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Appels à contributions
Jules Verne et la culture médiatique, de 1864 à nos jours (Québec)

Jules Verne et la culture médiatique, de 1864 à nos jours (Québec)

Publié le par Marc Escola (Source : Guillaume Pinson)

Colloque organisé par Guillaume Pinson (Université Laval) et Maxime Prévost (Université d’Ottawa), dans le cadre du projet « Le Canada de Jules Verne » financé par le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada et lié aux activités scientifiques de la plateforme numérique www.medias19.org.

En débutant sa collaboration avec Hetzel en 1864 autour de l’entreprise du Magasin d’éducation et de récréation, où il allait faire paraître la plupart de ses Voyages extraordinaires, Jules Verne plongeait dans la culture médiatique. Il allait y contribuer sans relâche jusqu’à sa mort, en 1905, au travers d’un double mouvement : puisant d’une part dans le discours social et tout particulièrement dans les journaux et périodiques la matière de son œuvre, et d’autre part y diffusant le puissant imaginaire de son œuvre de fiction, qui allait marquer jusqu’à nos jours plusieurs générations de lecteurs.

Le présent colloque international aura pour objectif d’étudier les multiples facettes de cette relation complexe de Jules Verne et de la culture médiatique, en amont et en aval de l’œuvre, des années 1860 à nos jours. La recherche sur Jules Verne a bien établi l’inventaire des sources littéraires, et plus particulièrement romanesques, de l’écrivain et l’usage qu’il en faisait dans sa poétique, mais il conviendra d’aller plus loin dans l’étude des liens entre Verne et les médias. Tel Phileas Fogg, le héros du Tour du monde en quatre-vingts jours et grand lecteur de journaux, Jules Verne est un homme en prise directe sur le discours social, et qui se distingue par la maîtrise qu’il en affiche : tout ce qui s’écrit, se pense et se représente dans la presse et la littérature contemporaine pénètre ses notes de lecture et la composition de ses romans, de sorte que son œuvre constitue un point d’observation idéal pour cartographier certaines topiques de l’imaginaire social. En outre, on peut à juste titre voir en Verne un mythographe, c’est-à-dire un créateur de mythologies modernes qui ont trouvé à s’incarner dans la culture médiatique de son temps et dans ses déclinaisons ultérieures (adaptations cinématographiques, imitations et reprises des Voyages – par exemple dans les Voyages excentriques de Paul d’Ivoi, etc.) : un certain nombre de personnages, de thèmes, de situations, de stéréotypes géographiques participant de l’imaginaire social prennent leur origine, ou du moins trouvent leur exposition déterminante, dans son œuvre, qui serait ainsi connue de tous sans pour autant toujours être reconnue. Verne serait donc de ces écrivains qui, pour reprendre la terminologie de Cornelius Castoriadis, « instituent » l’imaginaire social.

Nous invitons des chercheurs aux profils variés – littéraires spécialistes de Jules Verne et des relations entre presse et littérature, mais aussi chercheurs en histoire culturelle et médiatique – à soumettre des propositions de communication qui pourront couvrir l’un des trois grands champs suivants, sans exclusivité :

1. Jules Verne lecteur et utilisateur de la presse. Dans une entrevue de 1894 accordée au journaliste Robert Sherard, Jules Verne se comparait en ces termes au Mr. Pickwick de Charles Dickens : « J’ai toujours avec moi un carnet et […] je note d’emblée tout ce qui m’intéresse ou pourrait me servir pour mes livres. Chaque jour après le repas de midi, je me mets immédiatement au travail et je lis d’un bout à l’autre quinze journaux différents, toujours les quinze mêmes, et je peux vous dire que très peu de choses échappent à mon attention. Quand je vois quelque chose d’intéressant, c’est noté. Ensuite, je lis les revues, comme la Revue bleue, la Revue rose, la Revue des deux mondes, Cosmos, La Nature de Gaston Tissandier, L’Astronomie de Flammarion. Je lis aussi entièrement les bulletins des sociétés scientifiques et en particulier ceux de la Société de Géographie, car vous remarquerez que la géographie est à la fois ma passion et mon sujet d’étude. […] J’ai jusqu’à maintenant amassé plusieurs milliers de notes sur tous les sujets, et aujourd’hui, j’ai chez moi au moins vingt milles notes qui pourraient servir dans mon travail et qui n’ont pas encore été utilisées ». Est-il possible de reconstituer, au moins partiellement, l’itinéraire de ce lecteur compulsif qu’était Jules Verne à travers la presse de son époque de manière à saisir la manière dont il relaie, et parfois transforme, des éléments du discours social pour édifier ses Voyages extraordinaires ? Le colloque sera l’occasion de voir quelle utilisation Jules Verne faisait de la presse, mais aussi de manière plus large la relation profonde que Verne entretenait sur les savoirs – scientifiques, géographiques, humains, etc. – tels qu’ils étaient diffusés par la presse.

2. Inscription de Jules Verne et son œuvre dans la presse. S’il ne fut pas à proprement parler un « écrivain-journaliste » comme le xixe siècle en connut tant, Jules Verne fut indéniablement immergé dans la culture médiatique. Son œuvre fut publiée en grande partie dans le Magasin d’Hetzel mais aussi dans des journaux quotidiens comme Le Temps, le Journal des Débats, le Journal d’Amiens ou encore Le Soleil, sans compter de nombreux journaux étrangers qui publièrent ses romans en version originale ou en traduction (pensons par exemple au World de New York qui publie en 1889 des extraits de Around the World in 80 Days alors que sa journaliste vedette, Nellie Bly, tente de « battre » le record de Phileas Fogg). Le colloque pourra être l’occasion d’interroger concrètement les effets de coprésence de l’œuvre de Verne et des discours médiatiques et invitera à penser le texte de Verne en cointelligibilité avec la presse. Un retour aux feuilletons et à la livraison en Magasin, qui engagent des relations particulières à l’actualité, à la temporalité, aux espaces géographiques notamment, sera l’occasion de mieux comprendre de quelle manière les Voyages extraordinaires ont aussi effectué un travail socio-sémiotique profond sur la matière journalistique telle que les lecteurs – petits et grands – pouvaient l’appréhender.

3. Médiatisations des Voyages extraordinaires et de la figure de Jules Verne. Cet axe ouvrira la réflexion du colloque à une « descendance » médiatique de Jules Verne et à une histoire culturelle des Voyages. On sait que les Voyages extraordinaires et son auteur ont fait l’objet de multiples récupérations, souvent très marquées idéologiquement, étant admirés tant par Hollywood que sous le régime soviétique, tant par l’Allemagne nazie que par les principales avant-gardes du xxe siècle. Ces relais médiatiques et idéologiques méritent une exploration plus systématique que celle reçue jusqu’à maintenant : jusqu’à quel point, et à quelles conditions, Verne et son œuvre résistent-ils à leur devenir médiatique ? Le capitaine Nemo de Vingt Mille Lieues sous les mers et de L’Île mystérieuse se reconnaîtrait-il dans ses avatars proposés par James Mason ou par Alan Moore ? Le Tour du monde en quatre-vingts jours, tel que relayé non seulement par le théâtre et le cinéma, mais encore et surtout, de manière à la fois plus massive et détournée, par le monde de la publicité et de l’industrie touristique, est-il toujours le produit de l’imaginaire vernien ? Le Jules Verne surréaliste, oulipien, steampunk est-il toujours Jules Verne ? Les contributions pourront ainsi s’ouvrir à une histoire culturelle de l’imaginaire vernien et à ses multiples déclinaisons médiatiques, au sens très large du terme : films, adaptations télévisuelles, bandes dessinées, jeux vidéos… 

 

Les propositions (résumé de 250 mots, affiliation scientifique et courte bio-bibliographie de chercheur) sont à envoyer à Guillaume.Pinson@lit.ulaval.ca et à maxime.prevost@uottawa.ca  avant le 31 octobre 2015.