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Génocides : régimes du pardon / Genocides: forms and norms of forgiveness

Génocides : régimes du pardon / Genocides: forms and norms of forgiveness

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Catalina Sagarra)

Colloque international et pluridisciplinaire

Génocides : régimes du pardon / Genocides: forms and norms of forgiveness

 

Génocides: régimes du pardon

Colloque - Trent University : 9-11 mai 2014

 

Le pardon traverse le temps, de l’époque antique à notre modernité, pour questionner le rapport à la faute. La faute, faille et faillite, écart de la droiture, dévoiement, est aussi rupture : entre le bien et le mal, le droit et l’illicite, le passé et l’avenir. À en croire Jacques Darriulat (1996), le pardon n’est pas une donnée immédiate à la faute mais un événement dont l’occurrence dépasse les actants premiers pour être un acte fondateur d’un ordre nouveau : «Le pardon, dit-il, ne dépend pas seulement d’une décision arbitraire de la part de l’offensé, ni d’une simple demande de la part de l’offenseur. En ce sens, il n’est pas en mon pouvoir d’accorder le pardon, comme il n’est […] pas en mon pouvoir de l’obtenir. Tel est le mystère du pardon : de quoi dépend-il, s’il ne dépend pas de la seule volonté de l’offensé ni de celle de l’offenseur ?»

La question en convoque une autre, non moins importante : comment saisir le pardon, sa place et sa fonction dans les rapports déréglés par la faute ? Pour Hannah Arendt (2006), « [le] pardon est certainement l’une des plus grandes facultés humaines et peut-être la plus audacieuse des actions, dans la mesure où elle tente l’impossible – à savoir défaire ce qui a été fait – et réussit à inaugurer un nouveau commencement là où tout semblait avoir pris fin». De ce point de vue, le pardon devient le dépassement de la nature humaine encline à la vengeance et à la rancune, dépassement que la tragédie grecque envisageait dans l’intervention du tiers divin (Darriulat, 1996), le seul capable de rétablir la relation rompue. Ce que le Christ lui-même, poursuit le même auteur, confirme quand il s’écrie : «Père, pardonnez-leur… » (Darriulat, 1996). De part même son étymologie, le pardon est un acte surhumain, un événement dans la vie humaine qui n’est de l’ordre ni du droit ni du mérite, encore moins du pouvoir : don extrême, dépassant et l’offensé et l’offenseur, don sacrificiel à travers lequel et l’offensé et l’offenseur lâchent prise pour libérer le temps afin que puisse advenir le nouveau citoyen lavée de la souillure de l’offense faite et subie.

Mais qu’est-ce que pardonner peut bien vouloir dire dans le contexte d’un génocide ? Car un génocide est toujours un crime aux dimensions incommensurables, qui non seulement bouleverse, mais déstructure et l’ordre et les normes sociales, politiques et morales. Un génocide ne devient possible que parce que la loi est anéantie, et avec elle ; la cité et le citoyen qu’elle est sensée défendre et protéger. On pourrait se demander à la suite de Claudia Hilb (2011): «Comment fonder la communauté après [un tel] crime»? Selon les contextes et les cadres socio-politiques,  juger, punir, amnistier, effacer, oublier, «tourner la page», etc. sont autant d’avenues possibles. Mais pardonner aussi, comme semble le suggérer les tenants de la justice restauratrice. Jankélévitch (1986) constatait, non sans indignation : «Le pardon ! Mais nous ont-ils jamais demandé pardon ? C’est la détresse et c’est la déréliction du coupable qui seules donneraient un sens et une raison d’être au pardon. Quand le coupable est gras, bien nourri, prospère, enrichi par le «miracle économi­que», le pardon est une sinistre plaisanterie. Non, le pardon n’est pas fait pour les porcs et pour leurs truies. Le pardon est mort dans les camps de la mort». Cet impossible pardon apparaît aussi chez Primo Levi (1987) et chez d’autres rescapés de la Shoah, comme chez les philosophes du pardon (Paul Ricœur 2000, Jacques Derrida 2005, etc.).

Réfléchir sur le pardon dans le contexte d’un génocide revient ainsi à penser cette impossibilité et à reposer la question de la responsabilité du crime qui, au-delà de son caractère « étatique » est autant collectif qu’individuel. Comment dès lors envisager le pardon dans cet imbroglio de responsabilités ? Qui pardonne à qui et quelles sont les modalités de ce pardon, s’il est envisageable ? Est-il une nécessité ou une possibilité, un droit ou un devoir, un acquit ou un mérite?

C’est pour répondre à ces questions qu’est né le thème de ce colloque, inspiré par les rencontres qui ont précédé : après le témoignage, la mémoire, le tiers et la justice, le pardon arrive bien à propos pour poursuivre l’interrogation sur le génocide et sa gestion. Si pardonner c’est remonter dans le passé de la faute pour rouvrir la blessure afin de mieux la panser, est-il possible de pardonner sans «banaliser le mal», sans rendre possible sa résurgence ? La complexité de la question suppose un cadre pluridisciplinaire pour mieux saisir les enjeux du pardon dans le contexte du crime de génocide. Sont les bienvenues les contributions qui s’inspirent de la philosophie, de la psychologie, de la sociologie, de la religion, de la littérature,  de la peinture, du cinéma, de la politique, de l’éducation, du droit, de l’histoire, etc. Nous proposons, sans chercher à être exhaustifs, les pistes de réflexion suivantes :

  • Dans un contexte génocidaire, comme penser les responsabilités pour mieux envisager le pardon ? Autrement dit, qui pardonne à qui ?
  • Quelles sont les modalités, les conditions et les limites du pardon ?
  • Peut-on pardonner au nom des morts, les seuls offensés absolus à partir de qui le pardon pourrait avoir un sens ? 
  • Que peut-on apprendre des différentes tentatives qui ont eu lieu pour réparer le tissu social déchiré par la folie génocidaire ?
  • Peut-on /doit-on forcer, encourager, permettre, faciliter le pardon ?
  • Peut-on refuser de pardonner ou de bénéficier du pardon ? Quelles en seraient les raisons (Nadler & Liviatan, 2004)?
  • Quel rapport peut-il exister entre le pardon et la justice, le pardon et la mémoire?
  • La mémoire collective peut-elle s'ériger en obstacle au pardon, voire à toute possibilité de reconstruction du tissu social ? Comment analyser/comprendre les dynamiques psychosociales autour de la victimisation et de la culpabilisation quant au pardon et à la repentance (Iyer, Leach et Crosby, 2004) ?
  • Comment l’art pense-t-il ou met-il en scène la question du pardon dans un contexte génocidaire ?

 

Calendrier

 

Date de soumission des propositions : 1er novembre 2013

Notification d'acceptation: 30 novembre 2013

 

Envoyez vos propositions (250 mots MAXIMUM) en français ou en anglais. N'oubliez pas d'y inclure votre nom, votre adresse électronique et votre affiliation institutionnelle (le cas échéant) à l'une des adresses suivantes :

 

Catalina Sagarra, Trent University: catasamar@yahoo.ca

Eugénia dos Santos, McMaster University: esantos@mcmaster.ca

Eugène Nshimiyimana, McMaster University: nsheug@mcmaster.ca

 

Comité scientifique :

Eugénia dos Santos (McMaster University), Eugène Nshimiyimana (McMaster University), Catalina Sagarra, (Trent University), Josias Semujanga, (Université de Montréal), Jacques

Walter (Université de Metz).

 

Frais d'inscription : 60 $ CAD

 

Les meilleurs textes feront l'objet d'une publication.

 

 

Genocides: Forms and Norms of Forgiveness

Conference - Trent University: May 9-11th, 2014

 

Forgiveness crosses time, from ancient times to the present, to question the relationship to the wrongdoing. The wrongdoing, which is also a flaw, a failure and a deviation from righteousness, marks a point of rupture between the good and the evil, the past and the future. According to Jacques Darriulat (1996), forgiveness cannot be taken for granted whenever a fault is committed; it should rather be considered as  an event whose occurrence transcends the first agents to become a founding act of a new order: “forgiveness, he says, depends neither on an arbitrary decision of the offended nor on a simple request of the offender. In this sense, it is not in my power to grant forgiveness, as it is […] not in my power to obtain it. Such is the mystery of forgiveness: what does it depend on, if it depends neither on the only will of the offended nor on that of the offender?

This question arouses another, not less important: how can forgiveness be understood, what are its place and function in the relationships disrupted by the wrongdoing? For Hannah Arendt (2006), “forgiveness is certainly one of the greatest human faculties and perhaps the most audacious of the actions, insofar as it attempts the impossible - namely to undo what was done - and succeeds in inaugurating a new beginning where everything seemed to have come to an end”. From this point of view, forgiveness goes beyond the limits of human nature which is prone to vengeance and resentment. The Greek tragedy envisioned this by resorting to a divine third party to restore the broken relationship. Christ himself confirms it when He exclaims: “Father, forgive them…” (Darriulat, 1996). According to its etymology, forgiveness is a superhuman act, an event in human life that is neither a right nor merit or duty. It is a supreme gift, beyond the power of both the offended and the offender, a sacrificial gift through which the offended and the offender “let go” in order to free the time and allow the emergence of a new citizen cleaned off the stain of the offence committed and experienced.

But in the context of a genocide, is forgiveness still relevant? A genocide is a crime of incommensurable dimensions, which not only disrupts, but destroys the order, as well as the social, political and moral norms. A genocide becomes possible only because the law has been annihilated, and, with it, the citizen whom it is supposed to defend and to protect. In this regard, Claudia Hilb (2011) asks an interesting question: “How can a community be reconstructed after [such] a crime”? Depending on contexts and socio-political frameworks, judging, punishing, amnestying, erasing, forgetting, “turning the page”, etc. are the many possible avenues. And also forgiving, as seem to suggest the supporters of the restorative justice. Jankélévitch (1986) observed one day, not without indignation: “Forgiveness! Did they ever ask us for forgiveness? Only the distress and dereliction of the culprit would give to forgiveness a sense and a reason to be. When the culpritis fat, well nourished, prosperous, enriched by the “economic miracle”, forgiveness is a sinister joke. No, forgiveness is not made for pigs and their sows. Forgiveness died in the death camps.” This impossible forgiveness also appears in Primo Levi's works, and in other Holocaust survivors’ as in philosophers’ such as Paul Ricœur (2000) and Jacques Derrida (2005), etc.

Reflecting upon forgiveness in the context of a genocide thus amounts to thinking about this impossibility, and to asking again the question of responsibility for the crime which, besides being a crime committed by a “State”, is also as much collective as individual. Consequently, how should forgiveness be considered in this imbroglio of responsibilities? Who forgives whom and what forms does this forgiveness take, if at all possible? Is it a need or a possibility, a right or a duty, a benefit or a merit?

It is to answer these questions that the topic for this conference is born, inspired by the previous conferences. After examining the “testimonial”, the “memory”, the “third party” and the “justice”, forgiveness is in line to continue reflecting on genocide and its management. If forgiving implies going back in the past of the wrongdoing to reopen the wound in order to better bandage it, is it possible to forgive without “banalizing the evil”, thus opening the way for its possible resurgence? The complexity of the question implies a multi-field framework to better approach the issues and challenges of forgiveness in the context of the crime of genocide. Contributions inspired by philosophy, psychology, sociology, religion, literature, art, cinema, politics, education, law, etc., are all welcome. Contributions may answer, but are not limited to the following questions:

  • In a genocidal context, how do we to think about responsibilities to better consider forgiveness? In other words, who forgives whom?
  • What are the forms, conditions and limits of forgiveness?
  • Can one forgive in the name of the dead, the absolutely offended from whom forgiveness could have a meaning?
  • What can one learn from the various attempts to repair the social fabric torn by the genocidal madness?
  • Can one/must one force, encourage, allow, and/or facilitate forgiveness?
  • Can one refuse to forgive or benefit from forgiveness? What would be the reasons (Nadler & Liviatan, 2004)?
  • What connection can exist between forgiveness and justice, forgiveness and memory?
  • Can collective memory be an obstacle to forgiveness, that is, to any possibility of mending the social fabric? How does one analyze/understand the psychosocial dynamics around the victimisation and the making guilty when it comes to forgiveness and repentance (Iyer, Leach and Crosby, 2004)?
  • How do art and literature represent or stage the question of forgiveness in a genocidal context?

 

Calendar

Abstract's submission: November 1st 2013

Acceptance notification: November 30th 2013

Please send your proposals (250 words MAXIMUM) in French or English including your name, electronic address and institutional affiliation (if necessary) to one of the following addresses:

Catalina Sagarra, Trent University: catasamar@yahoo.ca

Eugénia dos Santos, McMaster University: esantos@mcmaster.ca

Eugène Nshimiyimana, McMaster University: nsheug@mcmaster.ca

Scientific Committee : Eugénia Dos Santos, McMaster University, Eugène Nshimiyimana, McMaster University; Catalina Sagarra, Trent University; Josias Semujanga, Université de Montréal; Jacques Walter, Université de Metz.

Registration fee: 60 $ CAD

Selected papers will be published.