le mot n’est pas encore né, quand l’articulation n’est déjà plus le cri mais n’est pas encore le discours » (Derrida, Le théâtre de la cruauté et la clôture de la représentation). Artaud vise à l’abolition du dispositif représentationnel pour privilégier un théâtre agissant sur le spectateur. Ce théâtre « organique » trouvera ses filiations à travers Barrault, le Living, Grotowski bien sûr, ou Brook et son Orghast à Persépolis au début des années 70.

Sans s’attarder sur de telles références, déjà étudiées, on remarquera toutefois l’écho que constitue aujourd’hui, à ces pratiques alternatives, certaines expériences contemporaines de « théâtre immersif » : lorsque le son (voix, bruits, souffles etc), soutenu par de nouveaux supports technologiques, se fait présence, il déjoue les codes attendus de représentation et invente une nouvelle « co-présence » entre acteurs et spectateurs : l’écoute doit être prise en compte non comme jeu de décryptage mais source de trouble, d’immersion, voire de perte d’identité (qui suis-je lorsque je suis pris à parti par une voix intérieure provenant du casque que je porte sur les oreilles dans Un doux reniement de C. Pellet mis en scène par  Mathieu Roy ?).

2 – Corps sonore, de l’écriture à la scène

On peut également envisager un point dramaturgique sur les manifestations sonores du corps dans les écritures modernes et contemporaines, en s’attachant à problématiser et/ou historiciser ces manifestations. Un examen des didascalies sonores : chant, rires, battements, cris, et toutes manifestations sonores du corps, mettra en évidence les éventuelles – et désormais connues – concurrences oeil/oreille, ou tensions entre visuel et sonore, mais aussi tensions entre « bruits » et parole, construction et éclatement du « discours ». On pense également à l’écriture de pièces sonores, d’Artaud (de nouveau, voir Il n’y a plus de firmament) à Ligeti, en s’interrogeant sur l’intersection entre « lyrique » et « dramatique ». A entrer dans l’atelier d’écriture des auteur(e)s, quelle place y occupe d’ailleurs le son et/ou l’environnement sonore (de telle ou telle musique écoutée à la nécessité ou pas de travailler dans le brouhaha, tel celui de l’espace stéréophonique du café décrit par Barthes) ?

Le cas échéant, et dès lors que l’on considère le texte lui-même comme procédant d’une « corporalité » ou d’une physicalité de l’écriture, on retrouvera cette focalisation à un autre niveau, dans l’importance accordée à la qualité rythmique et sonore des textes, notamment dans les phénomènes de traduction : de Beckett à Berio ou Castellucci, nombreux sont ceux qui, de l’écriture au plateau, explorent des « zones-limite » de la voix ou du son corporel, dans une sorte d’hésitation (ou de superposition) entre un retour hyper-réaliste à l’écoute de phénomènes dits « naturels », et une rupture vers une manipulation radicale des sons, des voix et des silences. Comment le son également, avec ou au-delà de la musique, dialogue-t-il avec un texte porté au plateau, non seulement pour en relever ses ressorts, mais aussi pour en pointer l’état des corps (et/ou des discours) en scène (la pulsation sonore oscillant entre les coups d’une horloge et le hurlement d’une sirène dont la répétition évoque une migraine et peut-être la folie montante de Nora dans la mise en scène d’Ostermeier) ?

Comment enfin – et l’enjeu idéologique est de taille – l’écriture de théâtre ou de plateau accède-t-elle ou contraire résiste-t-elle à l’environnement sonore et à la musique (double mouvement nettement repérable chez Didier-Georges Gabily) ? Quelles relations, derechef, l’écriture théâtrale entretient-elle avec la consommation du son (Szendy – Tubes, La philosophie dans le juke-box) ?

3 – Corps sonore et pratiques pluridisciplinaires

Ces propos nous emmènent évidemment vers l’un des aspects majeurs de ce projet d’étude, à savoir le lien entre cette question du « corps sonore » et l’émergence – doit-on même dire aujourd’hui l’omniprésence – des nouvelles technologies du son, le plus souvent articulées à celles de l’image dans les pratiques scéniques contemporaines (théâtre, danse, musique, art de la marionnette, cirque).

 Procède en effet également du « sonore » tout ce qui, depuis l’émergence de ces technologies, c’est-à-dire depuis un siècle, transporte, diffuse, prolonge, déforme, transforme, les sons émis par le corps, qu’il s’agisse de la voix sous toutes ses formes, ou de ses autres manifestations. La réflexion devra alors être de nature à la fois technique et dramaturgique. A titre de jalons, nous poserons quelques questions adossées à ces deux approches (que nous ne séparons ici qu’arbitrairement).

A – technique

On s’interrogera sur la nature de ces interventions dans le cadre de leur nouvel essor (pris avec des personnes telles que Daniel Deshays) – on pourra revenir sur le travail du GRM et de l’IRCAM avec les metteurs en scène – travail déjà abordé dans d’autres études, mais qui mérite à coup sûr d’autres commentaires. Au delà de l’emblématique binôme Cadiot/Lagarde, ou d’une figure connue telle que celle de Pommerat, on s’intéressera à des pratiques nouvelles comme celles des metteurs en scène Emilie Rousset, Mathieu Roy, Cyril Teste et Guillaume Vincent invités par le festival « In vivo » (Bouffes du Nord/IRCAM/104, juin 2012). On s’interrogera aussi sur des questions de cadre, de dispositif, de forme. On pourra dépasser le strict cadre de la scène, et explorer d’autres types d’espaces (espace urbain par exemple – ce qui ouvre vers une problématique architecturale). On peut aussi aborder les formes singulières que sont le radiophonique, ou les « pièces sonores », du hörspiel au hörstuck, voire le théâtre musical de Goebbels ou Marthaler.  

On pourra se demander ce que le corps fait au son / ce que le son fait au corps (corps de l’acteur, du manipulateur, du danseur, du circassien, du musicien, du spectateur) et examiner de quelle(s) manière(s) création sonore et jeu de l’acteur entrent-ils (ou non) en dialogue. Que dire des « cas d’école » des expériences de Cage/Cunningham, ou d’autres plus récents, sur l’articulation aléatoire, permise par la technique, entre mouvements du corps et production sonore ? Que dire des extensions du son au corps de l’acteur (ou du danseur, ou du musicien) ? Et au bout du compte, que signifie même l’expression « son pur » ? D’une part, à partir de quand un son n’est plus du corps, jusqu’où l’est-il encore ? Et d’autre part, à partir de quand un son est-il « traité », et jusqu’où ne l’est-il pas ?

B – Dramaturgique

Globalement, la question centrale posée par de telles expérimentations sonores est : qu’est-ce qu’elles induisent sur la représentation (et sur la réception) ?

Initialement, les « sons du corps » de type acousmatique, produits « en direct », contribuent à la création d’un espace sonore, d’un décor sonore : prolongeant l’illusion référentielle, ils visent pour la plupart à élargir le champ de la représentation (voir les cahiers de régie de Stanislavski, truffés de didascalies sonores acousmatiques du corps : voix, toux, appels, cris, etc.) ; ils peuvent aussi, notamment depuis les mutations du drame au tournant des 19 et 20e s., apporter au drame et à la scène une dimension métaphysique ou fantastique et/ou vouloir casser toute illusion naturaliste. A partir de l’apparition des technologies du son, les sons du corps constituent par contre potentiellement une matière radicalement nouvelle, ouvrent une « autre dimension du sensible ». Comment, donc, caractériser cette autre dimension ?

  • que dit le son corporel (vocal ou autre) transformé, du point de vue du « sujet » ?  Faut il parler de l’expression d’une « conscience parlante », non d’un « corps parlant ». Face à ces « trompe-l’oreille », qu’en est-il de l’intériorité ? « Les explications transhistoriques de la nature du son peuvent être très convaincantes et solides mais elles tendent à porter avec elles le poids, rarement souligné, d’une théologie chrétienne de l’audition vieille de 2000 ans ». La technologie sonore vient contester radicalement cette représentation.
  • Au passage, on peut aussi interroger les rythmes et les sonorités de la voix lorsqu’ils entrent en écho avec la partition gestuelle de la marionnette, des effigies et des matières animées ? Comment joue l’écart entre voix vivante et corps artificiel ? Quels sont les enjeux des corps que l’art de la marionnette articule à la dramaturgie du son ? Les deux journées consacrées aux voix marionnettiques ont ainsi notamment mis en évidence d’une part comment le travail vocal et/ou sonore (et non plus la main) pouvait constituer l’acte d’animation, d’autre part  comment le corps du récitant pouvait s’effacer au profit de la voix, devenant ainsi purement sonore, ou encore de quelle manière le choix des matériaux et des matières influait sur l’émission, la diffusion et la perception du son. Ce faisant, il s’est agi surtout de se demander comment l'écoute d'un corps marionnettique pouvait induire de nouvelles possibilités en termes de voix et de son.
  • Enfin, les technologies sonores ont connu récemment des développements extrêmement rapides, permettant de construire de totales abstractions sonores. Le drame surgit de la performance, dépassant une lecture sémantique des mots, vers une lecture du texte comme partition. De nouvelles frontières sont dessinées entre le visuel et le sonore. Où en sommes nous, de ce fait, par rapport aux vieilles déclarations d’Artaud qui « cherchait à rendre le quotidien inouï » ? Comment évaluer le travail d’écoute du spectateur qui ne peut plus être jeu de déchiffrage, jouissance d’une harmonie ou abandon à une mélodie, qui ne peut plus, de ce fait, être reconnaissance ? On retourne alors vers une nouvelle approche plus anthropologique du phénomène sonore.

4 – « corps musical »

On le comprend, la frontière est poreuse, depuis Rossolo, puis Cage, entre ce qui ressort du sonore et ce qui entre dans la sphère du musical. On partira donc d’un postulat arbitraire et provisoire, consistant à dire que la dimension musicale du son tiendra à un accent particulier mis sur le medium sonore plutôt que sur le message, sur le signifiant plutôt que sur le signifié, que cet accent émane du créateur – écrivain, metteur en scène, interprète – ou qu’il soit le fait du récepteur, lecteur ou spectateur. La question du « corps musical » peut alors s’aborder, provisoirement, sous deux angles : l’acteur d’abord, évidemment et au premier chef concerné ; mais aussi la mise en scène, puisqu’on peut légitimement trouver une solution de continuité entre corps, espace, lumière, et son – ce que feront explicitement nombre de metteurs en scène du XXe au XXIe s.

Concernant l’acteur, la question peut être : qu’est ce que la musique produit sur les corps ? Ou encore, de quoi ce « corps musical » est-il le signe, du point de vue, justement, d’une représentation du corps ? Deux pistes parmi d’autres : un « corps musical » peut-il être traité selon une logique marionnettique ? (et même – pourquoi pas – un corps marionnettique est il intrinsèquement musical ?) Et d’ailleurs – seconde piste – de quelle marionnette s’agit-il ? D’une effigie, d’un medium proche du sacré, prolongeant la pensée de Craig ? Ou d’un pantin manipulé ? Ou encore de l’emblème d’une humanité tragique ? Traiter le corps selon une logique musicale, est-ce donc souligner l’émotion plus que le discours, le lyrisme du soi plutôt que le sujet politique ?

On peut, optionnellement, prolonger cette réflexion en l’élargissant au champ de la mise en scène. Du traitement du corps musical individuel à celui du corps collectif des acteurs dans l’espace, le continuum est en effet le plus souvent visible, voire revendiqué par les metteurs en scène. La question est alors de savoir, comme pour le point précédent, quel imaginaire musical, voire quel modèle idéologique via cet imaginaire musical, vient informer la représentation théâtrale. Par exemple Appia, Craig, et jusqu’à Svoboda et ses espaces psycho-plastiques, sont des metteurs en scène qui font du rythme l’alpha et l’omega de toute création dans le temps comme dans l’espace. Visant à créer des drames parfois proches de l’abstraction, ils modalisent/modélisent rythmiquement l’espace en contrepoint des corps. Un imaginaire sacré, sinon biblique, dans lequel le son devient émanation de l’invisible, n’est pas étranger à un tel projet. D’un autre côté, la dimension musicale de la mise en scène peut procéder d’un projet épique, auquel concourt la continuité entre la présence du chant, les effets de choeur ou de choralité, et la dynamique rythmique des enchainements. C’est cette continuité qui est à l’origine du « corps sonore », le corps vivant, multiple et en même temps unifié, de l’événement scénique. De Meyerhold à Brook, voire Mouawad, la mise en scène a pour horizon une utopie de « grand récit » dont la musique, dans sa dimension ontologique, est une sorte de modèle de représentation. De son côté Bob Wilson déclare « tout théâtre est danse. Toutes les décisions que nous prenons concernent le temps et l’espace… qui sont une construction, et c’est ce qui crée le rythme ». Plus proche encore, une étude reste à faire sur les « corps musicaux » d’Inferno ou Purgatorio, chez Castellucci.

Mots-clefs : bruit, corps, espace, geste, matière, musique, silence, son, souffle, vibration, voix…

Calendrier

Date limite de remise des propositions : le 31 décembre 2012.

Les propositions (entre 1000 et 1500 signes, espaces compris) comporteront un titre et un résumé ainsi que des mots-clés. Elles seront accompagnées d'une brève bio-bibliographie de l'auteur. Elles devront parvenir en format Word et PDF par courrier électronique à la fois à Sandrine Le Pors et à Pierre Longuenesse, maîtres de conférences en Arts du spectacle : leporssandrine@gmail.com ET pierre.longuenesse@wanadoo.fr

 

Réponses aux auteurs : 8 janvier 2013.

Date de la journée d’étude : le 14 février 2013.

Comité d’organisation : Axe « praxis et esthétiques des arts » de l’université d’Artois  Responsables : Sandrine Le Pors et Pierre Longuenesse

Url de référence : http://www.univ-artois.fr/recherche/unites-de-recherche/textes-et-cultures