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Contre Mallarmé. Contre-attaque, contrepoint, contretemps.

Contre Mallarmé. Contre-attaque, contrepoint, contretemps.

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Thierry Roger )

Contre Mallarmé. Contre-attaque, contrepoint, contretemps.

Comme la matière ne saurait être envisagée sans l’antimatière, les sciences humaines, elles aussi, bien souvent, soudés à leurs objets, génèrent leurs anti-objets. C’est le jeu bien connu de « l’action » et de « la réaction », cher à Jean Starobinski. Depuis quelques années, l’histoire des idées considère l’autre moitié de l’orange quand l’histoire de la réception se penche sur les formes d’opposition aux objets d’étude canonisés par une certaine « tradition moderne », ou renverse le point de vue dominant dans une certaine zone de la pensée théorique. A côté des travaux de Sternell sur « les anti-Lumières » (2006, republié en 2010), naissent des réflexions sur la résistance aux avant-gardes (Les Arrière-gardes au XXe siècle, dir. William Marx, PUF, 2004), sur « l’anti-modernisme » (Antoine Compagnon, Les Antimodernes, Gallimard, 2005), la « contre-auctorialité » (Sophie Rabau, Lire contre l’auteur, Presses Universitaires de Vincennes, 2012) ; on peut ajouter les recherches tournées vers l’anti-romantisme, orchestrées par Claude Millet depuis 2006 à l’Université Paris-VII, peu avant la toute récente traduction française du livre de Hugo Friedrich de 1935 consacré à « la pensée antiromantique moderne en France » (Classiques Garnier, 2015). On se gardera de voir dans cette tendance à la contre-histoire le symptôme d’un épuisement critique, ou bien le signe de reconnaissance d’une pensée réactionnaire. Il s’agit au contraire, du moins pour nous, de mettre en place une pratique historienne « holiste », dynamique et différentielle, qui construit son objet de manière polaire, de façon à rendre compte de la totalité d’un moment, ou d’une épistémè : « action » et « réaction » forment un tout solidaire, une interaction.

Tel sera le parti pris méthodologique que nous entendons suivre, en nous intéressant au cas Mallarmé saisi dans l’histoire de ses réceptions, ou plutôt de ses constructions successives « négatives ». Nous visons le passage de « Mallarmé » au « mallarmisme », et plus précisément ici, à l’une de ses versions peu explorées, dans ses présupposés, ses arguments, ses stratégies, à savoir l’anti-mallarmisme. La formation discursive nommée « Mallarmé », nous voudrions la saisir à travers la modalité du « contre », entendue de trois manières. Il y aurait la contre-attaque, qui présente des oppositions idéologiques, qui répond par le discours polémique, la parodie, la critique d’humeur, le diagnostic morbide, le procès, voire la « censure ». Bien évidemment, cet aspect concerne surtout la première réception mallarméenne, mais pas exclusivement. Vient ensuite ce que nous nommons le contrepoint, qui propose des variations esthétiques plus ou moins distantes. Ce domaine couvre toutes les formes d’oppositions systémiques, différentielles, structurales, entre les œuvres et les poétiques, d’un point de vue non-polémique. C’est le terrain privilégié des études « comparatistes », mot entendu au sens large. On pourrait arrimer cet axe de recherche à cette remarque de John Jackson concernant Bonnefoy, mais qui pourrait être valable pour les grands disciples historiques, les Gide, les Claudel, les Valéry, avec des nuances évidentes selon les trajectoires individuelles : « Mallarmé est celui qu’il prend le plus volontiers pour s’en distinguer » (Yves Bonnefoy, Seghers, 2002, p. 63). On sait, entre autres choses, que l’idée selon laquelle « tout, au monde, existe pour aboutir à un livre » a pu servir de formule-repoussoir inaudible, en particulier pour les poètes de L’Ephémère, jusqu’à la récente Littérature en péril de Todorov. Enfin, le terme de contretemps, désignera ici les lectures « actualisantes » promues récemment par Yves Citton, qui recontextualisent de manière anachronique, en s’orientant vers ce que l’on appelle aussi la lecture « contre-auctoriale », mais qui puisent également dans le concept nietzschéen d’inactualité. On touche aux phénomènes d’« usages », de captation d’héritage, de réappropriation, de trahison, voire de contresens, si cette notion est maintenue. Un large pan de la réception philosophique du poète, de Sartre à Meillassoux, trouverait sa place dans cet espace. Cette dernière zone, trouble, mais très féconde, pose bien évidemment un problème de légitimité herméneutique, d’un point de vue philologique. Mais il faudra suivre Pierre Hadot sur ce point, tout en essayant de cerner les « limites de l’interprétation », qui notait en 2004 à propos de la célèbre formule d’Héraclite : « écrire l’histoire de sa réception, c’est écrire l’histoire d’une suite de contresens, mais de contresens créateurs, dans la mesure où ces trois petits mots ont servi à exprimer, mais peut-être aussi à faire apparaître, des perspectives toujours nouvelles sur la réalité » (Le Voile d’Isis, Gallimard, 2008, p. 404).

Nous poserons en particulier cette question aux « poètes d’aujourd’hui » : à quelles conditions et dans quelles limites, la poésie contemporaine peut-elle « poursuivre avec Mallarmé », pour reprendre une formule de 2003 venue du « Salut » en forme de poème spatial signé Jean-Paul Michel ? Peut-on soutenir, avec Yves di Manno, que « le retour à Mallarmé », dans les années 1960, fut le « grand drame de la poésie française » (La Tribu perdu. Pound vs Mallarmé, Java, 1995, p. 54) ? Cette recherche aurait pour horizon quelque chose comme une « structure de la poésie moderne », revue et corrigée, purgée des partis pris de Hugo Friedrich, de manière à faire l’histoire archéologique de la grande alternative Mallarmé / Rimbaud, mais aussi de toute une série d’autres alternatives littéraires, peut-être moins attendues : Mallarmé versus Baudelaire, Ducasse, Corbière, Verlaine, Laforgue ; Mallarmé versus Tzara ; Mallarmé versus Artaud ; Mallarmé versus Whitman, Pound, Stein, etc.

 

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Le présent appel à contribution vise la réalisation d’un ouvrage collectif, que nous envisageons de publier aux Presses Universitaires de Rouen et du Havre (PURH), dirigées par François Bessire ((Université de Rouen / CEREdI).

 

Les propositions de contribution sont à envoyer à Thierry Roger (Université de Rouen / CEREdI ; thierry.roger@univ-rouen.fr) avant le 1er octobre 2017.