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Compétences, reconnaissance, et pratiques des genres

Compétences, reconnaissance, et pratiques des genres

Publié le par Marielle Macé


Compétences, reconnaissance & pratiques des genres 

Colloque international organisé par le Centre de Recherche sur les Arts et le Langage (CNRS-EHESS, Jean-Marie Schaeffer)
et le Groupe de Recherches Interdisciplinaires en Analyse Comparée des Discours (UNIL-IRIS4, Jean-Michel Adam)

organisation: Marielle Macé et Raphaël Baroni

Maison Suger (Maison des sciences de l’homme), 16 - 18 rue Suger, Paris 6e

Jeudi 21 avril

9h 30 Accueil et Ouverture : Jean-Marie Schaeffer.

Marielle Macé, Raphaël Baroni : « Connaître et reconnaître un genre littéraire »

10h-12h30. Présidence : Claude Calame (EHESS, Université de Lausanne)

 Effets de fiction et effets de genres

  • ·         Marc Escola (Université Paris-IV Sorbonne) : « Fiction et diction : effets de genre dans les Lettres de Mme de Sévigné »
  • ·         Alexandre Gefen (Université de Neuchâtel) : L’intelligence de la totalité biographique
  • Pause
  • ·         Mar Garcia (Université Autonome de Barcelone) : « Instance narratoriale, indices de fictionnalité et reconnaissance générique dans le roman négro-africain »
  • ·         Lorenzo Bonoli (Université de Lausanne) : « La lecture du texte ethnographique »

 

14h15-16h45 : Présidence : Marielle Macé (CNRS)

 Inventer un regard générique

  • ·         Florence Ferran (Université La Sapienza, Rome) : « L’expérience générique et ses pratiques d’appropriation. L’exemple de la critique d’art à sa naissance en France au XVIIIe siècle »
  • ·         Michel Murat (Université Paris-IV Sorbonne) : « La perception du poème en prose »
  • Pause
  • ·         Jean-Louis Dufays (Université catholique de Louvain) : « Quel cadrage générique face au brouillage des codes ? »
  • ·         Eric Marty (Université Paris VII-Jussieu) : « Roland Barthes : la question du genre neutre ».

Pause

17h00- 18h30

 Table ronde : « Y a-t-il un savoir des genres littéraires ? »

  • Nathalie Heinich (CNRS),
  • Laurent Jenny (Université de Genève),
  • Bernard Vouilloux (Université Bordeaux III).

 

Vendredi 22 avril

9h30-12h30 : Présidence : Philippe Roussin (CNRS)

 Reconnaître et s’orienter

  • ·         Rudolf Mahrer (Université de Lausanne) : « Style parlé ou genre oral? Étude linguistique du "roman parlant"»
  • ·         Séverine Hutin (Université de Besançon) : « Places et fonctions du genre épistolaire dans la réclamation écrite »
  • ·         Jean-Louis Jeannelle (Université Paris IV-Sorbonne) : « Les genres littéraires et le savoir des usagers : le cas des écritures de soi »
  • Pause
  • ·         Denis Saint-Jacques, Marie-José des Rivières (Université Laval, Québec) : « À quoi reconnaître L’Heure des vaches ? Ou qu'est-ce qu'un " récit du terroir " ? »
  • ·         André Petitat (Université de Lausanne) : Conte et pluralité interprétative

 

14h30-17h30 : Présidence : Raphaël Baroni (Université de Lausanne)

 Novations et prescriptions de genres

  • ·         Agathe Lechevalier (Université Paris III) : « Compétences du public et renouveau du roman dans les années 1830 »
  • ·         Andor Horvath (Université de Cluj) : "Kafka: premières proses. La position du narrateur"
  • ·         Philippe Roussin (CNRS) : « Effacement générique, prescriptions génériques au XXe siècle »
  • Pause
  • ·         Sabrinelle Bédrane (Université Paris III) : « Une conscience aigue des genres : Compétences et pratiques génériques des auteurs dans les recueils de récits brefs de l’Extrême contemporain »
  • ·         Pierre Sadoulet (Université de Saint-Etienne) : « Définition commerciale d’un genre et pratiques esthétiques : le cas du livre d’artiste »

18h. Discussion et conclusion des rencontres. Avec Jean-Marie Schaeffer.

NB. Cette session parisienne fait suite à une première session lausannoise du même projet (novembre 2004), dont on peut lire le programme, ainsi qu'un compte rendu par R. Baroni.

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Argument.

Compétences et reconnaissance des genres littéraires

 

Faisons nôtre l’attention des théories des genres littéraires, depuis J.M. Schaeffer, pour les usages, les pratiques et les fonctions : le genre littéraire c’est ce dont on se sert. Il s’agit de sortir de la problématique convenance-subversion qui fait du genre une mécanique de commentaire (D. Rabaté), au profit d’une réflexion sur ce qu’apporte, en particulier en termes cognitifs, la mobilisation des genres. Plutôt que de mettre l’accent sur l’irréductibilité de l’œuvre au genre, sur le jeu de cache-cache avec la postulation générique, il s’agit de s’interroger sur ce que la pratique des genres requiert et produit.

Le genre est la part de généralité et de « connu » qui assure la communicabilité du texte à son lecteur et son inscription dans l’histoire des formes, remplissant pour l’écriture, la lecture, ou la critique, une fonction de criblage, de médiation. Mais qu’est-ce qui exactement, du genre, préexiste, c’est-à-dire est disponible, pour les individus ? Quelle est la nature de ces usages des genres, comment s’y rapporte-t-on aux différents moments de l’histoire esthétique : un genre est-ce quelque chose que l’on perçoit (un modèle à identifier, des signaux formels à percevoir, des valeurs à reconnaître, une idée globale du sens, une intention d’ensemble), quelque chose que l’on mobilise (une règle à actualiser, une norme à moduler, un filtre à emprunter), quelque chose dont on fait l’expérience (une surprise, un souvenir, une filiation à invoquer, un regard générique à inventer) ?

Les notions de « compétence » et de « reconnaissance » nous sont apparues comme deux bons guides dans ce questionnement. Hétérogènes, venues d’horizons théoriques très différents, elles indiquent cependant toutes deux des modes de participation du genre à la constitution de connaissances propres à la littérature, des façons d’appréhender l’idée d’un savoir générique  : savoirs mobilisés ou savoirs produits par l’expérience des genres

 

Empruntée à la linguistique (celle de Chomsky) et aux sciences cognitives, appliquée cette fois aux pratiques génériques, l’idée de « compétences » met l’accent sur la question des critères et de leur maîtrise, et pose le problème de l’apprentissage de ces critères (le savoir que suppose un genre et les façons de l’acquérir). Tout trait esthétique est susceptible de devenir un trait de genre, une fois répété, varié, intégré à un « ensemble signifiant » (A. Compagnon). L’apprentissage scolaire et les lectures antérieures font la basse sourde de ce répertoire, système d’attentes et de capacités à percevoir les modulations, qui crée l’espèce d’habitus de ce que l’on pourrait appeler un regard générique global ou d’une conscience de genre. La notion de compétences nous invite aussi à nous interroger sur le type de connaissances que fait naître à son tour le genre littéraire, alors transformé en filtre cognitif : l’ensemble des compétences s’organise-t-il en effet en un savoir générique spécifique ? Le genre est-il définissable comme la modélisation d’un ensemble de compétences ?

Couplée à la notion de performance, elle dessine une temporalité duale, celle de l’actualisation d’un possible du code, qui correspond bien, il me semble, à notre perception intuitive de la narrativité comme logique des carrefours, ajustement, actualisation de potentialités. On peut d’ailleurs se tromper de genre (comme Swann a fait d’Odette). Il y a en littérature des dynamiques de fausse reconnaissance qui s’insèrent très bien dans les pratiques génériques.

 

La « reconnaissance » (au singulier cette fois) entraîne sur des terrains conceptuels différents. Empruntée aux philosophies de la perception, du sujet et de la temporalité, elle a connu des développements importants en phénoménologie. Le modèle du fonctionnement générique devient celui du regard, et du portrait comme objet privilégié d’une phénoménologie de la relation à l’œuvre (à laquelle en appelait D. Combe). La reconnaissance met l’accent sur l’expérience générique dans sa singularité, voire sur le plaisir générique, exploré par G. Genette ; elle pose le problème de l’identité, reformulée non en termes de critères, mais d’exemplarité, de comblement, de plaisir générique, comme celui que l’on éprouve avec le romanesque, entendu comme reconnaissance du comble du roman, acquiescement à un état hyperbolique du genre.

La temporalité générique n’y est plus celle de l’actualisation, mais de la mémoire en tant que telle : mémoire existentielle (la reconnaissance supposant la mobilisation globale d’un souvenir), et mémoire littéraire, le genre étant alors essentiellement pensé comme une façon de se rapporter au passé esthétique ; tout ensemble en avant et en arrière de son temps, il devient une scansion essentielle du temps des œuvres. La reconnaissance suppose en effet des objets « touchés par le changement  » (P. Ricoeur, dans le souvenir de Bergson).  L’idée de reconnaissance met en cela l’accent sur l’histoire littéraire, en faisant du genre la composante essentielle d’une « archive » (D. Maingueneau), l’outil de mobilisation d’une mémoire dans sa généralité. Une tradition exténuée peut continuer d’exister dans l’hommage ou le saccage ; un texte peut charrier tout un bloc mémoriel sur un fait de langue ténu ; le fonctionnement des genres change considérablement dans l’histoire.

En termes cognitifs, la reconnaissance consiste en la « réitération de la force du connaître ». Plusieurs composantes donc dans ce cas particulier de connaissance : la médiation du général (ou d’une œuvre qui « vaut le genre » comme dit G. Genette), le sentiment du vrai, et le sentiment du comble. Reconnaître, enfin, c’est aussi « voir comme », solliciter une compétence littéraire pour produire un regard générique, et finalement un nouveau savoir, tel celui qu’a forgé Barthes, en une véritable pensée existentielle du genre, dans l’étonnante Préparation du roman.                  

Marielle Macé.

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La version complète de ce texte d'introduction, "Connaître et reconnaître un genre littéraire" est consultable en ligne.