Questions de société

"Copé veut rétablir l'examen de passage en sixième supprimé en 1959" par L. Fessard (Mediapart, 25/10/2010)

Publié le par Arnauld Welfringer (Source : SLU)

 


"Jean-François Copé, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, a des idées sur l'éducation. Il a proposé dimanche 24 octobre, dans un entretien au Parisien, de rétablir l'examen de passage en sixième, supprimé en mars 1959 par un ministre gaulliste, Jean Berthoin, et de faire redoubler les élèves qui n'auront pas acquis les connaissances de base « pour protéger l'enfant » et ne pas lui faire « courir un risque de décrochage ». « Je veux défendre une idée forte : l'entrée au collège ne doit se faire que pour l'enfant qui maîtrise totalement les savoirs fondamentaux », explique-t-il.

Un propos qui se heurte à tout ce que la recherche sur l'éducation a produit sur l'apprentissage et l'inefficacité du redoublement depuis trente ans. « S'il s'agit de ne pas envoyer au collège ceux qui échouent à l'examen, c'est criminel ; si Jean-François Copé veut simplement les faire redoubler, c'est idiot, lance Denis Meuret, chercheur à l'Institut de recherche sur l'éducation (Iredu-CNRS). Un élève qu'on fait redoubler en CM2 sera certes meilleur à la fin de son second CM2, mais aura, à la fin de la sixième, le même niveau que l'élève, doté du même niveau scolaire, qu'on aura laissé passer. Le redoublement reporte juste d'un an l'entrée dans la vie active, avec une perte de salaire correspondante. » Pour Thierry Cadart, secrétaire général du Sgen-CFDT, la proposition dénote « une vision très mécanique des choses qui relève du siècle dernier, avec l'idée que le savoir se construit brique par brique. Alors qu'on sait qu'il ne sert à rien de laisser un enfant bloquer sur un point mais qu'il faut chercher des chemins de détour ». « Le fait même d'être exposé à des apprentissages nouveaux aide à apprendre », expliquait, en 2003, Denis Meuret dans Fenêtres sur cour, la revue du Snuipp.

En France, le nombre d'élèves ayant redoublé au moins une fois à la fin de l'école primaire est passé de 52% en 1960, à 37,3% en 1980 et 19,5% en 2000 (Dep 2003). Mais il reste l'un des plus élevés en Europe : un élève français sur cinq redouble au moins une fois avant la fin de l'école primaire. Une autre spécificité française est l'accumulation des rapports démontrant que ce fort taux de redoublement est inefficace, socialement injuste et coûteux : rapports de la Direction de l'évaluation et de la prospective (Dep) en 2003, puis de Jean-Jacques Paul et Thierry Troncin de l'Institut de recherche sur l'éducation (Iredu-CNRS) en 2004, d'Agnès Florin, professeur de psychologie à l'université de Nantes, en 2006, de Bruno Suchaut, directeur de l'Iredu-CNRS, en 2007, de l'institut Montaigne en avril 2010 et de la Cour des comptes en mai 2010...

« Une vision malthusienne et méfiante »

L'étude internationale de référence en la matière, menée en 1990 par le chercheur américain Holmes, montre que les redoublants progressent significativement moins que les élèves faibles promus dans la classe supérieure, et ce quelle que soit l'année redoublée (entre la première et sixième année de l'enseignement primaire). Pire, selon l'étude de la Dep de 2003, « plus le redoublement intervient tôt dans la scolarité, plus il est, en moyenne, associé à une faible réussite scolaire ultérieure ». Le devenir des élèves ayant redoublé le cours préparatoire (CP) est particulièrement révélateur : seul un quart de ces élèves atteignent la terminale, et moins d'un sur dix devient bachelier général ou technologique. « Renvoyer en effet sur la ligne de départ celui qui n'a pu franchir la haie sans lui proposer rien d'autre qu'un nouvel essai dont on n'aurait même pas affiné la technique, c'est proprement le condamner au fatalisme de la haie et le laisser en deçà de l'obstacle », sabrait dès 1987 le Conseil économique et social, effaré des chiffres du redoublement en France. Insuffisant pour l'UMP : en 2005 déjà, la loi d'orientation Fillon avait renforcé le pouvoir des enseignants en matière de redoublement.

Quand à remettre en place un examen d'entrée en sixième, Thierry Cadart y voit « la fin du collège unique et de l'ambition d'élever les qualifications de tous les élèves », portée en 1975 par un autre ministre de droite, René Haby. « Ce serait une aggravation de la maladie française qui est la sélection, analyse Thierry Cadart. Alors que tous les systèmes éducatifs qui réussissent le mieux sont ceux qui ne sélectionnent pas précocement et qui ne font pas redoubler leurs élèves. » Pour Denis Meuret, cette proposition est l'expression d'une droite « prise entre deux logiques contradictoires », l'une « inspirée de l'OCDE et portée par la technostructure », consistant à amener « davantage d'élèves à bac+3 et à créer un socle commun de connaissances », l'autre « malthusienne et méfiante » qui est « celle du discours sur “les jeunes de quartier” et de l'idée qu'on ne va au collège unique que si on a le niveau ».

Jean-François Copé développera ses idées mardi 26 octobre, en présence du ministre de l'éducation nationale, Luc Chatel, lors d'un débat sur l'enseignement primaire au sein de Génération France, son club de réflexion. Ses opposants pourront alors fort opportunément s'inspirer de cette plaidoirie contre l'examen d'entrée en sixième publiée... en 1955 par le proviseur de l'époque du lycée Fabert à Metz, Gabriel Hun, et reprise sur le blog d'un inspecteur de l'éducation nationale à la retraite."

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