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Magritte : perspectives nouvelles, nouveaux regards

Magritte : perspectives nouvelles, nouveaux regards

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Louis Hébert)

Magritte : perspectives nouvelles, nouveaux regards

Colloque international, Université de Toronto

Le peintre surréaliste belge Magritte (1898-1967) a produit un oeuvre (au masculin) dont la qualité, l’étendue, la complexité et la forte structuration le rendent particulièrement intéressant pour une recherche sur le sens des mots en contexte d’images, et vice-versa, ainsi que sur le sens des images en elles-mêmes.

Les mots du célèbre peintre ont été nombreux et diversifiés (ses écrits complets comptent près de 800 pages, en excluant une large correspondance). Magritte écrivit en particulier sur les images et sur les titres, auxquels il accordait une importance considérable. En outre, des mots se trouvent peints dans de nombreuses oeuvres, la célèbre légende « Ceci n’est pas une pipe. » en est un exemple. Si les titres de tableaux appartiennent à l’univers pictural et onomastique (en tant que noms propres), ceux de Magritte sont également littéraires : surréaliste et entouré de poètes, Magritte considérait « que le meilleur titre d’un tableau, c’est un titre poétique. » Bref, l’intitulant s’unit à l’intitulé de manière oblique, « mystérieuse ». Les images de Magritte, quant à elle, se veulent une représentation du « mystère ». Ce mystère réside notamment dans : les objets innommables (formes biomorphes, etc.) ; les propriétés modifiées des objets (des statues en chair humaine) ; le rapport entre objets (une femme nue couverte d’objets usuels) ; le statut ontologique de ces objets (par ex. un tableau dans le tableau). À ce choc sémantique interne aux images correspond le choc entre une oeuvre qui dit une chose (ex. des pains géants en lévitation), et un titre qui dit, du moins en première analyse, tout autre chose (ex. « La légende dorée »).

Le sentiment que ce contraste suscite a priori, au sein de l’image et du texte à l’image, est celui de l’absurde sémantique. L’« absurde » n’est pas l’absence de sens, mais une façon particulière de produire du sens, ou si l’on préfère du contre-sens. À cet égard, l’absurde est descriptible comme tout sens, même s’il pose des problèmes théoriques et méthodologiques particuliers. Comme le dit Magritte de ses oeuvres, mais le propos pourrait être étendu aux titres : « Un tableau me semble valable s’il n’est pas absurde ni incohérent et s’il a la logique du mystère, ainsi que le Monde. » C’est cette logique que nous tentons de restituer dans les travaux de notre colloque.

L’oeuvre de Magritte a suscité de nombreuses analyses relevant de nombreuses approches différentes : historico-esthétique (par ex., Sylvester, Draguet), bien sûr, mais également philosophique (par ex., Foucault), psychologique (par ex., Gedo, St-Martin), sémiotique (par ex., Everaert-Desmedt et ali., le Groupe µ), etc. Nous proposons de compléter les études magrittiennes en exploitant une approche inédite, technométhodologique, qui prenne en compte les plus récentes avancées technologiques et qui, pour cette raison, fera apparaître de « nouveaux observables » (Rastier).

À part quelques spécialistes qui ont consacré leur vie au peintre (comme Sylvester ou Draguet), rares sont ceux qui ont pris en compte dans leur analyse l’oeuvre complet. En effet, si le fabuleux Magritte. Catalogue raisonné de Sylvester reproduit les quelque 2 000 oeuvres du peintre et en donne les caractéristiques techniques (titre, année, matériaux, dimensions, etc.), il est toutefois massif (cinq volumes pour un total de plus de 2 000 pages) et comporte les limitations de recherche inhérentes au média livre. Les choses viennent de changer. Un groupe de recherche, animé par les organisateurs du colloque et subventionné par le CRSH (2009-2012), a créé la base de données Internet Magritte. Toutes les oeuvres, tous les thèmes (www.magrittedb.com). La base est constituée de deux secteurs : (1) le secteur des données descriptives, comme les titres, dates, matériaux, dimensions et reproductions des oeuvres; (2) le secteur des données analytiques, qui contient l’inventaire des éléments représentés dans les oeuvres (pomme, femme, etc.). L’analyse distingue environ 3 000 éléments différents revenant au total environ 40 000 fois (on ne compte qu’un élément donné par oeuvre : par exemple, s’il y a deux pommes dans une oeuvre, on ne compte qu’une pomme). À noter que les reproductions ne sont affichées que pour les membres de l’équipe, car la succession Magritte refuse leur diffusion dans Internet. Combien de toiles Magritte a-t-il peintes entre 1934 et 1944 ? Dans quelles oeuvres du peintre trouve-t-on une tortue ? Une pomme ? Combien d’huiles, combien de gouaches a-t-il produites ? Quelles oeuvres contiennent le mot « femme » dans leur titre ? Quelles oeuvres représentent des mots ? Autant de questions auxquelles il est laborieux de répondre, même armé du catalogue de Sylvester. Autant de questions auxquelles notre base de données répond instantanément. Mieux, une telle base – à notre connaissance une première en histoire de l’art –, livre une vue d’ensemble quasi exhaustive des thèmes d’un peintre, de son imaginaire. De surcroît, chaque participant du colloque a accès à l’une des 30 bases de données personnelles que contient aussi la base Magritte. Le participant peut donc ainsi loger, compiler et chercher ses propres éléments analytiques pour chacune des 2 000 oeuvres.

Le colloque propose les innovations suivantes : (1) une nouvelle méthodologie : l'emploi d'une base de données pour loger le corpus, son analyse générale et les analyses personnelles des participants et pour répondre à diverses requêtes (recherches, compilations, statistiques, etc.) ; (2) une nouvelle organisation de la recherche : une vingtaine de chercheurs analysent avec les mêmes outils un même corpus mais sous des angles différents ; (3) une nouvelle approche du corpus magrittien : la pluridisciplinarité – histoire de l’art, littérature, linguistique, philosophie, esthétique, rhétorique, informatique, communications, etc. – et la diversité des points de vue assurent le renouvellement du savoir sur le corpus ; tandis que la complémentarité des analyses est assurée par le fait que les chercheurs sont aussi sémioticiens (la sémiotique est l’étude des signes, textuels ou autres); (4) une nouvelle démarche rendue possible par la base : chaque analyse, pour dépasser les approches traditionnelles fragmentaires et « intuitives » (mais qui ont leurs mérites), prend en compte la totalité d’un corpus très étendu. Il devient notamment possible de contraster avec l’oeuvre entier un sous-groupe d’oeuvres analysées; le colloque dès lors verra sa cohérence renforcée par une combinaison d’analyses replacées dans le contexte global de l’oeuvre entier.

La tenue du colloque devrait entraîner des retombées intellectuelles importantes dans les secteurs suivants : sémiotique textuelle et visuelle ; recherche et analyse d’images assistées par ordinateur ; littérature et onomastique (les titres de Magritte) ; histoire de l’art ; études magrittiennes. De nombreux extrants de recherches matérialiseront et véhiculeront ces retombées. Les actes de l’atelier seront publiés en livre (avec arbitrage) aux Éditions Nota Bene, distribuées au Québec et en France.

Le colloque réunit une vingtaine de participants – professeurs-chercheurs, étudiants aux cycles avancés ou postdoctorants – du Canada, de France et de Belgique (une demi-douzaine de chercheurs supplémentaires se joindront à eux dans le cadre des actes en livre du colloque). Parmi les colloquants figurent des chercheurs jouissant d’une grande réputation internationale, dont Jean-Guy Meunier et Francis Edeline (du célèbre Groupe µ).

Pour le programme et le résumé des communications, consultez http://www.magrittecolloque.com.

Louis Hébert, Université du Québec à Rimouski (louis_hebert@uqar.qc.ca)

Pascal Michelucci, Université de Toronto (pascal.michelucci@utoronto.ca)

Éric Trudel, Université Laurentienne (etrudel@laurentienne.ca)