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Compétences, reconnaissance et pratiques génériques

Compétences, reconnaissance et pratiques génériques

Publié le par Marielle Macé


Fabula est heureux d'annoncer le programme d'un colloque dont les communications seront intégralement mises en ligne sur le site, et qui se tiendra en deux parties: à Lausanne en novembre 2004 et à Paris en avril 2005.

COMPÉTENCES, RECONNAISSANCE & PRATIQUES GÉNÉRIQUES

Colloque international organisé par
le Groupe de Recherches Interdisciplinaires en Analyse Comparée des Discours (UNIL-IRIS4)
et le Centre de Recherche sur les Arts et le Langage (CNRS-EHESS)

Contacts: Raphaël Baroni (raphael.baroni@bluemail.ch , UNIL) et Marielle Macé (mace@fabula.org , CNRS)

Première partie : 26 et 27 novembre 2004, Université de Lausanne


Vendredi 26 novembre

Présidence de Jean-Michel ADAM (UNIL)

9.30 - 10.30  Marielle MACÉ (CRAL) & Raphaël BARONI (UNIL)
Introduction : « Connaître, reconnaître : l'expérience des genres. »

10.30  - 11.30  Ute HEIDMANN (UNIL)
 « Inscription des mythes grecs dans les genres : complexité et variation. »

12.00 - 13.00  Claude CALAME (EHESS)
« Identifications génériques entre marques discursives et pratique
rituelle : un exemple tiré de la poésie mélique grecque. »

Présidence d'Ute HEIDMANN (UNIL)

15.00 - 16.00  Dominique MAINGUENEAU (Paris XII)
 « Compétence générique et modes de généricité »
 
16.00 - 17.00  Jean-Marie SCHAEFFER (CRAL)
 « Compétence ou savoir ? Les genres, entre auteur et lecteur »

17.30 - 18.30 Jean-Michel ADAM (UNIL)
« La question des genres en linguistique du discours »

Samedi 27 novembre

Présidence de Jean-Marie SCHAEFFER (CRAL)

9.30 - 10.30 Richard SAINT-GELAIS (Laval)
« Le contrefactuel à travers les genres : promenades entre uchronie et Histoire conjecturale »

10.30  - 11.30 Ioana VULTUR (CRAL)
« La réception de La Recherche : une question de genre ? »

12.00 - 13.00  Philippe ROUSSIN (CRAL)
 « Effacement générique, prescriptions génériques au XXe siècle »

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Résumés:

Marielle Macé

Connaître et reconnaître un genre littéraire.

 

Il s'agira, en guise d'introduction à nos rencontres, de tracer quelques pistes de réflexion sur les pratiques génériques : le genre, est-ce quelque chose que l'on perçoit, que l'on mobilise, ou dont on fait l'expérience ? Comment fonctionne la perception du genre ? Est-ce un souvenir, un rappel ? est-ce une perception de signaux formels, la reconnaissance de valeurs? Qu'est-ce que mobiliser un genre ? est-ce actualiser une règle, moduler une norme, emprunter un filtre, produire une idée globale du sens ? Qu'est-ce que faire l'expérience d'un genre ? est-ce que identifier un modèle, invoquer une filiation, percevoir une intention globale, produire une vision générique ?

Les notions de compétences et de reconnaissance nous sont apparues comme des leviers possibles pour ces questions. J'insisterai sur la dissymétrie de ces notions, qui mobilisent chacune un domaine de référence (linguistique / phénoménologie, histoire des formes), fonctionnent en couplage avec d'autres concepts (la performance / la mémoire et l'identité) et engagent des décisions fortes sur les usages et les relations génériques. Ce sont en particulier deux modes complémentaires ou concurrents de participation du genre à la constitution de connaissances, savoirs mobilisés ou savoirs produits par nos pratiques littéraires.

 

Le Roman de Montaigne, par Thibaudet : reconnaissance et mobilisation génériques.

Dans un article intitulé « Le Roman de Montaigne », Thibaudet part d'une réflexion sur le roman, sur l'histoire du genre et le savoir qu'il porte, pour aboutir à une lecture des Essais de Montaigne reposant sur une mobilisation singulière des catégories génériques. Il « reconnaît » en effet dans le texte de Montaigne, à l'état de potentialité et à l'état d'esquisse, un roman. A quoi sert-il à Thibaudet de mobiliser ici le modèle, non seulement innommé mais aussi anachronique, du roman ? Que reconnaît-il du genre romanesque dans les Essais ? Quels traits de l'un et l'autre genre mobilise-t-il ? Quel rapport existe-t-il entre ces signaux et la définition des genres eux-mêmes ? Quelle est enfin la pertinence de cette mobilisation du genre ? Comparant cette méditation sur les genres comme objets d'une expérience esthétique de reconnaissance (profondément empreinte du souvenir de Bergson) avec celles qu'ont aussi produite, plus récemment, Barthes, Genette, et Ricoeur (dans le souvenir commun de Proust), j'essaierai de montrer quelle conception cognitive du genre littéraire elle engage, et quelle configuration de l'histoire elle permet.

 

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Raphaël Baroni

 

Connaître, reconnaître, l'expérience des genres

Cette présentation visera essentiellement à introduire les différents participants ainsi qu'à dégager quelques enjeux qui seront abordés durant le colloque. Un court extrait d'une nouvelle de Marcel Aymé servira à illustrer certains aspects de la compétence et de la reconnaissance générique tout en éclairant la fonction heuristique qu'il est possible d'attribuer aux régularités génériques dans un contexte narratif.

 

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Ute Heidmann

Inscription des mythes grecs dans les genres : complexité et variation

À la différence des nombreuses études qui comparent les représentations anciennes et modernes des mythes grecs essentiellement sur le plan thématique, il s'agira ici d'illustrer l'impact de leur mise en langue, en texte et plus généralement en discours sur la construction et la réception des effets de sens généralement attribués aux mythes mêmes. Je montrerai que l'inscription des mythes dans les genres qui est ici conçue comme dynamique générique est un paramètre crucial qui interagit de façon étroite avec les dynamiques énonciatives et intertextuelles déployées par ce type de textes. L'analyse discursive et comparative des écritures d'un même mythe (je prendrai comme exemple celui de Médée) mettra en évidence le fonctionnement complexe de la transformation générique qui apparaît comme un intense dialogue intergénérique sous-tendant le dialogue intertextuel.

La comparaison de textes appartenant à des cultures, des langues et des époques très différentes (Euripide, Apollonius de Rhodes, Ovide, Sénèque, Sylvia Plath, Franca Rame et Dario Fo...) sur le plan de leur mise en discours et plus particulièrement de leur mise en genre révèle en effet que le mythe de Médée reçoit chaque fois une signification différente et complexe. Loin de simplement moduler un sens qui serait inhérent au mythe, les écritures anciennes et modernes s'avèrent capables de le réinventer par la mise en  langue.

 

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Claude Calame

 

Identifications génériques entre marques discursives et pratiques rituelles : pragmatique des genres « lyriques » grecs.

Dans l'Antiquité comme dans la modernité, la réception des règles de genre de la poésie dite « lyrique » en relation avec la compétence générique d'un poète créant sur commande a beaucoup varié dans le temps. A l'aide de la comparaison de deux poèmes qui croisent les règles des genres traditionnellement destinés à Dionysos d'une part et à Apollon de l'autre, on aimerait montrer qu'au-delà du contenu du poème, l'identification générique dépend autant des stratégies énonciatives qui traversent le chant que de l'institution qui en constitue le cadre de réception. De même qu'à l'époque hellénistique aussi bien l'activité d'édition de la poésie traditionnelle que les pratiques érudites de poètes savants ont conduit à une redéfinition des genres de la poésie mélique, à l'époque classique déjà le choix d'une catégorie générique dépend autant des modes de l'énonciation que de la pratique rituelle et du contexte cultuel qui portent le poème à son public, avec l'efficacité d'ordre pragmatique qui en découle.

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Dominique Maingueneau

Compétence générique et modes de généricité

La question de la compétence générique touche à la fois à la généricité et à la compétence. Si la généricité depuis une dizaine d'années a suscité de nombreux travaux, on ne peut pas en dire autant de la compétence générique. Cette communication n'a pas la prétention d'arriver à des résultats, mais seulement de prendre acte de la complexité du problème. Après avoir rapidement évoqué la problématique des modes de généricité esquissée au colloque de Dijon de 2002, je soulignerai la plasticité de la notion de compétence générique en prenant appui sur la spécificité des genres relevant de discours constituants, dans lesquels certaines communautés discursives jouent un rôle essentiel. De manière générale, plutôt que de spéculer sur la compétence générique pour elle-même, il est sans doute plus efficace de réfléchir sur ses principes de variation en fonction des activités discursives que l'on prend en compte. Cela m'amènera en particulier à réfléchir sur la relation très variable qui s'établit entre la compétence générique et ce qu'on peut appeler la « compétence de positionnement ».

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Jean-Michel Adam

 

Le récit dans tous ses états génériques. Histoires tragiques et contes d'avertissement et d'effroi.

Modifiant le projet de mise au point interne au champ de l'analyse linguistique des discours initialement annoncé, ma communication s'inscrit, de façon plus interdisciplinaire, dans le cadre des activités du Groupe de Recherche Interdisciplinaire en Analyse Textuelle et Comparée des Discours et des travaux que je mène actuellement, avec Ute Heidmann, sur les contes écrits. Cette communication prolongera trois de nos articles :

 « Des genres à la généricité. L'exemple des contes », paru dans Langages n° 153 (Paris, Larousse, mars 2004 : 62-72).

 « Du théâtre de Coppet aux contes des Grimm : les mutations génériques d'un étrange récit », paru dans le volume d'hommage offert à Doris Jakubec : Les textes comme aventure (Genève, Zoé, 2003 : 174-184).

 « Discursivité et (trans)textualité : la comparaison comme méthode. L'exemple des contes », paru dans Ruth Amossy & Dominique Maingueneau éds. : L'analyse du discours dans les études littéraires (Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2003 : 29-49).

La première partie de l'exposé portera sur les variations de la structure du récit et des modalités de la narration dans deux histoires sanglantes des frères Grimm : « Wie Kinder Schlachtens mit einander gespielt haben » (« Comment des enfants ont joué ensemble à l'abattage »). La première, le conte n° 22-I de l'édition de 1812 des Kinder- und Hausmärchen, recopie un récit rapporté par Heinrich von Kleist dans un quotidien berlinois, en 1810. Le conte 22-II ressemble quant à lui à une histoire tragique du début du XVIIème siècle, « Le jeu d'enfants », rapportée par Jean-Pierre Camus dans Les Spectacles d'horreur (Livre 1, XVIII, 1630).

Afin de comprendre les raisons de l'éviction, dès la deuxième édition, de ces histoires sanglantes présentes dans la première édition du recueil des Grimm, ces récits seront mis en relations avec certains de ceux qui sont mentionnés dans les notes érudites des deux frères, et nous les comparerons également au conte n° 26 (« Rothkäppchen ») et au célèbre « Petit chaperon rouge » de Perrault (1697), qui relèvent moins de la classe des contes merveilleux que des contes d'effroi (Schreckmärchen) et d'avertissement (Warnmärchen). Cette étude nous permettra d'illustrer notre hypothèse de l'appartenance d'un texte à plusieurs genres, hétérogénéité qu'exploitent très différemment ces récits.

 

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Richard Saint-Gelais

 

 

Le contrefactuel à travers les genres: promenades entre uchronie et Histoire conjecturale

 

Il est maintenant établi que la stabilité et la transformation des genres reposent sur une multiplicité de paramètres (formels, sémantiques pragmatiques, lecturaux) dont l'interférence est non seulement complexe mais, sans doute, diversement modulée selon les cas. Il n'est pas sûr en effet même si l'emploi indifférencié de la formule « compétence générique » tend à masquer cette hétérogénéité que les stratégies de lecture aient le même rôle à jouer face aux genres liés à des règles explicites et à ceux fondés sur des relations de ressemblance. On veillera aussi à distinguer la reconnaissance lecturale d'une affiliation générique (souvent décidée dès le paratexte) de la régulation des opérations interprétatives en fonction (notamment) de critères génériques : réduire la « généricité lecturale » à la première reviendrait à méconnaître une part importante de l'incidence du genre sur la lecture. Ces propositions générales, j'entends ici les mettre à l'épreuve par l'examen de deux formules génériques (l'appellation « genres » serait ici abusive) peu connues, instables, voisines et en même temps presque opposées: l'uchronie et l'Histoire conjecturale.

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Ioana Vultur

La Réception de la Recherche : une question de genre ?

 

Je me propose d'analyser, à la lumière d'une étude de cas, celui de la Recherche, dans quelle mesure la réception d'une oeuvre est une question de genre. La réception de l'oeuvre proustienne sera analysée dans son contexte d'origine, depuis 1913, date de la parution du premier volume Du côté de chez Swann et jusqu'en 1930 environ, le Temps retrouvé ayant paru en 1927.

 

Dans un premier temps, j'essayerai de voir en quel sens le genre fonctionne comme une norme de lecture, comme une catégorie de classification qui correspond à un horizon d'attente. La Recherche a en effet été catégorisée en premier lieu dans ses déviations par rapport au roman réaliste. C'est parce que la structure complexe du roman proustien s'écarte de la composition du roman balzacien, que certains critiques en sont venus à s'interroger sur le genre de l'oeuvre. Le genre a donc aussi une valeur heuristique pour la compréhension de l'oeuvre. La discussion sur le genre nous mène vers une discussion sur les modes de représentation et sur les formes de sensibilité artistique de la modernité.

 

 

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Argument:

Les genres « dépendent peut-être moins des textes eux-mêmes que de la façon dont ces textes sont lus ». Cette affirmation de Borges est au coeur du renouvellement des études sur les genres : après les tentatives de classement de la période romantique et les descriptions formelles de la période structuraliste, qui ont eu tendance à réifier ce qui n'étaient que des concepts opératoires ou des normes socio-discursives, la tendance actuelle est à l'appréhension du phénomène générique sous un angle pragmatique. L'extension de la réflexion sur les « genres du discours », qui déborde aujourd'hui les frontières floues de la littérarité, met elle aussi l'accent sur le dialogisme et les conditions de « l'intelligence réciproque entre locuteurs » (Bakhtine), aussi bien dans le contexte global des interactions verbales que dans le domaine des oeuvres de fiction écrites qui a longtemps constitué le corpus exclusif d'analyse.

La lecture et l'analyse peuvent aller très vite à la perception de grands genres du discours, mais on peut également viser l'appréhension de mécanismes plus fins de reconnaissance et de participation, définissant l'extension historique et sociale des genres comme normes discursives et esthétiques partagées par une communauté. Cette pragmatique des genres, et la permanence de la perception que nous en avons, suppose ainsi l'existence de compétences génériques, celles des auteurs et des lecteurs, qui peuvent être explorées aussi bien dans un sens cognitif qu'en termes textuels, formels, esthétiques, phénoménologiques, historiques ou encore sociaux.

Ce sont ces notions de compétences et de reconnaissance génériques que nous voudrions interroger, en en faisant le carrefour d'interrogations venues de plusieurs disciplines. Q'est-ce que l'expérience générique, et quel mode de connaissance constituons-nous à travers elle ? Quelles sont les procédures d'identification des genres ? Définissent-elle des protocoles de réception, ou une abstraction éminemment subjective et variable construite par chacun ? Quels sont les liens de la généricité avec d'autres concepts décrivant l'expérience des discours et des oeuvres (horizon d'attente, mémoire, pacte de lecture, stéréotypes et lieux communs, dimension illocutive des discours, « felicity conditions » des actes de langage...) ? L'expérience des genres repose-t-elle sur le postulat d'une communication esthétique ? En quoi les compétences génériques participent-elles de l'histoire d'un genre, et dans quelle mesure le contexte littéraire modifie-t-il ce rapport à l'historicité des normes discursives (notamment à travers le recours à la tradition) ? Comment les lecteurs acquièrent-ils des compétences génériques ? Prennent-elles des figures différentes selon les arts concernés ? Ces questions définissent certains des enjeux de la théorie actuelle de la généricité.