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Lettres d’Europe, et au-delà, dans le Mercure de France (1890-1940)

Lettres d’Europe, et au-delà, dans le Mercure de France (1890-1940)

Publié le par Emilien Sermier (Source : Catherine Servant)

Colloque international

« Lettres d’Europe, et au-delà, dans le Mercure de France (1890-1940) »

Vendredi 21 novembre 2014, 9h30-17h30

Samedi 22 novembre 2014, 10h-17h

Inalco – Auditorium, 65, rue des Grands-Moulins, 75013 Paris

 

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PRESENTATION

Les « Lettres » auxquelles renvoie le titre de ce colloque correspondent en premier lieu à l’intitulé d’une rubrique consacrée aux littératures et cultures étrangères dans le Mercure de France, « série moderne », à compter du printemps 1896. Déclinables à souhait, au fil des littératures qu’elles représentent tour à tour, les « Lettres » paraîtront jusqu’à l’interruption de la revue en 1940. Disparates quant à leur volume, leur nombre, leur propos, leur qualité, les textes qui les constituent vont de la recension d’un ouvrage étranger au condensé de l’actualité littéraire d’un pays, en passant par des fresques d’histoire littéraire nationale, des commentaires sur la vie artistique, intellectuelle, politique où la littérature n’est pas centrale, des promenades impressionnistes dans des villes étrangères… Bien des chroniqueurs qui les rédigent se caractérisent par leur fidélité au Mercure et la régularité de leurs interventions.

Diverses langues et cultures occidentales, mais aussi d’Europe du Nord, du Centre et de l’Est, et d’autres plus orientales encore, voient ensuite leurs « Lettres » entrer au Mercure. Tel est l’objet de recherche autour duquel se déploie ce colloque. Si le Mercure de France a donné lieu à des études monographiques, y compris des travaux ponctuels sur des aspects ciblés de la présence des littératures et cultures étrangères dans ce périodique à la longévité et au rayonnement exceptionnels, force est de souligner que, pour sa plus grande part, le corpus visé ici est à redécouvrir. Dans un périodique au sein duquel l’ouverture à l’étranger est un parti-pris assumé dès les commencements, c’est la place offerte aux cultures européennes et orientales plus « rares » et méconnues en France qui nous intéressera au premier chef à travers l’examen de cette revue de « Lettres » étrangères, existant plus de quatre décennies.

 

Comité scientifique :

Christophe Balaÿ (Inalco), Xavier Galmiche (Paris-Sorbonne), Catherine Géry (Inalco), Antoine Marès (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Timour Muhidine (Inalco), Philippe Oriol (Sihad), Stéphane Sawas (Inalco), Catherine Servant (Inalco), Marie Vrinat-Nikolov (Inalco), Blaise Wilfert-Portal (Ens).

 

Organisation et soutiens :

Manifestation organisée par le Centre de recherches Europes-Eurasie, EA 4513, Inalco

Avec le soutien du Conseil scientifique de l’Inalco, du GDR Connaissance de l’Europe médiane (Cnrs), du CERLOM (Inalco) et des Études tchèques (Département Europe de l’Inalco).

 

Contact ;

Coordination scientifique : Catherine Servant

Contact : catherine.servant@inalco.fr

                       

Thèmes :

Littératures du monde, transferts et médiations culturelles, histoire des revues littéraires et artistiques

 

Aires culturelles :

Asie, Afrique, Europe, Moyen-Orient

 

PROGRAMME

 

Vendredi 21 novembre 2014

9h30 : Ouverture et accueil des participants, en présence de M. Aboubakr Chraïbi, vice-président du conseil scientifique de l’Inalco

10h-11hPrésidente de séance : Marie Vrinat-Nikolov (CREE, Inalco)

Blaise Wilfert-Portal (IHMC, ENS) : Le Mercure de France dans la tourmente du « cosmopolitisme » : les logiques de l’importation littéraire dans le champ littéraire des années 1890

Catherine Servant (CREE, Inalco) : « On est très avancé, à Prague ! » : « Lettres tchèques » en fin de siècle dans le Mercure de France

11h15-12h45Président de séance : Marek Tomaszewski (CREE, Inalco)

Philippe Oriol (SIHAD) : Dreyfus rue de l’Échaudé

Xavier Galmiche (Eur’Orbem, Paris-Sorbonne) : Une Europe de rêve. William Ritter et le Mercure de France

Natalia Krynicka (Maison de la culture yiddish – Bibliothèque Medem) : Zeev / Lupus Blumenfeld – un passeur entre deux mondes

12h45-13h : discussion

 

14h30-16hPrésidente de séance : Evanghelia Stead (Versailles Saint-Quentin)

Madalena Carretero Cruz et Liberto Cruz (Lisbonne) : Philéas Lebesgue, homme de lettres

Maria Tsoutsoura (Université Paris IV-Sorbonne) : Lettres néo-grecques (1899-1939) : Philéas Lebesgue entre « idée séculaire » et « angoisse moderne »

Veljko StaniĆ (Académie serbe des Sciences et des Arts) : « Lettres yougo-slaves » du Mercure de France : une fenêtre sur la littérature des Slaves du Sud à l’époque de l’entre-deux-guerres

16h15-17h15Présidente de séance : Isabelle Rabut (ASIES, Inalco)

Emmanuel Lozerand (CEJ, Inalco) : Albert Maybon et la vie littéraire japonaise des années 1920-1930

Claire Riffard (ITEM, CNRS-ENS) et Brigitte Rasoloniaina (PREFICS-Rennes 2 / Inalco) : Lettres malgaches par Jean-Joseph Rabearivelo : les ambigüités d’une posture littéraire

17h15 : discussion

 

Samedi 22 novembre 2014

10h-11hPrésident de séance : Timour Muhidine (CERMOM, Inalco)

György Tverdota (Université de Budapest ELTE) : Le reflet des modernités littéraires hongroises dans le miroir du Mercure de France

Cécile Folschweiller (CREE, Inalco) : Vingt-cinq ans de « Lettres roumaines » dans le Mercure de France : entre médiation, sélection et promotion

11h15-12h45Président de séance : Blaise Wilfert-Portal (IHMC, ENS)

Timour Muhidine (CERMOM, Inalco) : Lettres turques : une lucarne sur l’Empire et la Turquie

Angel Pino (TELEM / Université Bordeaux 3), Isabelle Rabut (ASIES, Inalco) : George Soulié de Morant, polygraphe sinologue

Annie Montaut (SEDYL / Inalco) : Regards échangés sur la « Renaissance Orientale »

12h45-13h : discussion

14h30-16hPrésident de séance : Antoine Marès (Panthéon-Sorbonne)

Catherine Géry (CREE, Inalco) : Zinaida Venguerova : lettres russes dans le Mercure de France, lettres françaises dans le Vestnik Evropy [Messager de l’Europe]

Céline Gervais-Francelle (Paris 1 Panthéon-Sorbonne) : « Lettres polonaises » dans le Mercure de France

Martin Carayol (CREE, Inalco) : Le Mercure de France comme relais de canonisation des lettres finlandaises

16h : discussion et clôture du colloque

 

 

RESUMES

 

Blaise Wilfert-Portal, « Le Mercure de France dans la tourmente du “cosmopolitisme” : les logiques de l’importation littéraire dans le champ littéraire des années 1890 »

Cette contribution porte sur la place spécifique du Mercure de France dans l’ensemble des périodiques littéraires parisiens qui procèdent à de l’ « importation littéraire » au cours des années 1890-1914. Le propos se place dans une perspective d’histoire sociale et culturelle en recourant notamment aux analyses en termes de champ et aux logiques de l’histoire transnationale, ainsi qu’à des formes simples d’analyse quantitative.

Catherine Servant, « “On est très avancé, à Prague !” : “Lettres tchèques” en fin de siècle dans le Mercure de France »

En novembre 1897, un certain Jean Rowalski publie dans le Mercure de France des « Lettres tchèques » qui, huitièmes par ordre d’apparition, sont aussi les premières centre-européennes, et les premières slaves, à faire leur entrée dans la « Revue du Mois » du Mercure, et ce, à peine un an et demi après la création de la section. Le premier titulaire de cette rubrique, Jean Rowalski – nom de plume du très jeune Tchèque Alexandr Bačkovský (1880-1925), futur ingénieur, critique, traducteur –, publie à dix reprises des « Lettres tchèques » dans le Mercure de novembre 1897 à décembre 1899. Celui qui vient à sa suite, bien mieux connu tant en France que dans les Pays tchèques, est l’homme de lettres Hanuš Jelínek (1878-1944), auteur pour le Mercure, sous le pseudonyme de Jean Otokar, de cinq autres « Lettres tchèques » parues entre août 1900 et janvier 1903. Ce sont principalement ces commencements qui retiendront notre attention. Il s’agira de comprendre comment est née cette rubrique, de l’inscrire dans l’étude des contacts, plus ou moins étroits et durables, qui s’établissent alors entre la modernité littéraire, artistique, culturelle tchèque et certains cercles français et francophones de son temps, et de situer la présence tchèque au Mercure parmi les stratégies d’exportation culturelle tchèques des années 1890 à la Grande Guerre.

Philippe Oriol, « Dreyfus rue de l’Échaudé »

L’affaire Dreyfus fut assurément une affaire d’écrivains. De Lazare à Zola, de Barrès à Maurras, elle mobilisa les poètes, les romanciers, les critiques. On cherchera dans cette communication, après avoir dressé un rapide tableau de ces engagements et des motivations qui en furent à l’origine, de voir ce que fut l’action de la Jeune littérature et plus particulièrement du Mercure de France où se côtoyèrent, schéma unique, dreyfusards et antidreyfusards.

Xavier Galmiche, « Une Europe de rêve. William Ritter et le Mercure de France »

De nationalité suisse, critique, journaliste, dessinateur à ses heures, infatigable correspondant, William Ritter (1867-1955) fut le premier francophone à se montrer systématiquement curieux de la vie culturelle d’Europe centrale.

Pour cet esthète enivré de symbolisme, cherchant dans les pays étrangers émancipation et initiation, voyager et écrire sont une façon de « rêver la vie et vivre le rêve ». Plus prosaïquement, Ritter fut aussi un correspondant de presse qui aspirait à gagner sa vie de sa plume. Parmi les maisons où il publie, Le Mercure de France tient une place majeure : il assume en particulier la rubrique « Lettres tchèques » de la revue ; il devient aussi un écrivain maison puisqu’il y publie des fictions (Leurs Lys et leurs roses, 1894 ; Fillette slovaque, 1903 ; La Passante des quatre-saisons, 1904, etc.) et des recueils d’articles (Études d’art étranger, 1906).

Cette étude tentera, notamment par la lecture de leur correspondance conservée aux Archives littéraires de la Bibliothèque nationale suisse, de comprendre les stratégies éditoriales et communicationnelles du Mercure et de l’un de ses correspondants, mais aussi les enjeux géoculturels et esthétiques qu’elles engagent.

Natalia Krynicka, « Zeev / Lupus Blumenfeld – un passeur entre deux mondes »

Le personnage de Lupus Blumenfeld (né à Botosani en Roumanie en 1889, mort à Paris en 1932) résume à lui seul la problématique complexe de la transmission culturelle dans la période de l’entre-deux-guerres. Après ses études dans la ville multiculturelle de Czernowitz, puis à la Sorbonne, il traduit des ouvrages du français en yiddish et vice versa, écrit des comptes-rendus pour le Mercure de France ainsi que dans des revues yiddish, toujours animé par le désir de faire passer la littérature au-delà des barrières linguistiques. C’est une époque où le yiddish commence à peine d’être reconnu en tant que langue à part entière, et est traité la plupart du temps comme une curiosité folklorique des ghettos de l’Europe orientale. En vrai précurseur, Lupus Blumenfeld introduit alors le lecteur français dans les nuances des avant-gardes yiddish de Varsovie et New York, dans les thématiques diversifiées de cette littérature ou les subtilités de ses registres de langage.

Madalena Carretero Cruz et Liberto Cruz, « Philéas Lebesgue, homme de lettres »

Philéas Lebesgue (1869-1958), auteur de quelque cent quarante-huit « Lettres portugaises » parues dans le Mercure de France de mai 1896 (n° 77) au 15 juin 1939 (n° 984) – il reprendra même leur rédaction après la Deuxième Guerre mondiale –, est au centre de la communication de Madalena Carretero Cruz et Liberto Cruz, qui ont traduit et édité en portugais les chroniques de Lebesgue sur les arts et la culture portugais. Voir : Philéas Lebesgue (et al.), Portugal no Mercure de France : aspectos literários, artísticos, sociais de fins do séc. XIX a meados do séc. XX, traduction et coordination Madalena Carretero Cruz et Liberto Cruz, Lisbonne, Roma Editora, 2007.

Maria Tsoutsoura, « Lettres néo-grecques (1899-1939) : Philéas Lebesgue entre “idée séculaire” et “angoisse moderne” »

Univoques et constantes, signées à peu d’exceptions près du nom de plume Démétrius Astériotis, les « lettres néo-grecques » témoignent dans le Mercure de France des qualités et des défauts d’un philhellène convaincu. Ami fidèle de Jean Psichari et de Sotiris Skipis, Lebesgue ne cache pas les réseaux dont il adopte volontiers les a priori. Défenseur inconditionné de la « Grande Idée », il livre pourtant au lecteur des avis ou des pages d’une grande perspicacité critique, qui annoncent le monde à venir ; c’est le cas de son analyse avisée de la poésie de Cavafy, grec d’Alexandrie qui fait complètement abstraction du Miracle Grec. En dépit des redondances et des excès, des fausses pistes et des rapprochements faciles ou arbitraires, Lebesgue brosse un tableau passionné de quarante ans d’histoire et de littérature grecques, qui répercute les volutes de la diplomatie internationale, l’évolution des idées, les ambitions individuelles. Confirmé parfois par les faits, son impact donne souvent suite dans la presse grecque et porte ses fruits dans les lettres françaises.

Veljko StaniĆ, « “Lettres yougo-slaves” du Mercure de France : une fenêtre sur la littérature des Slaves du Sud »

Terrain privilégié de la promotion de la littérature « yougoslave » en France entre les deux guerres mondiales, la rubrique des « Lettres yougo-slaves » du Mercure de France doit sa visibilité aux efforts assidus de Philéas Lebesgue, alias Liubo Sokolovitch. Écrivain, traducteur et critique littéraire, polyglotte hors norme, il s’introduit aux langues « serbo-croate » et slovène et se fait observateur passionné du monde littéraire des Slaves du Sud ainsi que passeur culturel ardent des œuvres et des courants littéraires de ce nouveau pays fondé en 1918 sur les ruines de l’Autriche-Hongrie.

C’est la rupture de la Grande Guerre qui fait connaître au public français les valeurs inconnues de la culture serbe et « yougoslave ». En relation dès cette époque avec des hommes de lettres et critiques serbes tels que Miodrag Ibrovac, Svetislav PetroviĆ et Milan VukasoviĆ, Lebesgue vise à donner un regard d’ensemble sur la littérature serbe, croate et slovène, son passé et son actualité. Connu en Yougoslavie notamment grâce à deux anthologies qu’il a éditées en France – Anthologie de poèmes yougo-slaves contemporains (Paris, Les Humbles, 1919) et Les Chants féminins serbes : poèmes populaires, (Paris, Sansot, 1920) –, le nom de Lebesgue évoque dans la vie intellectuelle yougoslave une figure de renom dont l’activité, y compris sa propre création littéraire, est représentée dans les pages des revues les plus prestigieuses de Belgrade et de Zagreb telles que Srpski književni glasnik [Le Messager littéraire serbe], Misao [La Pensée] et Nova Evropa [La Nouvelle Europe].

En étudiant les chroniques de Philéas Lebesgue, qui couvrent un vaste panorama historique et intellectuel des Slaves du Sud allant du Moyen Âge à l’époque contemporaine, des chants épiques aux expressionnistes des années 1920, force est de constater l’importance de ses analyses pénétrantes dans la construction du savoir français sur la culture « yougoslave ». Dans cette perspective, on souhaite également restituer les liens qui unissaient Lebesgue et ses contemporains yougoslaves en tant que médiateurs en soulignant les processus de la circulation et des transferts culturels de la littérature « yougoslave » en France.

 

Emmanuel Lozerand, « Albert Maybon et la vie littéraire japonaise des années 1920-1930 »

Dans des chroniques précises, fouillées et de grande qualité, Albert Maybon donna de la vie intellectuelle japonaise une vision étonnamment riche et suggestive, sans équivalent aujourd’hui. Dans ce premier défrichage, on essaiera de présenter les lignes de force d’un effort poursuivi régulièrement pendant une vingtaine d’années.

Claire Riffard et Brigitte Rasoloniaina, « Lettres malgaches par Jean-Joseph Rabearivelo : les ambigüités d’une posture littéraire »

La contextualisation des Lettres malgaches de Jean-Joseph Rabearivelo, sous-titrées La littérature malgache actuelle (Mercure de France, 1-VI-1924, pp. 532-540), et le focus sur l’itinéraire improbable de ce célèbre poète bilingue qui s’est suicidé à l’âge de 34 ans, révèlent la position intenable de ce grand intellectuel, romancier et dramaturge, mais aussi essayiste et théoricien de la littérature.

Voir : Jean-Joseph Rabearivelo, Œuvres complètes, édition S. Meitinger, L. Ramarosoa, L. Ink et C. Riffard, tome 1, Le diariste (Les Calepins bleus), l’épistolier, le moraliste, tome 2, Le poète, le narrateur, le dramaturge, le critique, le passeur de langues, l’historien, Paris, CNRS Éditions, 2010 et 2012 (1271 et 1789 p.)

Voir également : Robert Boudry, « La mort tragique d’un poète », Mercure de France, 49e année, n° 966, 15 sept. 1938, pp. 532-537 (suivi d’extraits de l’œuvre, ibid., pp. 537-549).

György Tverdota, « Le reflet des modernités littéraires hongroises dans le miroir du Mercure de France »

La littérature hongroise moderne s’est déployée sous l’égide du Parnasse, de l’esthétisme, de la décadence et du symbolisme français, et ses tentatives de lancer des revues littéraires au début du XXe siècle – Magyar Csillag, Figyelö, Szerda (Étoile Hongroise, Observateur, Mercredi) –, en particulier la revue Nyugat (Occident), devenue l’organe central de la modernité littéraire, ont pris pour modèle le Mercure de France. Les auteurs hongrois de ces revues ont également suivi avec intérêt les manifestations d’attention que le Mercure de France a témoignées à l’égard de la littérature hongroise contemporaine. Ce contact culturel entre les deux cultures s’est poursuivi dans la période de l’entre-deux-guerres. Le correspondant principal du Mercure dans cette période était François Gachot, écrivain français vivant à Budapest et entretenant de bonnes relations avec les milieux de la modernité littéraire hongroise. C’est l’activité médiatrice de François Gachot qui est au centre de cette communication.

Cécile Folschweiller, « Vingt-cinq ans de “Lettres roumaines” dans le Mercure de France : entre médiation, sélection et promotion »

Se faire l’intermédiaire d’une littérature étrangère pour le public français dans une revue comme le Mercure de France implique une attitude, une posture, déterminées à la fois par la position, le profil et le parcours du médiateur, ses choix dans le vaste champ auquel ses lecteurs n’auront accès que très partiellement grâce à lui et les modalités d’écriture par lesquelles il les communique. Les 50 chroniques des deux titulaires de la rubrique des « Lettres roumaines », Marcel Montandon avant la Première Guerre mondiale, Pompiliu Paltanea après, sont à cet égard riches d’enseignements sur l’image qu’ils veulent transmettre de la jeune nation roumaine en pleine affirmation.

Timour Muhidine, « Lettres turques : une lucarne sur l’Empire et la Turquie »

La mise en place d’une brève rubrique « Lettres turques » dans le Mercure de France n’est pas tout à fait une surprise : c’est déjà la maison d’édition du même nom qui publie la première anthologie de poésie turque en traduction : Anthologie de l’amour turc en 1905. L’intérêt suscité par la nouvelle Turquie (celle d’après 1908) et la francophonie / francophilie des élites turques permettent un contact plus régulier avec la production culturelle. La présence à Paris de nombreux Levantins et Arméniens francophones joue également un rôle notable dans cet embryon de réception. Ce n’est qu’au cours des années 1920 et après la visite du poète Ahmet Haşim en 1924 qu’un chroniqueur vivant à Ankara contribuera plus régulièrement à la revue : Reşat Nuri Darago (1891-1962), en présentant la nouvelle production républicaine. Si la place réservée au domaine turc est limitée, elle incarne une grande nouveauté dans le paysage éditorial français, plus ouvert aux domaines russe ou scandinave !

Angel Pino et Isabelle Rabut, « George Soulié de Morant, polygraphe sinologue »

La rubrique « Lettres chinoises » du Mercure de France a été tenue de 1922 à 1938 par George Soulié de Morant, qui a également publié dans la revue quelques articles et deux de ses romans les plus connus. On s’attardera pour commencer sur le parcours de ce personnage atypique, introducteur présumé de l’acuponcture en France, qui se présentait lui-même comme « consul, sinologue et littérateur » devenu « médecin chinois », mais dont la biographie est aujourd’hui très controversée.

Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre de la rubrique, la littérature proprement dite n’occupe qu’une place secondaire dans les « Lettres chinoises » : si Soulié de Morant y publie entre autres des comptes rendus de livres, ceux-ci concernent le plus souvent l’histoire contemporaine de la Chine et la situation internationale de l’époque. Du point de vue littéraire, en revanche, il privilégie la culture classique et ne nous renseigne guère sur les changements survenus depuis le début du siècle.

On tentera de confronter les aperçus fournis par ses chroniques avec le savoir alors disponible, et l’on montrera comment l’auteur y règle au passage ses comptes avec la sinologie institutionnelle au sein de laquelle il n’aura jamais été accepté.

Annie Montaut, « Regards échangés sur la “Renaissance Orientale” »

C’est sous le terme de « Renaissance orientale » que l’on a pu résumer, en 1950, la redécouverte par l’Occident de l’héritage classique indien, philologique et philosophique, dans le premier classique, oublié, sur cette question, l’ouvrage de Raymond Schwab du même titre. Mais c’est aussi la façon dont on a désigné au Bengale cette même redécouverte à la fin du XIXe siècle (« the Bengali Renaissance »). Le Mercure de France donne une riche image de l’échange d’informations factuelles et de leur évaluation des deux points de vue, indien et européen.

Catherine Géry, « Zinaida Venguerova : lettres russes dans le Mercure de France / lettres françaises dans le Vestnik Evropy [Messager de l’Europe] »

Zinaida Venguerova fut un passeur des littératures qui, toute sa vie, pratiqua des allers-retours entre plusieurs continents, dont deux en particulier : celui du symbolisme européen (et plus spécifiquement français) et celui du symbolisme russe, qu’elle a grandement contribué à établir dans le champ littéraire de son pays d’origine. Dans ses articles pour des revues comme Vestnik Evropy [Le Messager de l’Europe] ou Servernyj Vestnik [Le Messager du Nord], elle a popularisé auprès des lecteurs russes les noms et les œuvres de Verlaine, Mallarmé ou Rimbaud, mais aussi Laforgue et Moréas, ou encore du Belge Émile Verhaeren ; collaboratrice du Mercure de France, elle a permis à des lecteurs surtout familiers de Tolstoï ou de Tourguéniev de prendre connaissance de la véritable révolution spirituelle et esthétique que constitua en Russie l’apparition du symbolisme.

Dans cette communication, je mettrai en regard trois articles : l’article de Venguerova paru dans la livraison n° 9 du Vestnik Evropy en 1892 sur les Symbolistes français, l’article de L. D. sur cet article de Venguerova paru dans le Mercure de France en 1893, et enfin, l’article de Venguerova sur le symbolisme russe paru dans Le Mercure en novembre 1898. Ce « tir croisé » sera l’occasion de montrer que, pour Venguerova, l’épreuve de l’étranger et le rapport quotidien à l’altérité culturelle sont le moyen le plus sûr d’appréhender ses propres contours et de dessiner son propre profil ; que se reconnaître « étranger à soi-même » constitue une démarche adéquate – ni exclusive, ni « intégrationniste » – afin de penser au mieux la singularité des cultures et des littératures, tout en leur concédant un ensemble de caractéristiques communes.

Martin Carayol, « Le Mercure de France comme relais de canonisation des lettres finlandaises »

Les textes parus dans le Mercure de France « série moderne » à propos de la littérature finlandaise ont joué à des titres divers le rôle de relais de canonisation, évoquant des œuvres déjà bien canonisées ou en voie de canonisation en Finlande, pour tenter d’étendre ce mouvement à l’étranger. Notre exposé visera à présenter les modalités de ce rôle de relais, en nous intéressant notamment à la rhétorique mise en œuvre par les auteurs-passeurs pour attirer l’attention du public français sur une littérature méconnue, et au contexte socio-littéraire dans lequel s’inscrivent les œuvres qu’ils évoquent.