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Colloque Sexe et discours social de la Belle Époque à nos jours

Colloque Sexe et discours social de la Belle Époque à nos jours

Publié le par Pascal Brissette

Programme et résumé des présentations

Université McGill, vendredi 29 octobre 2004

 

 

PROGRAMME

9h15 : Ouverture

Matin : Chastetés

9h30 : Chloé Pirson (Université Libre de Bruxelles)

« Les musées anatomiques forains :  sexe et pédagogie sociale »

10h00 : Luc Breton (Université Laval)

« Sexe et discours réactionnaire : L'Action française et la réglementation de la vie pulsionnelle »

10h30 : Fanny Bugnon (Université d'Angers)

« La sexualité au service de la patrie : le discours des Repopulateurs français (1918-1923) »

11h-11h15 : PAUSE

Avant-midi : Gestations

11h15 : Marc Décimo (Université d'Orléans/Collège de Pataphysique)

« Sexeposer ou ne pas : de Jean-Pierre Brisset à Marcel Duchamp »

11h45 : Thomas Dupuis (Emory University)

« La mauvaise époque du sexe »

12h30 : DÎNER

Après-midi : Perversions

14h30 : Olivier Bessard-Banquy (Université Bordeaux-III)

« L'image du sexe dans la littérature française contemporaine »

15h00 : Christine Detrez (École Normale Supérieure)

« Désordre sexuel et ordre moral ? L'érotisme comme facteur de conservation des structures familiales classiques »

15h30 : Jamil Dakhlia (Université Nancy-II)

« Les sexe symboles de la culture people »

16h00 : COCKTAIL

 

Résumé des présentations

 

Les musées anatomiques forains :  sexe et pédagogie sociale

Chloé Pirson, Université Libre de Bruxelles

 

La production de cires anatomiques enterrine, dès la fin du XVIIe siècle, un nouveau mode de représentation du corps. A l'usage des médecins et recherchées par des amateurs éclairés, ces anatomies plastiques entrent, à la Belle Epoque, dans un champ de réception nouveau : l'univers de la foire (1870-1930 /1980). Par le truchement des moulages en cire, les forains offrent au grand public une cartographie de l'anatomie normale et pathologique posée suivant une théâtralisation et un discours moralisant, cristallisés autour d'une problématique médico-sociale d'époque : la syphilis.

 

De mandarinal, le savoir médical dont sont porteuses les cires se fait désormais populaire ; les termes de la visite oscillant entre rationalisme scientifique et exhortation hygiéniste, éducation des masses et prêche contre le vice. Les Cabinets réservés aux maladies vénériennes témoignent tant de la réalité sociale du Mal de Naples que de sa mise en liaison avec une lutte contre ce qui est perçu comme le résultat d'une sexualité déviante mettant aux premières loges le statut de la courtisane et de la prostituée. La vision et le discours judéo-chrétien sanctifiant une approche vertueuse de la chair est d'autant plus frappante que ce "temple de la contamination" (succession de moulages de sexes indurés de chancres à différents stades) joue sur un coudoiement entre les notions de moulage et d'incarnat, de corps et de chairs. Le contexte fin de siècle - tant au niveau littéraire que plastique - rend compte des préoccupations en matière de sexualité, vue sous le prisme de la maladie.

 

Sexe et discours réactionnaire :

L'Action française et la réglementation de la vie pulsionnelle

Luc Breton, Université Laval

Pour mettre un terme à l'inflation des « coucheries », au démembrement des familles par le divorce ou encore aux relations extraconjugales qui, selon les idéologues de l'Action française, déchirent la République, une solution s'impose : le retour du roi et, avec lui, l'autorité du « Père » et l'ordre familial. Car, ainsi que le soutient Léon Daudet, « le propre de la démocratie est de mettre en doctrines les bas instincts » (Une campagne d'Action française, 1910). Si le discours de ces néo-royalistes participe, à l'évidence, de la vision du monde « crépusculaire » (Angenot) de la fin du XIXe siècle, il n'en demeure pas moins qu'un projet politique (et moralisateur) se dégage de leurs constats sur le désordre sexuel. Leur diagnostic n'est pas étranger aux préoccupations fessiculaires des courants littéraires dominants de l'époque (l'obsession des naturalistes et des décadents pour la perversion, les détraquements sexuels, les hystériques ou les prostituées est bien connue) qui ne font que confirmer à leurs yeux la dégénérescence de la nation. Ce discours réactionnaire, par son antimodernisme et son antidémocratisme consentis, illustre bien l'observation de Marc Angenot selon laquelle « le sexe est toujours thématisé avec d'autres idéologèmes » (Le cru et le faisandé). En effet, le sexe chez Maurras ou Daudet ne vient jamais seul ; il s'accompagne d'un faisceau d'idéologies, de prises de position et d'une appréhension rétrospective (normative) du sexe qui refuse l'autonomisation de la « chose » sexuelle propre à la modernité (c'est-à-dire sa distanciation d'avec la tradition qui la relègue dans l'espace privé de la famille, en vertu d'un contrat de mariage, etc.).

Notre communication voudrait interroger ces connexions entre sexe et politique ou, plus précisément, entre sexe et réaction afin de voir ce que sous-tend la « réglementation de la vie pulsionnelle » (selon l'expression de Norbert Elias) dont Maurras et Daudet souhaitent l'avènement pour pallier au « désordre » social (qui semble généralisé de leur point de vue) de la Belle époque. Pour illustrer notre propos, nous insisterons en particulier sur Les amants de Venise (1902) de Maurras (essai qui fustige le sentimentalisme romantique et l'utopie de l'amour heureux) et sur le Partage de l'enfant (1907), un roman à thèse de Daudet s'en prenant à la dissolution des familles par le divorce et aux « coucheries » ; autant de « stupidités » et de nuisances à l'ordre social imputables à la modernité et à la démocratie (telles que vues et interprétées par Daudet et ses confrères).

 

La sexualité au service de la patrie :

le discours des Repopulateurs français (1918-1923)

 Fanny Bugnon, Université d'Angers

 

Les années qui font suite à la Première Guerre mondiale en France sont le théâtre de bouleversements sociaux importants. La société française traverse une crise profonde. Ceux que l'on appelle les Repopulateurs, hantés par la baisse démographique, profitent alors de la terrible saignée humaine et de ses conséquences sur la vitalité nationale pour agiter le spectre du déclin de la France. Accusant la diminution constante de la natalité de mettre en péril le pays et d'être la traduction de la décadence des moeurs ravageant la société française, ce courant, emmené par l'Alliance nationale pour l'accroissement de la population française, fait figure d'exception, transcendant les divisions politiques et religieuses classiques. Influer sur les comportements sexuels de la population française est leur objectif majeur. L'urgence démographique provoquée par cinq années de conflit propulse la question sur le devant de la scène : les intérêts des Repopulateurs se concrétisent alors par une nouvelle législation en matière de contrôle de la sexualité. Retenons les deux principales mesures répressives : les lois du 31 juillet 1920, faisant de la « provocation à l'avortement et de la propagande anticonceptionnelle » des crimes, et du 27 mars 1923, correctionnalisant l'avortement, les jurés d'assises étant considérés comme laxistes. Les Repopulateurs entendent légiférer sur les moeurs au nom de l'hygiène sociale et de l'intérêt de la Patrie. Cette politique illustre le décalage entre les motivations des Repopulateurs et l'évolution indéniable de la limitation volontaire des naissances.

Le propos de cette communication est de se pencher sur les liens entretenus entre l'idéologie repopulatrice et l'antiféminisme entre 1918 et 1923 : comment le discours répressif à l'égard de la sexualité non procréative s'inscrit-il dans la dimension nationaliste de  l'antiféminisme?

 

Sexeposer ou ne pas : de Jean-Pierre Brisset à Marcel Duchamp

Marc Décimo, Université d'Orléans/Collège de Pataphysique

 

Il s'agirait de développer comment et pourquoi un discours à caractère sexuel, obsessionnel, pornographique, celui de Jean-Pierre Brisset (1837-1919), une théorie parfaitement inédite et irrecevable (scientifiquement et jugée moralement scandaleuse) trouve une réception de plus en plus large. De montrer comment cette littérature, -- sexuelle et irrationnelle --, devient pour Marcel Duchamp l'enjeu de l'Art par l'effet produit. Parce que l'Art doit surprendre. Parce que la surprise doit être au rendez-vous. Cette surprise correspond à la découverte de la sexualité chez les grenouilles et, sans doute, pour Brisset lui-même. Pour Duchamp,  par équivalence, elle correspond à la perplexité que provoque, par exemple, le readymade, et à l'importance que Duchamp prête aussi à l'érotisme dans l'ensemble de son oeuvre. Duchamp, dès 1912, est un grand lecteur de Brisset -- comme, plus tard, André Breton, Raymond Queneau ou Michel Foucault.

 

Cet itinéraire va donc de la fascination qu'exerce le texte de Brisset à la fascination que peuvent exercer sur le regardeur readymades et oeuvres diverses de Duchamp, qui ne s'exposent pas ou si peu, ensemble dont l'importance théorique n'a cependant cessé d'augmenter. Va des grenouilles de Brisset qui se découvrent un sexe en se métamorphosant en hommes (quoi ? coa ? qu'est-ce que c'est ? que sexe est ?) à, par exemple, Paysage fautif (1946), une oeuvre que Duchamp offre à sa maîtresse. Cette oeuvre, un jet de sperme humain sur astralon noir, n'est-elle pas précisément affaire d'émission et de réception ?

 

 

La mauvaise époque du sexe

Thomas Dupuis, Emory University


Le romancier français Roger Martin du Gard (1881-1958) passa les vingt dernières années de sa vie sur Le Lieutenant-Colonel de Maumort, qu'il laissa inachevé et dont les fragments furent seulement publiés en 1983. Un des objectifs de cette oeuvre ultime d'un Nobel était de parler librement du sexe, plus précisément d'écrire un roman autodiégétique traitant de la masturbation. Ce qu'il reste de ce roman, inscrit dans la relation avec Gide, c'est un magnifique échec.

 

Cet échec peut s'expliquer à l'aune de discours qui dépassèrent son propos. La parution par exemple dès 1948 en France du rapport Kinsey ramène la masturbation à une simple variation statistique sur la ligne continue des pratiques sexuelles, rendant par là même plus difficile tout traitement littéraire de l'anormalité. Bien plus, l'homosexualité que l'on peut tenir pour un des propos secrets du projet de Martin du Gard commence à perdre son statut extraordinaire, invalidant la tentative romanesque de la coder. Le discours psychanalytique par ailleurs, en concurrence avec la littérature, modifie la forme de la confession. Bref, le clivage entre vies sociale et secrète n'assure plus l'épaisseur d'un personnage littéraire.

 

Si l'auteur de la grande fresque de la Belle Époque que constituent les Thibault, parus entre 1922 et 1940, ne parvenait plus à parler, c'est peut-être que constamment le seuil de la transgression reculait. Nous n'avons du projet initial qu'un récit inachevé suivi d'un arsenal de fiches « scientifiques », mais ce refus du roman de se constituer porte finalement, contre l'intention de son auteur, la trace crue des tensions de l'époque.


L'image du sexe dans la littérature française contemporaine

Olivier Bessard-Banquy, Université Bordeaux-III

Je propose d'intervenir sur l'image du sexe dans la littérature française contemporaine, notamment à partir des textes de Michel Houellebecq, Virginie Despentes, Catherine Millet. Un choc de plus en plus patent oppose les dicours convenus des publicitaires sur les bienfaits de la vie de couple et de famille et la trame désenchantée voire violente d'une bonne part du roman français contemporain qui donne systématiquement de l'acte sensuel une vision dure, âpre, nerveuse.

 

S'agit-il là d'une posture racoleuse ? d'une récation face aux injonctions hédonistes? à l'obligation du plaisir ? y a-t-il une véritable dégradation du lien hommes-femmes comme la libéralisation des échanges entraîne une usure des liens sociaux au travail ? comment comprendre que la littérature d'aujourd'hui soit devenue inapte à donner de l'aventure érotique une vision fraîche comme les auteurs libertins pouvaient le faire au XVIIIe siècle ? C'est à toutes ces questions que je voudrais pouvoir réfléchir dans le cadre de votre colloque.

 

 

 

 

Désordre sexuel et ordre moral ?

L'érotisme comme facteur de conservation des structures familiales classiques

Christine Detrez, École normale supérieure

 

Je travaille actuellement sur les représentations contemporaines du corps féminin, notamment dans la littérature féminine contemporaine et dans leur diffusion par les magazines féminins. Les nouvelles auteures (Millet, Cusset, Despentes, Reyes, etc...) ont ainsi la réputation sulfureuse d'exposer sans pudeur la/leur sexualité, et d'en explorer les moindres aspects. De la même façon, les magazines féminins multiplient les conseils en matière de conduite sexuelle.  Dans la ligne des travaux de Foucault, ou plus récemment de Rémi Lenoir, Eric Fassin ou Michel Bozon, mon objectif serait de montrer que perdure derrière cette apparente libération et cet éclatement des cadres et normes une image classique de la cellule familiale - et notamment du couple - comme noyau référentiel. L'étude d'articles parus dans certains journaux féminins permet ainsi de voir comment ces derniers interviennent comme de nouveaux « entrepreneurs de morale », pour reprendre l'expression de Howard Becker : tout en diffusant l'idée d'une libération des moeurs, ils utilisent celle-ci au profit d'une défense implicite de structures familiales classiques, allant même jusqu'à prouver « scientifiquement », par le recours à la biologie, la nécessité de conserver son couple, au delà d'éventuelles aventures sexuelles. De nombreux romans féminins actuels, vendus dans des lieux de grande diffusion et trouvant une place symbolique dans les colonnes de ces magazines, sont fondés sur une identique ambiguïté : l'érotisme affiché agit comme conservation et non pas dislocation de la superposition ordre moral/ordre familial.



Les sexe symboles de la culture people

 

Jamil Dakhlia, Université Nancy-II

En tant que titres à scandale, les magazines people français fonctionnent sur le mode du sensationnel, au sens jaussien du terme : ils servent à leurs lecteurs des expériences soi-disant étrangères à la vie quotidienne sous une forme qui ne remet pas en cause le sens commun.

Leur appellation même leur dictant de produire des révélations sur les gens célèbres, ils transgressent constamment la frontière entre vie publique et vie privée et accordent ainsi une place tout à fait spécifique à la sexualité des vedettes.

D'où le paradoxe fondamental de la presse échotière : comme beaucoup d'autres médias contemporains, elle met en avant le thème du sexe, espérant ainsi attirer et retenir un public plus étendu ; mais dans le même temps, elle doit se livrer à un subtil travail d'euphémisation de la chair pour ne pas tomber sous le coup de la loi française sur la protection de la vie privée mais aussi pour ne pas s'écarter de la doxa en matière de comportements sexuels.

 

L'étude portera sur un échantillon de base (numéros de 2003-2004) des quatre titres français les plus lus du secteur : les deux plus anciens, Ici Paris et France Dimanche (groupe Hachette Filipacchi Médias), ainsi que Voici et Gala, représentatifs de la nouvelle génération people introduite dans les années 1980-1990 par Prisma Presse, filiale du groupe allemand Bertelsmann.

L'analyse du discours de ces quatre magazines permettra de cerner la place du sexe dans l'imaginaire construit par chacun d'entre eux. Dans ces dispositifs spéculaires, supposément conçus à l'image du public que l'on veut séduire, la sexualité fait bien recette, mais compte tenu de l'évolution des moeurs, fait-elle encore scandale ? Paraît-elle compatible avec le romantisme et les valeurs familiales généralement professés ? Quelles sont les sexualités représentées  et quels regards sont portés sur elles (réprobation, ironie, bienveillance) ? Plus spécifiquement, l'étude de l'énonciation permettra de définir comment des informations pourtant communes - tous les magazines people reprennent les mêmes potins - peuvent donner lieu à des instrumentalisations différentes du sexe en vue de renforcer le lien avec chaque lectorat : France Dimanche ou Ici Paris mettent à distance les sexualités exubérantes et/ou alternatives, ce qui s'accorde bien à leur lectorat plus âgé. A l'inverse, Gala et Voici manifestent à l'égard des sexualités non majoritaires un parti pris d'indifférence, au sens plein du terme, les traitant sur le même mode qu'une sexualité plus traditionnelle. Plus que la forme de sexualité, c'est la dissimulation qui est condamnée, dans une tension vers la dialectique anglo-saxonne du coming out et de l'outing. Plus largement, et ne serait-ce que par la vulgarisation de la sexologie dans des rubriques « santé » ou « mieux-être », l'énonciation de Voici et de Gala va jusqu'à se confondre avec une prescription de la sensualité.