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Colloque international

Colloque international "Opéra et Fantastique"

Publié le par Bérenger Boulay (Source : timothée picard)

Dans le recueil posthume de ses notes sur l'opéraintitulé Operratiques (1992), Michel Leiris ouvre ainsi la section« Le fantastique dans l'opéra » : « Sans parler des opérasqu'on pourrait qualifier de « fantastiques » parce que c'est là leur aspectessentiel (Der Freischütz, Les Contes d'Hoffmann), sans mêmeparler de ceux qui mettent en oeuvre un grand thème légendaire (statue-qui-tuedans Don Giovanni, pacte avec le diable dans les divers Faust etdans Mefistofele, vagabond maudit dans Le Vaisseau fantôme), ilsuffit d'un coup d'oeil sur les livrets des opéras les plus célèbres pourconstater que le fantastique est l'un des ressorts dramatiques dont lesfaiseurs d'opéras usent le plus souvent. » Et il ajoute : « Lafréquence de ces thèmes fantastiques ou touchant au fantastique montre à quelpoint l'opéra, même moderne, est imprégné de romantisme ». Pour illustrerson propos, Leiris cite alors plusieurs de ces ressorts :« malédiction efficiente », « mauvais présage »,« apparitions vraies ou fausses », « philtres, narcotiques etpoisons », « folie », « somnambulisme et hypnotisme ».

« Ressorts » et« faiseurs » : les termes ne paraissent pas forcément élogieux.Mais les mettre sur le compte d'une critique reviendrait à oublier cette« conception magique du théâtre » bien particulière dontLeiris parle dans L'Age d'homme (1939), un théâtre « conçu comme unmonde à part, distinct de la réalité certes, mais où toutes choses,mystérieusement agencées dans l'espace qui commence au-delà des feux de larampe, sont transposées sur le plan du sublime et se meuvent dans un domaine àtel point supérieur à celui de la réalité courante qu'on doit envisager ledrame qui s'y noue comme une espèce d'oracle ou de modèle ». En quoi ilrejoindrait Hoffmann, qu'il cite à plusieurs reprises, et qui avance dans Lepoète et le compositeur (Der Dichter und der Komponist,1813) que « c'est par l'opéra que les entités supérieures agissentsur nous de la façon la plus manifeste : ainsi se révèle à nos yeux uneréalité romantique ». Le fantastique serait donc rien moins que lasubstance privilégiée de l'opéra, à vocation oraculaire. Hoffmann définit alorsl'opéra idéal - romantique et fantastique - et la méthode pour le mettre enoeuvre : « Un opéra véritablement romantique ne peut être composé quepar un poète génial et inspiré ; lui seul est capable d'introduire dans lavie les merveilleuses apparitions d'un monde fantastique [« die wunderbarenErscheinungen des Geisterreichs »] ; ses ailes nous emportentpar-dessus l'abîme qui nous en séparait et, familiarisés avec ce monde inconnu,nous croyons désormais aux miracles, car ceux-ci sont de toute évidence lesconséquences nécessaires de l'emprise qu'ont sur nous les entitéssupérieures ; et ce sont eux qui font se dérouler toutes ces situationspuissantes ou bouleversantes qui tantôt nous pénètrent d'horreur et d'effroi,tantôt nous font connaître les plus suaves délices. »

Interroger les modalitésd'articulation entre « opéra » et « fantastique », tel seral'enjeu de ce colloque. Fantastique, fantaisie, féerique, légendaire,merveilleux, surnaturel, etc. : un premier temps définitionnel visera toutd'abord à cartographier le territoire du « fantastique » et à reliercette galaxie de termes et d'enjeux convergents aux principes poétiques etesthétiques qui régissent les différents genres lyriques. Dans ce cadre, uneattention toute particulière sera accordée aux textes poétiques et esthétiquesqui visent à attribuer un lien non de hasard mais bien au contraire substantielentre « opéra » et « fantastique ». Une approche d'ordrephilosophique, anthropologique et psychanalytique visera à dévoiler ce que lefantastique vient prendre à charge à l'opéra ou, inversement, ce que l'opéra ensoi, sans reposer nécessairement sur un sujet littéraire fantastique, exprimeou fait valoir de fantastique, et cela, au niveau tant collectif qu'individuel.On analysera en particulier la relation que le spectateur-auditeur estsusceptible d'entretenir avec le fantastique représenté. Enfin, une approchethématique transversale permettra de rendre compte des grands invariants ducorpus étudié.

Le deuxième temps du colloque aura pour fin demettre en oeuvre une approche typo-chronologique et typo-géographique du sujet,et tentera, au moyen d'études tantôt panoramiques (sur l'opéra allemand,italien, français, moderne, etc.) tantôt analytiques (sur corpus circonscrit etreprésentatif), de cerner les grands espaces-temps concernés, leursspécificités propres, et leurs raisons d'être.

Un troisième temps aura pour but de suivre, làaussi de façon tour à tour synthétique et analytique, tout le parcours qui mènedu texte source à l'opéra représenté, et s'intéressera plus spécifiquement aux usages,aux significations et aux modalités pratiques de mise en oeuvre du fantastique àl'opéra : approches par la librettologie et la dramaturgie, approchemusico-dramatique, approche scénographique, etc.

Enfin, un dernier temps visera à élargir le proposà l'imaginaire lyrique en général, qu'il soit le fait de la littérature, de lapeinture ou du cinéma. Le 19 décembre 2007, ont été déterrées et présentées àla presse et au public les fameuses « voix ensevelies », ces 24disques qui, un siècle plus tôt, avaient en effet été scellés par Alfred Clark,président de la branche française de la Gramophone Company,sous le Palais Garnier, afin de témoigner pour la postérité de l'art lyrique dudébut du XXe siècle. Une histoire à la Hoffmann ou à la Jules Verne, à lavérité, et qui, en outre, a connu de nombreux rebondissements. C'est - faitamusant - précisément sur cet événement que s'ouvre Le Fantôme de l'Opéra de GastonLeroux, petit chef-d'oeuvre de la littérature populaire qui, à partir d'unethématique fantastique, est parvenu à embrasser et synthétiser de façonexceptionnelle un fort large territoire de l'imaginaire lyrique. Cette oeuvre,qui a donné lieu à de multiples adaptations musicales et cinématographiques,fêtera son centenaire en 2009.