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Les Goncourt historiens

Les Goncourt historiens

Publié le par Matthieu Vernet (Source : Éléonore Reverzy)

Appel à communication

Sous le haut patronage de l'Académie Goncourt

 

Colloque « Les Goncourt historiens », 9 et 10 avril 2015

organisé en collaboration

par le CERIEL (Université de Strasbourg) et l'ARCHE (Université de Strasbourg)

 

 

Lorsque les deux frères notent en 1861 dans leur Journal, « L'histoire est un roman qui a été ; le roman est de l'histoire, qui aurait pu être », formule qu'ils reprennent en 1864, ils donnent peut-être une des clefs de lecture de leur œuvre. Ils abordent ainsi la fiction à travers la question de sa virtualité historique et, pareillement, recourent au même travail de documentation, de dépouillement d'archives, d'enquêtes pour leurs ouvrages historiques et pour leurs romans. Les carnets des Goncourt dont certains se trouvent dans une collection privée, la majorité dans le fonds d'archives conservé à Nancy, sont à ce titre une mine encore bien peu exploitée : on y voit les Goncourt enfermés à la Bibliothèque impériale, résumant et annotant des ouvrages en vue de leurs travaux d'historiens sur la société du XVIIIe siècle, la période révolutionnaire, les biographies d'actrices qu'ils ne rédigent jamais qu'armés d'une solide érudition, autant qu'en vue de leurs romans (les différents travaux sur l'hystérie sont ainsi consultés pour Germinie Lacerteux; tel ouvrage sur l'alcoolisme servira à Soeur Philomène...). Valoriser ces archives et en montrer la richesse pourrait être un des résultats de ce colloque, même s'il s'agit d'abord de réunir de manière transdisciplinaire historiens, littéraires, historiens d'art autour de l'oeuvre singulière des Goncourt.

« Nous avons cherché le passé partout où le passé respire », écrivent-ils dans la Préface de La Femme au XVIIIe siècle paru en 1862, entre Soeur Philomène et Renée Mauperin. Combinant donc l'histoire du siècle précédent, alors méprisée par les historiens, avec la peinture des mœurs de leur temps, dans la lignée de Balzac, ils n'ont jamais cessé de se confronter au matériau fourni à leur imagination créatrice par le temps présent, ou par le passé proche : par le siècle, en un mot (les points de suspension du titre de leur premier ouvrage romanesque, En 18 en témoignent suffisamment), ce XIXe siècle produit des révolutions et du progrès, préparant le règne des masses. Leurs archives personnelles, consignées dans le Journal, sont ainsi l'un des réservoirs où puise leur écriture romanesque, comme à une sorte de source pure de réalité, un amas de choses vues, de propos entendus – le réel à l'état natif en quelque sorte. De même, les notes de voyage en Italie alimentent la rédaction de Madame Gervaisais. Dans le cadre de ce colloque, on cherchera à mettre l'accent sur les représentations de l'Histoire (le cours du temps, les événements, les faits sociaux, les hommes) et sur la fabrique de l'Histoire par les Goncourt romanciers, les Goncourt diaristes, et les Goncourt historiens et historiens d'art.

 

Fiction et Histoire chez les Goncourt. Le roman, dira Edmond bien plus tard, en répondant à l'enquête de Jules Huret sur l'évolution littéraire, il a tout fait pour « en tuer le romanesque », désirant écrire « l'histoire de ceux qui n'ont pas d'histoire » – façon de renvoyer au questionnement liminaire de Germinie Lacerteux, dans la célèbre préface de 1864 : en ce temps d'avènement démocratique, le peuple n'aurait-il pas droit, lui aussi, au roman ? Autrement dit, si le peuple acteur de l'Histoire tel que l'ont vu Michelet ou Hugo, le collectif conduisant celle-ci vers sa fin, n'est pas à sa place chez les Goncourt, leurs romans invitent bien à une réflexion rétrospective sur des destins collectifs, exemplifiés par quelques personnages emblématiques. L'histoire familiale et personnelle des Goncourt ou de certains de leur proches donne à plusieurs des romans une partie de leur profondeur historique (les parents de Mademoiselle de Varandeuil dans Germinie Lacerteux, l'ascendance de Madame Gervaisais) et les conduit, dans une perspective plus satirique, à inventer des types (le parvenu Bourjot, le doctrinaire Henri Mauperin dans Renée Mauperin). Dans quelle mesure la documentation réunie pour les romans est-elle une documentation historique ? Les romans tracent-ils, en pointillé, un discours tendant comme chez Flaubert à la dé-finalisation de l'Histoire ?

 

Les Goncourt et l'histoire de leur temps. Derrière le dédain de façade manifesté pour l'histoire immédiate, ne faut-il pas voir au contraire un regard minutieux et presque chirurgical sur l'évolution de la France, de l'échec de la République de 1848 jusqu'à la consolidation de la IIIe République ? L'absence d'intérêt proclamée pour leur propre temps historique n'est peut-être que le versant catastrophiste ou décliniste de la philosophie sociale des Goncourt (qui les apparente naturellement à Flaubert, et à cette défiance de l'aristocratie de l'esprit à laquelle ils s'identifient pour la démocratisation des sociétés propre au XIXe siècle). L'examen du Journal peut permettre de tester ces hypothèses à propos de l'effondrement du régime impérial, de la guerre franco-allemande et de la Commune, mais aussi des crises de la Troisième : l'Ordre Moral, l'ascension de Boulanger, Panama, la déferlante antisémite... L'écriture diariste s'accorde-t-elle avec la perception d'un continuum historique ? La fragmentation du Journal, succession d'instants, peut être comparée à l'éclatement de la composition romanesque en petits chapitres. Là où la fiction présente un univers cadré par la causalité et une histoire finalisée, les Mémoires de la vie littéraire, avec leur prétention surplombante, supposent-ils l'identification d'une continuité historique et la représentation totale – ou supposée telle – de la société littéraire de leur temps ? Les Goncourt se veulent de nouveaux Saint-Simon et se réfèrent donc à des modèles mémorialistes classiques. Car l'écrivain, tel que les Goncourt le conçoivent, est et n'est pas dans la ratiocination nostalgique : dans la posture réactionnaire de l'homme du passé, il est néanmoins présent au monde, parfois rattrapé par l'actualité à son insu (voir l'anecdote de la sortie du premier roman, En 18, coïncidant malencontreusement avec le jour du coup d'État du 2 décembre) ; c'est lui qui se saisit de problématiques du présent – tel Edmond dans La Fille Élisa à propos du régime pénitentiaire, ou dans Chérie à propos de l'approche de la « féminilité » moderne, pour laquelle il demande l'aide de ses lectrices. Les approches goncourtiennes du progrès, de la modernité (les masses, les objets techniques, la publicité, le spectacle) en sont d'autres indices.

 

Les Goncourt et les périodes historiques. Les deux frères étaient conscients de leur place dans la redécouverte (ou la réinvention ?) d'un « beau XVIIIe siècle », et Edmond jugeait même, à la fin de sa vie, que ce serait une part importante de leur héritage. On cherchera à réexplorer les voies par lesquelles s'est accomplie cette re-création : l'archive familiale, le culte du passé, les politiques de la nostalgie. Celles-ci peuvent-elles apparenter les Goncourt à certains traits de la culture des monarchistes du milieu du XIXe siècle ? Dans quelle mesure leur lecture du XVIIIe siècle montre-t-elle une approche mesurée des Lumières, moins intellectuelles et moins dogmatiques, une approche conciliable avec l'état actuel des savoirs sur les salons et les voies de diffusion de la culture et de l'esprit ? Mais bien d'autres questions méritent d'être posées. Le passage par les femmes et la condition féminine, l'importance attachée au corps, à toutes les catégories du sensible, du nerveux, du malade, tout spécialement. En aval du XVIIIe siècle, dans la mesure où en tant qu'auteurs, leur entrée dans l'histoire « sérieuse » se fait dès les années 1850 avec leurs études sur la société française à l'époque révolutionnaire, on peut s'interroger sur ce qu'ils ont retenu de l'histoire de la Révolution française traitée par les grands auteurs romantiques (Thiers, Louis Blanc, Edgar Quinet, Michelet). De ce fait, le questionnement déborde sur les relations de distance et de curiosité entretenue par les Goncourt avec l'histoire comme discipline. On se demandera donc aussi ce qu'ils enregistrent de l'histoire savante qui s'écrit de leur temps, c'est-à-dire des premiers balbutiements de l'histoire positiviste, pendant les années 1860 et 1870, de Fustel de Coulanges à Taine, et à « l'école méthodique ».

 

Les propositions de communication doivent être adressées à Éléonore Reverzy (ereverzy@free.fr) et Nicolas Bourguinat (bourguin@unistra.fr) avant le 30 septembre 2014.