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La théorie d’Antoine Culioli et la littérature (Pau, France)

La théorie d’Antoine Culioli et la littérature (Pau, France)

Publié le par Marc Escola (Source : Sandrine Bédouret)

 

Colloque

La théorie d’Antoine Culioli et la littérature

13 et 14 octobre 2016

Université de Pau et des Pays de l’Adour

organisé par Sandrine Bédouret-Larraburu et Christine Copy (Université de Pau et des Pays de l’Adour - CRPHLL).

 

Dans le cadre d’un projet à long terme qui vise à « Relire les concepts linguistiques » pour  étudier et évaluer, à l’aune des recherches contemporaines, la pertinence et l’impact de concepts qui ont fait date dans les études littéraires,  nous consacrerons ce troisième colloque à Antoine Culioli.

Si l’intérêt pour la littérature, avéré dans leurs écrits, justifiait les ouvrages précédents consacrés à Ferdinand de Saussure[1] et à Émile Benveniste[2], Antoine Culioli n’a jamais considéré la littérature comme un champ d’étude privilégié. En effet, dans son cours de DEA de 1975/76, le théoricien convenait que :

"peut-être, les textes littéraires permettent aussi la compréhension de certaines techniques d’écriture, de certaines théories, par exemple, La Modification de Michel Butor pour la théorie de l’énonciation, et on pourrait alors se demander si la condition même d’existence des théories linguistiques n’est pas liée à l’existence des textes littéraires ? Et, d’un autre côté, peut-être que des travaux comme ceux de P. Kiparsky et S. Anderson sur la métrique et la morpho-phonémique et dans ce cas, la littérature, ou une certaine littérature, apporte de vraies critiques pour le linguiste, ce qui n’était pas possible auparavant parce qu’on excluait un certain type de corpus… ?"

Même s’il ajoutait :

"Il faut bien voir que la démarche adoptée ici est une démarche qui n’exclut pas, simplement à un moment on arrive à un point où on ne peut plus rendre compte des phénomènes parce qu’on s’articule à un autre domaine ; mais il y a eu effectivement à un moment des formulations qui n’ont pas tenu compte de certains phénomènes. Il est sûr qu’il n’existe pas de communautés sans production littéraire, orale, écrite, mythique, sous forme de contes… et qu’il serait insensé de ne pas en tenir compte[3]."

La théorie d’Antoine Culioli, dite théorie des opérations (prédicatives) et énonciatives, touche à de nombreux domaines, mais dans le contexte des années 1970, mâtiné de structuralisme, le champ de la linguistique cherche à se rapprocher des champs scientifiques, et à s’écarter de ce qui a suscité ses investigations, la littérature, au moins comme trace écrite du langage. Ainsi, Antoine Culioli déclare-t-il que « son programme de travail pose un lien indispensable entre la linguistique (langage, langues, etc.), l’anthropologie, la philosophie, le domaine de la psyche, la biologie, les disciplines formelles[4] » et exclut la littérature.

Or, Antoine Culioli cherche à fonder les bases d’une linguistique nouvelle, moins formaliste que les approches purement syntaxiques, plus scientifique, et peut-être plus tâtonnante que les théories énonciatives qui explorent la polyphonie. Il cherche à manipuler les langues pour mettre au jour leur relation au langage, donc à travailler sur des énoncés courts, formulés à partir d’une lexis, pour dégager des opérations langagières à valeur universelle. À partir de la relation E↔E, où E désigne globalement un événement et E un énoncé, il s’agit de montrer que se construit une relation par l’intermédiaire d’un énonciateur entre un énoncé et un événement : les agencements de l’énoncé, le travail de construction de l’énonciateur et de reconstruction du co-énonciateur fonctionnent sur des opérations primitives. Antoine Culioli a cherché à formaliser ces opérations, à poser des hypothèses et à les frotter à des expériences de langage. On pourra alors se demander en quoi ces opérations peuvent aider à comprendre le texte littéraire, à construire des discours métalittéraires, et plus précisément en quoi ces opérations peuvent être des outils stylistiques.

En effet, si dans son travail d’élaboration de la TO(P)E, Culioli travaille peu le texte littéraire en tant que tel et si, dans les articles publiés, mais aussi dans les notes de séminaires de recherche diffusées par ses étudiants et collègues, l’essentiel de la réflexion et de la formalisation qui en découle s’articule autour de l’énoncé et des gloses qu’il permet d’engendrer, la question du texte se trouve au cœur de la définition de la linguistique que propose Culioli lorsqu’il affirme que «la linguistique a pour objet l’activité de langage appréhendée à travers la diversité des langues naturelles (et à travers la diversité des textes, oraux ou écrits) »[5]. L’idée du « faire texte » de l’énoncé est ainsi régulièrement réaffirmée à travers ses travaux. Ces déclarations programmatiques ont constitué une base de travail pour nombre de linguistes, travaillant sur des langues très diverses, indo-européennes et / ou non indo-européennes. Certains ont développé ce projet à partir du contexte littéraire, dans une optique monolingue, mais aussi dans une approche contrastive ou comparatiste, afin de montrer en quoi, les concepts centraux de la TO(P)E permettaient de rendre compte des choix énonciatifs et stylistiques qui construisent les textes et  d’envisager la littérature comme activité épilinguistique mais aussi comme lieu privilégié des « étagements compliqués » que permet le langage[6].

De plus, Antoine Culioli s’inscrit dans la continuité théorique de Saussure et de Benveniste. Ainsi Dominique Ducard[7] montre-t-il que Culioli pourrait reprendre à son compte grand nombre des éléments de la conférence de Genève de 1891, qui disent que la linguistique doit passer par une microspécialisation pour pouvoir espérer atteindre, un jour, une généralisation. Lorsqu’Antoine Culioli répond à Claudine Normand « je me mets dans la peau d’un sujet qui découvre le langage et qui, en même temps qu’il organise peu à peu ce qui va devenir un texte dans une langue, s’interroge sur ce qu’il fait quand il fait ça[8] », le linguiste semble caractériser la démarche du  chercheur en littérature, qui s’interroge sur ce que fait le texte littéraire quand il fait ça. Aussi Claudine Normand n’a-t-elle pas manqué de qualifier la théorie de Culioli de « poétique » :

"Il me parait donc possible, par un rapprochement qui, je l’espère, ne paraitra pas outrancier, d’y voir une poétique qui, partie de l’observation de cet objet empirique qu’est l’activité de langage et sans cesse sollicitée par sa complexité, donne les principes pour l’aborder, l’analyser et la représenter. C’est en même temps une pratique par la mise en œuvre (toujours continuée) d’une méthode qui fait sa place à l’imprévu, prépare à le saisir, fait surgir de nouveaux phénomènes et avec eux de nouveaux problèmes. C’est enfin aussi une éthique qui nous apprend à admettre que le héros aux mille tours[9] ne peut jamais être complètement saisi, rangé, catalogué, que sans cesse il échappe et prolifère de façon irrationnelle et le plus souvent imprévisible[10]."

On pourra alors s’interroger sur ces imprévus, dont le texte littéraire est fécond, et analyser l’interaction entre la théorie culiolienne et les problèmes que peut soulever l’action du langage dans la littérature.

Nous proposons pour ces deux journées d’étude quelques pistes de réflexions – celles-ci ne sont peut-être pas les seules imaginables :

Les opérations prédicatives et énonciatives et la stylistique. La TO(P)E comme outil d’analyse générique du texte littéraire. La TO(P)E et le texte littéraire, études de corpus.

4)  La place de Culioli dans l’enseignement littéraire, secondaire et universitaire.

5)  La démarche culiolienne comme poétique.

 

Les études pourront porter sur toutes les langues.

La langue du colloque sera le français.

Les propositions doivent être adressées aux deux co-organisatrices : sandrine.bedouret@univ-pau.fr et christine.copy@univ-pau.fr avant le 30 janvier 2016.

Comité scientifique : Isabelle Chol (CRPHLL – UPPA), Hélène Chuquet (Forell – Université de Poitiers), Chloé Laplantine (HTL – CNRS, Université Paris Diderot), Monique de Mattia (Lerma – Université d’Aix-Marseille),  Bernard Oyharcabal (Iker – UPPA), Giséle Prignitz (CRPHLL – UPPA), Nicole Rivière (LLF – CNRS – Paris Diderot).

Site de référence : http://crphl.univ-pau.fr/live/Actualites.

 

 

[1] En quoi Saussure peut-il nous aider à penser la littérature ?, Sandrine Bédouret et Gisèle Prignitz (eds), PUPPA, 2012.

[2] Émile Benveniste : vers une poétique générale, Sandrine Bédouret et Chloé Laplantine (eds), PUPPA, 2015.

[3] Transcription du séminaire de DEA 1975/1976, p. 23.

[4] Culioli, Antoine, « Ceci n’est pas une conclusion », in Un homme dans le langage, Dominique Ducard et Claudine Normand (eds), Ophrys, 2006, p. 368.

[5] Culioli, Antoine, (1987), « La linguistique : de l’empirique au formel », in Pour une linguistique de l’énonciation, T1, Ophrys, 1990, p. 14.

[6] Culioli, Antoine, « La communication verbale », in L'aventure humaine, Encyclopédie des Sciences de l'Homme, Vol. IV, Éditions Grange Batelière, 1967, p. 65-73.

[7] Ducard, Dominique, « Seuils, passages, sauts », Un homme dans le langage, op. cit., p. 14.

[8] Culioli, Antoine et Normand, Claudine, Onze rencontres sur le langage et les langues, HDL, Ophrys, 2005, p. 182.

[9] Claudine Normand compare le langage à Ulysse dans cet article, et Culioli à Homère construisant l’épopée du langage.

[10] Normand, Claudine, « La théorie d’Antoine Culioli, une poétique », Un homme dans le langage, Dominique Ducard, Claudine Normand (eds), Ophrys, 2006, p. 366.