Essai
Nouvelle parution
Contre-expertise d'une trahison, La réforme du français au lycée

Contre-expertise d'une trahison, La réforme du français au lycée

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Antoine Desjardins)

Contre-expertise d'une trahison, La réforme du français au lycée

Agnès Joste, membre du collectif "Sauver les lettres"
Préface d'Henri Mitterand
266 pages, 12 euros

Notule de présentation.

1) Résumé.

Ce travail d'analyse de la lettre des nouveaux programmes de français s' intéresse tout d'abord à la nouvelle vision de de la littérature qui transparaît dans les directives officielles. Les ouvres majeures ne sont introduites dans les classes que du bout des lèvres, tout texte étant considéré comme une « production » équivalente à toute autre, sans hiérarchie d'intérêt ou de valeur. L'entrée dans les programmes n'est plus l'étude des grands auteurs, mais les catégories dans lesquelles on pourrait ranger leurs ouvres (« genres », « registres »). Il ne s'agit plus de comprendre un texte, mais de reconnaître quelle catégorie il illustre. Toute originalité et toute nouveauté disparaît ainsi de l' univers littéraire que l'on présente aux élèves. La littérature est également considérée dans les programmes comme une « argumentation » permanente, une recherche incessante par les auteurs d'une « influence sur les destinataires », sans aucune gratuité mais au contraire comme un processus cynique de manipulation d'un public, dans lequel il faut étudier les techniques d'adhésion. Les exercices d'écriture proposés à la suite des textes littéraires illustrent cette vision mécaniste et classifiante : on demande des transpositions de textes, sans référence au sens du texte de départ, ou des argumentations sans perspective dialectique de construction d'une pensée critique. L'analyse présentée ici s'intéresse à la validité de cette conception de la littérature, et illustre ses faiblesses ou ses lacunes pédagogiques, incompréhensibles au regard de la précision des catégories indiquées ci-dessus : absence de méthodologie exigeante pour la lecture des textes, négligence du sens et de la lettre, promotion de la subjectivité et de l' émotion aux dépens d'une pensée objective et rationnelle, méconnaissance totale du niveau et des besoins des élèves auxquels on suppose une compréhension immédiate de textes difficiles.

Une seconde partie pointe très précisément les contradictions des concepteurs des programmes, et les incohérences scientifiques ou matérielles de leur projet, là encore incompréhensibles de la part de professionnels baptisés « experts ». Elle souligne les démentis incessants que se font les deux sortes de textes qui constituent les directives officielles : « programmes » et « documents d 'accompagnement », les premiers contredisant les seconds ou inversement. Elle met en évidence l'incertitude théorique qui apparaît à plusieurs reprises dans les textes officiels, et partant le caractère peu opératoire des catégories introduites dans les programmes. Elle prend à partie le langage incompréhensible, lourd ou périphrastique qui préside à ces instructions, et le métalangage ridicule qui les obscurcit.

Le trosième chapitre met en étroite relation ces nouveaux programmes avec une commande politique à laquelle ils semblent obéir. Plusieurs caractéristiques de la nouvelle idéologie qui règne au Ministère y apparaissent clairement : mépris des professeurs et de leur désir de transmission des savoirs,  promotion de savoirs utilitaires, dénigrement de l'étude de la littérature, abolition de la formation de l'esprit critique au profit  de la formation d'une communauté « citoyenne » et de la « régulation des conflits », épreuves de baccalauréat contraignant à une pensée captive ou à une rhétorique sophiste. Ces nouvelles orientations de l'enseignement du français sont, dans l'analyse, étroitement corroborées par une étude précise des principes de Philippe Meirieu, auxquels elles semblent se conformer jusque dans la lettre. L'enseignement du français perd ainsi sa liberté et son indépendance, il est mis au service d'une idéologie de conformité qui nuit à sa nature même.

La partie suivante cherche à mesurer la compétence des concepteurs des programmes pour la tâche dont ils se sont chargés. Ils ne semblent pas à sa hauteur. Les réformateurs ont ouvré dans le secret et la manouvre, compromettant toute chance de dialogue avec les professeurs : les nouveaux programmes ont été diffusés au compte-gouttes, quatre fois remaniés en deux ans, publiés chaque fois pendant l'été (1999, 2000, 2001), deux fois quelques jours avant la rentrée de septembre. Les épreuves EAF ont été imposées de force pour 2002, contrairement aux promesses officielles. Les oppositions ont été muselées, les « consultations » trahies ou négligées. Les compétences pédagogiques des concepteurs sont peu visibles : ils croient les élèves en possession d'une langue maîtrisée, leur proposent des lectures inaccessibles, un programme démentiel qui condamne au survol, prônent l' autodidaxie pour des élèves en mal de repères, et liquident le sens des textes et des ouvres au profit de l'acquisition de techniques desséchantes, risquant ainsi de détourner à tout jamais les élèves de la littérature et de la simple lecture, tous domaines dont ils auront fait des repoussoirs. Le prétexte de la réforme, l'adaptation au « nouveau public », manque donc totalement son but, en multipliant les difficultés d'assimilation des élèves.

Le dernier chapitre est consacré aux propositions qui peuvent être faites pour maintenir ou promouvoir un enseignement des lettres véritablement attaché à la langue et aux ouvres, et véritablement  soucieux des intérêts des élèves.


2) Justification de publication :

Cette étude répond à un besoin. Besoin d'expression de professeurs inquiets tout d'abord, et qui ne sont pas isolés ou minoritaires : l'existence du Collectif  Sauver les Lettres le montre. Cette expression n'a pu se faire auprès du Ministère ni auprès de la hiérarchie disciplinaire des Inspecteurs, qui ont muselé les consultations, ni auprès des médias, pour qui toute réforme est automatiquement une amélioration, et qui ont vite fait de ranger les contradicteurs dans le camp des « anciens ». Il  manque donc un lieu qui se ferait l'écho précis des inquiétudes, du désarroi, de la colère motivée des enseignants de lettres, en prenant les textes officiels du français à bras le corps de leur contradictions et de leurs errements, sans esprit de chapelle ni slogans.

Le Ministère d'autre part n'a pas hésité devant la propagande, faisant parvenir à chaque professeur de lettres de lycée un volume coûteux, actes d' un colloque de novembre 2000, Perspectives actuelles de l'enseignement du français, auquel il est nécessaire de faire pièce pour faire entendre une parole différente.

Par ailleurs, les textes qui modifient profondément l'enseignement du français ont été publiés de façon isolée - programmes et documents d' accompagnement ne paraissant pas en même temps, les textes qui régissent le français sont de huit dates différentes - et fragmentée - il aura fallu presque deux ans pour que les épreuves d'examen soient enfin définies. L' analyse des programmes ci-jointe prend en compte tous ces textes et leurs variations de rédaction, permettant ainsi une synthèse qui n'est pas facile au professeur de base, mais qui lui est néanmoins nécessaire pour dominer des éléments qui redéfinissent en profondeur les finalités de son métier, et pour mieux en connaître les présupposés théoriques et politiques.