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Sémiotique, engagement et implication (Paris)

Sémiotique, engagement et implication (Paris)

Publié le par Romain Bionda (Source : Juan ALONSO ALDAMA)

 

Réseau Doctoral - Grand Paris Sémiotique, RD-GPS

COLLOQUE le 19 et 20 octobre 2018

19 octobre : Université Paris 8 (Amphithéâtre X, Bâtiment L, 2 rue de la Liberté, 93526 Saint-Dénis)

20 octobre : Université Paris Descartes (Amphithéâtre Durkheim, Sorbonne, 12, rue Cujas, 75006 Paris)

 

Sémiotique, implication et engagement

 

La situation politique, médiatique et numérique internationale actuelle offre de multiples exemples d’une profonde crise du sens : impossibilité d’un consensus sur les raisons du changement climatique et sur les moyens à mettre en oeuvre pour le limiter ; arrivée au pouvoir ou montée en puissance de populismes, entraînant la recomposition des échiquiers politiques traditionnel et le flottement des habitudes d’interprétation et d’action ; tensions renouvelées autour du nucléaire faisant apparaître la possibilité de nouvelles guerres ou la réactivation d’anciens conflits ; regain de popularité des théories du complot et rejet de la presse par les « fake news », les « faits alternatifs » ou la « post-vérité », altérant le débat démocratique ; crise économique persistante, mettant en cause le projet européen, et aggravant certaines inégalités ; crispations sur les questions migratoires, à l’origine de questionnements « identitaires », d’ostracisme et de repli sur sa communauté ; regain de tensions entre religion et politique, autour du terrorisme entre autres ; etc.

Face à cette situation sémantique inédite, la sémiotique, à travers ses différentes théorisations du sens, dispose d’outils pour interroger ce qui, aux yeux de beaucoup, apparaît comme une montée de l’insensé.

Pourtant, on a souvent reproché aux sémioticiens de tout bord – et plus largement à l’ensemble des chercheurs – leur manque d’engagement. On les soupçonne de préférer le confort de leur « tour d’ivoire » au corps-à-corps avec le monde. Mais cette bipartition entre des sémioticiens engagés, prenant en compte leur environnement, s’engageant à améliorer sa lisibilité et à le transformer, tandis que d’autres resteraient retirés, au nom de la nécessaire distance qui doit soutenir toute réflexion, est-elle tenable ? C’est la question sous-tendue par le titre de notre colloque. La triade « sémiotique, implication et engagement » fait naître des tensions et interroge la diversité des positions. L’étude du rapport entre ces trois termes permet par exemple de se demander s’il est possible de concevoir un discours engagé mais objectif, ou un sujet neutre et distancié mais impliqué dans sa recherche. De même, l’extension possible des termes d’« implication » et d’« engagement » au-delà de leur connotation « politique » ou performative conduit à interroger la possibilité d’une réflexion engagée qui n’aurait pas la mise en pratique comme visée immédiate.

Supposant une tension entre le chercheur, l’objet de sa recherche et le contexte social et culturel dans lequel elle s’insère, implication et engagement peuvent se manifester sous différentes formes et à divers niveaux.

Au niveau thématique, et de manière « classique », on peut tout simplement prendre position face à un objet en lui-même polémique, selon le « J’accuse » fondateur de Zola, le modèle sartrien de l’intellectuel engagé, ou l’implication de Foucault dans le monde carcéral.

Au niveau énonciatif et dans la pratique de recherche elle-même, le sémioticien peut également se rendre plus ou moins présent à son discours. De l’effacement conventionnel des marques de la subjectivité dans l’écriture académique à l’implication revendiquée du « je » dans les approches situées, le spectre énonciatif s’est agrandi. Comment les marques énonciatives impersonnelles peuvent-elles coexister avec un engagement « réel » du sujet ? Inversement, un discours subjectivé et situé est-il toujours révélateur d’un sujet engagé ?

Au niveau épistémique enfin, la « distanciation » du discours et de la démarche sémiotiques est peut-être la manifestation d’un engagement scientifique maximal auquel une trop forte implication passionnelle ou subjective serait paradoxalement nuisible. Cet engagement scientifique aurait trait à une prétention sinon à la « vérité » du moins à la « vraisemblance » que l’on atteint lorsqu’on porte une prémisse jusqu’à ses dernières conséquences. L’engagement structural à décrire le texte comme un « tout de signification », observe Jacques Fontanille, « est de nature politique, dans la mesure où la description est un désenfouissement des idéologies et des systèmes de valeurs masqués dans le texte »1. La sémiotique a affaire aux axiologies ; leur mise en oeuvre, en discours et en récit, définit des idéologies.

Par ailleurs, le problème du rôle thématique et de « l’éclatement » du sujet qu’il implique en instances parfois contradictoires est également à considérer. En effet, le sémioticien n’est pas que chercheur. Il est susceptible d’endosser un grand nombre de fonctions qui moduleront son implication directe dans la vie sociale. Enseignant, il forme de futurs citoyens ; expert, il intervient auprès d’institutions publiques, en maintenant une forme de neutralité ; consultant, il formule des préconisations pour des entreprises privées en vue d’orienter les réalisations des commanditaires d’études sémiotiques ; militant, il débat de ses positions et descend dans la rue…

L’engagement et l’implication doivent-ils alors être identifiés en fonction du niveau discursif où ils se manifestent et du rôle thématique auquel ils sont associés ? Ou bien faut-il les considérer comme le résultat d’une évaluation globale ? Qu’en est-il de la nécessité (ou non) de cohérence entre leurs différentes formes au sein d’un même sujet (cf. l’intellectuel dont la théorie, rationnelle et logique, est contredite par la pratique) ? Plus encore, la définition du terme « engagement » nous invite à l’analyser en tant que foyer narratif : mettre en gage implique de passer un contrat et de faire une promesse. Or, l’engagement en tant que valorisation – comme lorsqu’on parle d’une « personne engagée » – peut-il exister au stade du « contrat », ou bien exige-t-il la lecture rétrospective d’un observateur situé à la fin du récit ? Autrement dit, l’engagement est-il seulement un contrat, ou bien ne peut-il être reconnu que comme un contrat honoré ?

Qu’elle soit d’origine saussurienne – centrée sur l’immanence linguistique –, ou d’origine peircienne – centrée sur la pragmatique du signe et ses effets – la sémiotique promet lisibilité et cohérence dans l’interprétation des sémioses, y compris dans leurs paradoxes et contradictions. Elle fait appel à un engagement tout particulier, non seulement par les visées concrètes de ses analyses, mais aussi par le questionnement continu de ses fondements épistémologiques. Car il est également possible d’envisager l’implication dans son acception logique ou linguistique, en considérant ce qu'une action, scientifique dans notre cas, implique comme conséquence. La sémiotique laisse alors la place aux débats entre les sémiotiques et à ce qu’elles engagent. Par exemple, le modèle sémiotique narratif et la conception structuraliste binariste impliqueraient une vision du sens et du monde en général agonistique. Ainsi, est-ce qu'une position épistémologique ou théorique a, donc implique, des conséquences qui dépassent son champ ?

« Les structures ne descendent pas dans la rue » : ce célèbre slogan inscrit sur les murs de Paris dans l’effervescence du mouvement de Mai 68 condense de manière exemplaire la critique adressée, à l’époque et par la suite, au structuralisme et aux disciplines qu’il a irriguées. De la réflexion sur l’engagement à la réflexion engagée, ce colloque souhaite se confronter à cette problématique de manière large et ouverte, afin de répondre aux défis de compréhension et de lisibilité de notre monde contemporain. Il est ouvert aux doctorants et aux chercheurs de tous les domaines sémiotiques souhaitant se confronter à l’urgence d’un questionnement particulièrement prégnant de nos jours, qui semble pourtant, et quoi qu’on en dise, consubstantiel à notre discipline : comment faire descendre les structures dans la rue ?

 

I. Geste sémiotique, geste politique

Problème de la cohérence entre la réflexion et l’action : passerelles, incompatibilités, contradictions.

II. Régimes d’énonciation et formes de l’engagement

De l’effacement des marques de l’énonciation à l’implication maximale du sujet dans le discours et ses effet, quel rapport entre subjectivité et engagement ?

III. Éthique de l’immanence

L’engagement épistémologique comme forme de vie.

IV. Apprendre, apprendre à apprendre

Fonctions et valeurs pédagogiques de la sémiotique.

 

Programme

VENDREDI 19 OCTOBRE (Université Paris 8, Amphithéâtre X, Bâtiment L)

 

9h30 -   Accueil

Ouverture (D. Bertrand et B. Darras) : Sémiotique et sujets brûlants

9h45 -   Denis Bertrand (Paris 8) - L’écriture inclusive : détour par l’immanence ?

Bernard Darras (Paris 1) - Séduction ou harcèlement ? Déconstruction du jugement du sémioticien

10h45 - Jean-Didier Urbain (Paris 5) - De l’engagement dans l’ordinaire. Sémiotique de la culture et approches des réalités familières. Une étude de cas.

11h30 - Pause

11h45 - Flore Di Sciullo (Paris 2) - Annoncer, énoncer, dénoncer : quand une revue d’art s’engage à dire le politique. Les éditoriaux la revue art press, 1972-2018

12h15 - Ludmila  Boutchilina-Nesselrode (Paris 8) - Structures sémiotiques d’engagement dans « J’accuse ! » d’Emile Zola et dans « Indignez-vous ! » de Stéphane Hessel

12h45 - Déjeuner

14h00 - Frédérique Krupa (Paris 1) - Sémiotique pragmatique et stéréotypes de genre dans les TIC

14h30 - Karen Brunel-Lafargue (Paris 1) - Signifier la responsabilité chez le designer graphique. Rencontre entre le cycle des habitudes et la moralité réflexive.

15h00 - Daniela Brisolara (Paris 1) - Design et sémiotique : valeurs pédagogiques et engagement politique

15h30 - Pause

16h00 - Inga Velitchko-Topeshko (Paris 8) - Sémantisation des gestes dans le discours politique : analyse et engagement

16h30 - Juan Alonso Aldama (Paris 5) - Du désengagement et de la défection : processus sémiotiques de désagrégation actantielle

 

SAMEDI 20 OCTOBRE (Université Paris Descartes, Sorbonne Amphithéâtre Durkheim, 12 rue Cujas, 75005 Paris)

9h30 -   Ouverture de la journée (Marie-Christine Lemardeley, adjointe à la Maire de Paris pour l’enseignement supérieur, la vie étudiante et la recherche)

10h00 - Valérie Brunetière (Paris 5) - De l’analyse à l’acte : sémiologie impliquée vs sémiologie appliquée ?

10h45 - Camille Casale (Paris 1) - Le chercheur situé. La tentation de l’engagement mise à distance par les méthodes scientifiques

11h15 - Pause

11h30 - Verónica Estay, Raphaël Horrein (Paris 8) - Reculer pour mieux s’engager ? Sémiotique et Cultural studies

12h15 - Ivan Darrault-Harris (Limoges) - S’engager en sémiotique : un défi à relever ?