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Susan Sontag: le souci du cinéma (ENS Paris)

Susan Sontag: le souci du cinéma (ENS Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Aurélie Ledoux)

Colloque « Susan Sontag : le souci du cinéma »

École normale supérieure (paris), 8-10 octobre 2020

 

Le colloque « Susan Sontag : le souci du cinéma » s’inscrit dans la continuité des travaux, menés ces dernières années en France, qui consistent à appréhender les œuvres fondatrices de la pensée contemporaine depuis leur rapport au cinéma. Ce travail de relecture des grands auteurs de la théorie française (de Sartre à Derrida en passant par Lacan ou Foucault) a conduit récemment à revenir sur l’œuvre de Roland Barthes pour mesurer à la fois tout ce que celle-ci doit au cinéma et, réciproquement, tout ce que cette pensée – y compris par ses réticences – révèle encore des enjeux de la théorie et de la pratique cinématographiques (Colloque « Barthes et le cinéma : “En sortant du cinéma” », 14-15 octobre 2015, ENS Ulm). Un tel geste s’impose également pour Susan Sontag, dont la pensée entretient des liens étroits avec la culture française de l’après-guerre et les modernités européennes.

Comme pour Roland Barthes, dont elle fut l’amie intime, il existe une dissymétrie frappante entre l’intérêt que Sontag a porté toute sa vie au cinéma et la manière dont s’est construite sa postérité intellectuelle. On connaît bien sûr l’importance de la photographie dans l’œuvre de Sontag. On peut savoir aussi qu’elle s’est particulièrement intéressée à la danse, au théâtre et à la littérature – qu’elle-même fut romancière. Mais la question cinématographique reste marginale dans les travaux portant sur son œuvre alors même que le cinéma fut pour elle une passion de premier plan. La publication de son Journal suffirait à en témoigner. Elle y consigne les séances de cinéma aussi méticuleusement que les lectures, et les premières semblent jouer un rôle aussi important que les secondes dans sa formation intellectuelle (Renaître : journaux et carnets, 1947-1963). De cette cinéphilie, elle rendra compte plus tard explicitement : « la grande révélation, pour moi, avait été le cinéma […]. Il était clair pour moi qu’aucun autre art n’était si largement pratiqué à un niveau aussi élevé. Une de mes réussites les plus heureuses, durant ces années où j’écrivais les textes rassemblés dans L’œuvre parle, est qu’aucune journée ne se passait sans que je vois un, parfois deux, ou trois films. » (« Là et ici », Temps forts). Mais, plus encore, on oublie souvent que Susan Sontag fut elle-même cinéaste, réalisant quatre longs-métrages au cours de sa vie : trois films de fiction (Duett för kannibaler en 1969 ; Bröder Karl en 1971 avec Laurent Terzieff ; Unguided Tour en 1983 avec Lucinda Childs) et un documentaire (Promised Lands en 1974). Ses films, rarement vus et rarement diffusés, ont été peu commentés, alors même qu’ils témoignent aussi bien du dialogue de Sontag avec la modernité cinématographique que des préoccupations esthétiques et politiques de sa pensée.

Dans ses essais, la cinéphilie de Sontag se manifeste soit sous la forme de critiques portant sur un film ou un réalisateur en particulier (Godard, Resnais, Fassbinder, Bresson…), soit dans des textes plus généraux sur le cinéma (le déclin du cinéma dans « Un siècle de cinéma », « Théâtre et cinéma »…), soit encore par les nombreuses références et analyses filmiques qui viennent nourrir sa réflexion sur l’art et la culture. « Contre l’interprétation » fait ainsi jouer au cinéma un rôle paradigmatique, comme si les films, par « la pure, troublante, intraduisible intensité de [leurs] images », offraient une résistance particulière au réductionnisme interprétatif ou du moins permettaient de saisir plus pleinement cette part sensible des formes qui est au cœur de l’« érotique de l’art » (« erotics of art ») défendue par Sontag en lieu et place de l’herméneutique. En revendiquant une approche des films qui semble a priori inconciliable avec les orientations sémiologiques à venir comme avec le tournant culturel qui s’emparera des études cinématographiques, la posture esthétique de Sontag définit une voie originale, qui oblige à repenser les lignes de partage traversant habituellement la pensée du cinéma.

Mais ses choix esthétiques, comme la manière dont elle fait du cinéma un objet privilégié pour conduire une analyse des phénomènes culturels de son temps, impliquent également des distinctions et des gestes théoriques qui relèvent de l’ensemble de sa pensée et l’éclairent en retour. Il semble ainsi impossible de séparer la question du cinéma de la réflexion au long cours que Susan Sontag a menée sur les médias et la culture populaire. Bien qu’il ait fini par être désavoué par son auteure, le fameux essai sur le camp pose très tôt, et sous la forme d’une fulgurance, les enjeux qui traverseront toute son œuvre : la distinction/indistinction entre art et culture de masse, la revendication du sérieux (« seriousness ») face aux jeux postmodernes, le lien entre éthique et esthétique. Mais, plus encore que ce dernier point, qui soulève le problème général du sens moral et politique des formes et que l’on retrouve d’ailleurs au plus haut point dans ses essais sur Riefenstahl (« Fascinant fascisme ») et Syberberg (« Hitler selon Syberberg »), c’est la question de l’Histoire et de la mémoire – en particulier celle de l’horreur – qui instaure comme un dialogue secret entre la réflexion sur le cinéma et les textes de Sontag sur la photographie : sans réduire un médium à un autre et sans nier la spécificité de l’image fixe quant à la question du souvenir, l’inquiétude de Sontag vis-à-vis des usages de la photographie dans le contexte médiatique et culturel contemporain est susceptible de nourrir une réflexion sur les « effets historiographiques » de l’image filmique. Si, comme l’écrit Sontag, la photographie demeure par sa fixité « plus incisive » et donc plus « mémorable », le danger de la perte de l’historicité par la substitution de l’image de l’événement à l’événement lui-même doit aussi se comprendre par rapport à un environnement d’information saturée et d’imagerie incessante. Le problème repose donc moins sur le médium photographique en lui-même que sur son inscription dans une certaine économie postmoderne de l’image et de la communication – en quoi le bon mot de W. J. T. Mitchell, selon lequel l’essai Sur la photographie aurait plutôt dû s’appeler « Contre la photographie », ne serait finalement pas fondé. Dans cette perspective, l’image filmée peut, comme l’image photographique, occuper dans la mémoire la place de l’événement qu’elle devait seulement documenter ou, réciproquement, condamner le présent à n’être plus vécu que comme du « déjà vu », à l’instar des attentats du 11-Septembre que Sontag donnait comme exemple d’une catastrophe condamnée par Hollywood à prendre l’apparence de sa représentation (Devant la douleur des autres).

Ce colloque vise donc à rendre compte de ce qui ne fut pas simplement un intérêt, mais de ce qu’il faut bien considérer dans l’œuvre de Sontag comme un véritable souci du cinéma, ce dernier étant pour elle tout à la fois un objet de passion, une pratique désirée et le lieu privilégié pour penser les sujets qui ont inquiété sa pensée.

Ces différents axes seront abordés lors des journées qui se tiendront dans la salle Jean Jaurès de l’ENS du 8 au 10 octobre 2020.

Les propositions de communication (de 300 à 500 caractères maximum), ainsi qu’un bref CV de 10 lignes, doivent être adressées avant le 1er février 2020 à

Aurélie Ledoux (aledoux@parisnanterre.fr) et Antoine de Baecque (antoine.de.baecque@ens.fr).