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« La Nouvelle Orléans : la cité décalée »

« La Nouvelle Orléans : la cité décalée »

Publié le par Vincent Ferré (Source : LERMA)

LERMA

(Laboratoire d’Études et de Recherche sur le Monde Anglophone, E.A. 853)

English version here.

Ville cosmopolite, lieu de métissage culturel, entre communautés francophones d'origine européenne, créole, noire, canadienne et flux migratoires venus des États-Unis, d'Irlande, d'Allemagne, d’Italie, la Nouvelle Orléans occupe une place à part dans l’histoire, la géographie et la culture américaines. Située aux confins des empires français et espagnol au moment où se formait la nation américaine, la ville a immédiatement constitué un enjeu vital dans la jeune nation. Elle devint ce « point sur la mappemonde » (Thomas Jefferson) qui aurait justifié une déclaration de guerre à la France pour peu que Bonaparte eût choisi de l'investir. La vente de la Louisiane (1803) apaise les tensions et la ville devient le débouché naturel de tout le commerce de l'ouest à l'heure où se déplace le centre de gravité des États-Unis vers le bassin du Mississippi. Stratégiquement située au fond du Golfe du Mexique, la ville, qui a joué un rôle majeur dans la traite des esclaves, n’en reste pas moins à part dans l’histoire de la ségrégation raciale et sera à l’origine de l’arrêt Plessy v. Ferguson (1896). Ayant échappé à la destruction pendant la Guerre de Sécession, la Nouvelle Orléans est néanmoins régulièrement dévastée par ouragans et inondations. Tout récemment, le cyclone Katrina est venu rappeler la marginalité de la ville dans l'Amérique contemporaine et l'indifférence du président Bush au désastre constaté symbolise cette impression de laissés-pour-compte qu'éprouvent les habitants de la cité.

 

Dans le domaine des arts, dès le 19ème siècle la Nouvelle Orléans est associée aux figures de la marge au sein du monde créole, qu’il s’agisse de la figure mythique de la coiffeuse métisse, grande prêtresse du vaudou, Marie Laveau, — qui inspirera de nombreuses oeuvres en tous genres —, du portrait de l’oppression féminine dans la vieille société créole dans The Awakening de Kate Chopin (1899), ou des récits de l’injustice raciale sous la plume de George Washington Cable, Old Creole Days (1879) et The Grandissimes (1880). Mais c’est indéniablement sur les chefs-d’oeuvre du dramaturge sudiste Tennessee Williams que repose l’immortalité littéraire de la ville, là encore indissociable de la marginalité sous diverses formes, notamment les marges du déclassement, de l’homosexualité et de la folie dans A Streetcar Named Desire (1947) et Suddenly Last Summer (1956). Ville d’excès et d’excentricités, la Nouvelle Orléans est au coeur de romans qui ont marqué leur époque, comme All the King’s Men (1946) de Robert Penn Warren, The Moviegoer (1960) de Walker Percy, A Confederacy of Dunces (1980) de John Kennedy Toole, ou encore The Knockout Artist (1987) du Géorgien Harry Crewes. Après la catastrophe du cyclone Katrina, chroniques (The Great Deluge [2006] de l’historien Douglas Brinkley) et enquêtes d’investigation retrouvent droit de cité, notamment dans Breach of Faith (2006) de Jed Horne et 1 Dead in Attic (2006) de Chris Rose, tous deux journalistes au Times-Picayune, ainsi que dans Nine Lives (2009) de Dan Baum, récit épique qui retrace neuf vies et neuf destins avant et après le cyclone.

 

Considérée comme l’une des villes américaines les plus photogéniques et les plus immédiatement reconnaissables à l’écran, la Nouvelle Orléans sert de cadre à des classiques hollywoodiens (l’adaptation cinématographique de Streetcar d’Elia Kazan avec l’inoubliable Marlon Brando [1951]), ainsi qu’à des landmarks de la contre-culture et du cinéma indépendant (Dennis Hopper et Peter Fonda fumant de la marijuana dans le St Louis Cemetery dans Easy Rider [1969], Brooke Shields en enfant prostituée à l’hôtel Columns dans Pretty Baby de Louis Malle [1978], ou encore le French Quarter, Lafayette Cemetery et les quais de la ville dans Interview with the Vampire [1994]). L’ère post-Katrina n’est pas en reste avec le remake Bad Lieutenant : Port of Call New Orleans (2009) de Werner Herzog, la série HBO de David Simon, Treme (2009), dont les épisodes retracent la renaissance du plus vieux quartier africain-américain des États-Unis, ainsi qu’avec les documentaires politiques When the Levees Broke (2006) et Trouble the Water (2008) et le documentaire historique et portrait d’une activiste des droits civiques I’m Carolyn Parker : The Good, the Mad and the Beautiful (2012) de Jonathan Demme. Outre sa dimension d’actualité politique et sociologique, la série Treme redonne également toute sa place à la tradition musicale du jazz initiée par les descendants des esclaves, à laquelle la Nouvelle Orléans est associée depuis ses débuts et à travers laquelle la communauté africaine américaine s’est forgé une nouvelle identité.

 

Ce colloque, qui s'inscrit dans une logique de recherche interdisciplinaire sur les villes américaines fermement établie au sein de l'équipe de l'aire culturelle nord-américaine du LERMA (deux manifestations internationales ont déjà eu lieu sur ce thème, la première sur Chicago en 2002 et la seconde sur San Francisco en 2009, qui ont fait l’objet des publications suivantes aux PUP : Regards croisés sur Chicago [2004] et San Francisco. À l’Ouest d’Eden [2012]), sera l’occasion de croiser les regards sur une ville au destin singulier, à travers une approche pluridisciplinaire mêlant histoire, littérature, arts (jazz, cinéma, séries télévisuelles, photographie…), et études urbaines.

 

Les propositions de communication (en français ou en anglais), avec résumé bio-bibliographique, sont à adresser d’ici le 1er janvier 2013 à Gérard Hugues (gerard.hugues@wanadoo.fr) et Sylvie Mathé (sylvie.mathe@univ-amu.fr).