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Colloque : "De l'immersion au cinéma" (Rennes) [prolongé]

Publié le par Aurelien Maignant (Source : Elisa Carfantan)

 De l'immersion au cinéma

 

Rennes

18-20 mai 2021

 

Cet appel est prolongé jusqu'au 15 février 2021. La réponse du comité scientifique sera donnée début mars.


IMPORTANT : Le colloque est pour le moment prévu en présentiel à l'université Rennes 1, mais au vu du contexte, toute personne habitant à l'étranger pourra intervenir à distance (modalités techniques à préciser) et cette possibilité sera élargie aux autres participants si la crise sanitaire actuelle l'impose.

 

IMMERSION : UNE AUGMENTATION DE L’EXPÉRIENCE SPECTATORIELLE ?

Casque de réalité virtuelle, cinéma 4DX, son Dolby Atmos, Imax Laser… Depuis quelques années, de nombreuses nouvelles techniques sont proposées aux spectateurs de films et elles sont souvent accompagnées de discours mettant en avant l’immersion sans cesse augmentée qu’elles permettent. Le terme même d’immersion, de plus en plus utilisé « à toutes les sauces », semble être devenu un argument marketing. La période n’est pas sans rappeler celle que l’industrie cinématographique a connue dans les années 1950, décennie pendant laquelle l’immersion (le mot n’était pas encore employé), le spectaculaire et les sensations étaient favorisés pour faire face à un concurrent alors redoutable : la télévision. Pour réagir, l’industrie cinématographique a par exemple choisi de faire jouer un rapport de force lié notamment à la taille des écrans, comme en témoigne le Cinerama1 qui a ouvert le bal en 1952. Ont suivi de nombreux dispositifs pouvant être vus comme « immersifs » dont la principale caractéristique était de proposer des films dans des formats larges (avec un ratio de projection supérieur aux ratios standards obtenus avec une pellicule 35 mm classique) et avec des systèmes de sons multicanaux. C’était le cas du Todd-AO, du MGM Camera 65 (qui deviendra le Super Panavision 70, puis l’Ultra Panavision 70), du VistaVision et, bien sûr, du célèbre Cinemascope. Le contexte n’est donc pas sans faire écho à ce que nous vivons aujourd’hui, face aux plateformes numériques de VOD et aux nouveaux moyens de visionnage associés, incitant l’industrie du cinéma à favoriser des dispositifs censés concurrencer cette circulation de plus en plus importante des images sur écrans « réduits ». Désormais pleinement présentées comme immersives, ces expérimentations sont par ailleurs aujourd’hui plus simples à entreprendre, les technologies numériques multipliant en effet les possibilités, autant au tournage qu’au moment de la projection. Mais de quels types d’expériences parle-t-on ici ? Et la notion d’immersion est-elle finalement réductible à ces dernières ?

On le conçoit, dans le contexte concurrentiel dépeint ci-dessus, on pourrait aisément limiter cette « immersivité » à des dispositifs tels ceux évoqués au début de cet appel, se concentrant avant tout sur les sensations physiques ajoutées aux images. Ce serait oublier que l’immersion ne se limite pas à des dispositifs attractionnels (immersion physique2) mais intègre également tout un champ renvoyant à ce que l’on pourrait appeler « l’immersion mentale » et qui désigne la capacité du film à impliquer le spectateur dans un univers diégétique au sein duquel on accepte de se « projeter » le temps de la fiction3. À ce titre, certains auteurs vont jusqu’à substituer la notion à « d’autres modes de conceptualisation plus anciens des formes médiatiques, comme le problème du “réalisme” ou de “l’effet de réel” au cinéma4 ». On peut en effet trouver le terme dans le cadre de réflexions narratologiques visant à réfléchir les conditions d’une immersion fictionnelle5, jouant la carte de la pénétration du spectateur à l’intérieur de l’espace diégétique, et contribuant ainsi à produire une forme d’immersion « mentale » participant de l’impression de réalité des formes cinématographiques6. Les modalités de cette projection imaginaire (qui repose, par certains aspects, sur la suspension consentie de l’incrédulité) ont ceci d’intéressant qu’elles ne sont pas les mêmes tout au long de l’histoire du cinéma. Elles dépendent en effet non seulement des évolutions techniques du médium, mais également des imaginaires rattachés aux modalités d’énonciation des films. Roger Odin évoque par exemple l’idée de « mise en phase », « processus qui […] conduit à vibrer au rythme de ce que le film […] donne à voir et à entendre. La mise en phase est une modalité de la participation affective du spectateur au film7 ».

Il est intéressant de constater à quel point ces deux conceptions de l’immersion peuvent diverger, entre une approche confinant à un oubli de soi, et une autre consistant à nous rappeler notre propre corps par le biais de la sollicitation accrue de nos sens, au point d’éventuellement faire « sortir » le spectateur du contenu du film…8 Pourtant, cette différence entre « immersion physique » et « immersion mentale » ne saurait se réduire à une opposition ferme entre l’une et l’autre. Les frontières qui semblent les séparer sont en réalité poreuses, au point où l’on puisse arguer que les dispositifs d’immersion physique s’intègrent parfois au processus d’immersion mentale, comme peut en témoigner, par exemple, le travail d’un David Lean sur Lawrence d’Arabie (1979) qui use du Super Panavision 70 pour immerger physiquement le spectateur dans l’univers fictionnel auquel il est invité à s’identifier9, à la différence du traitement purement attractionnel d’un film comme This is Cinerama (Merian C. Cooper, 1952). Il n’en reste pas moins qu’il s’avère légitime de distinguer ces deux types d’immersion afin de mieux saisir leur degré d’interaction à l’aune de l’histoire et des théories du cinéma.

 

L’IMPACT DES TECHNIQUES CINÉMATOGRAPHIQUES SUR LE TRAITEMENT DE LA NOTION D’IMMERSION

Cette première distinction amène à s’interroger sur la pertinence d’une notion qui, tout en restant en apparence identique de texte en texte, renvoie finalement à des réalités très différentes. Mais même si l’immersion ne se limite pas à une conception qui renverrait, pour le dire vite, à la « réalité virtuelle » et aux héritages attractionnels d’un certain cinéma « forain », il n’en reste pas moins intéressant de constater que plusieurs de ses usages ont pu découler de considérations avant tout techniques. Il serait en effet intéressant de se questionner, à l’instar de l’un des premiers colloques organisés dans le cadre du programme TECHNÈS10, sur l’impact que les techniques et technologies (qu’elles soient nouvelles ou non) ont pu avoir sur les théories de l’immersion au cinéma. À l’heure de sa revalorisation numérique, il convient en effet de mieux saisir les enjeux de cette notion, et surtout de tenter de la recontextualiser à la lumière de ses liens aux techniques de mise en image, de traitement du son, ou encore de projection cinématographique, afin de saisir la diversité des imaginaires qu’elle a pu convoquer, d’une époque à l’autre, dans le domaine du cinéma.

D’aucuns ont en effet pu voir dans les divers dispositifs attractionnels et innovations techniques qui ont traversé le siècle qui vient de s’écouler, la preuve que le cinéma a toujours tendu vers une forme d’immersivité qui lui serait consubstantielle. Plonger le spectateur dans une salle obscure où il est surplombé d’un écran lumineux peut par exemple déjà être vu comme une volonté d’immersion dans le contenu projeté. Les attractions des premiers temps11 pourraient ainsi se voir également dotées d’une valeur immersive12, tout comme les premières expériences sur le son et la couleur, sans compter le cinéma en relief13. Et que dire des transformations de l’appareil de prise de vues lui-même, convoquant, au gré de ses incarnations technologiques diverses et variées (du Cinématographe Lumière à la SimulCam de James Cameron en passant par les caméras de studio, les caméras légères ou encore les smartphones), différents imaginaires de l’immersion, que l’on rattache à des théories fondées chaque fois sur un contexte social, industriel et intellectuel particulier ? Les nombreuses avancées techniques qui ont jalonné l’histoire du cinéma et qui l’ont obligé à renouveler sa grammaire peuvent ainsi être perçues comme ayant concouru – au moins d’un certain point de vue – à augmenter l’immersion du spectateur, mais aussi à susciter des réflexions sur le caractère immersif du cinéma. Il est ainsi évident que ces différents enjeux technologiques aient eu des répercussions sur la pensée du cinéma à telle ou telle époque, comme en témoignent par exemple les réflexions sur le cinéma dit « total », que ce soit chez le journaliste René Barjavel en 194414, le critique André Bazin en 194615 ou le sociologue Edgar Morin dix ans plus tard16, dont les considérations, qui ont beau largement diverger sur de nombreux points, restent en revanche très en phase avec des considérations techniques plus ou moins développées au cœur des réflexions de ces auteurs. L’un des enjeux de ce colloque serait en l’occurrence d’éclairer ces différents traitements de l’immersion – ainsi que les terminologies que l’on tend à lui rattacher – à la lumière des techniques qui leur sont contemporaines, afin de mieux saisir les circulations qui existent à l’évidence entre les techniques en usage, la pratique des cinéastes et techniciens, la réception spectatorielle, et les réflexions théoriques sur le cinéma.

 

DE LA RÉFLEXION TECHNIQUE SUR LE CINÉMA À L’HISTOIRE CULTURELLE DE L’IMMERSION

Bien loin d’une notion simple et uniforme, l’immersion est donc plurielle, et son sens dépend à la fois du contexte historique dans lequel elle se trouve employée, de la discipline ou du groupe social qui l’appréhende, tout autant que de l’imaginaire des formes qu’on lui associe. Ce colloque se donne ainsi pour objectif de répertorier et de questionner différentes techniques que l’on a pu, avec plus ou moins d’évidence, rattacher à la notion d’immersion, afin d’interroger les conditions d’émergence de cette notion au sein des discours sur le cinéma. Comment les techniques cinématographiques, à tous niveaux, participent de la construction d’une certaine idée de l’immersion qui, tout en dépendant des modalités technologiques à disposition des cinéastes et techniciens, révèle aussi l’émergence d’imaginaires sociaux bien distincts qui se renouvellent tout au long de l’histoire du cinéma ? À ce titre, la différence entre « immersion physique » et « immersion mentale » sera au cœur des réflexions de ce colloque, l’une et l’autre témoignant clairement d’une relation très différente aux spectateurs, tout en participant pourtant d’un même imaginaire que la notion, reconduite d’une période à l’autre, paraît incarner.

Ainsi, au-delà des technologies auxquelles on associe d’ordinaire la notion d’immersion dans une logique attractionnelle – et que nous avons déjà évoquées – il ne faut pas oublier qu’elle recouvre également tout un champ du rapport spectatoriel aux objets filmiques qui trouve à s’incarner dans certaines méthodes de tournage. L’immersion est ainsi tout autant présente au cœur des blockbusters contemporains que des films creusant une veine réaliste et reposant sur l’usage de caméras légères comme signe d’un contact plus fort au réel dépeint (le matériel de la société Aaton utilisé sur les films des frères Dardenne ou sur une production à gros budget comme Démineurs de Kathryn Bigelow, 2009, par exemple). De même, l’utilisation de dispositifs numériques comme la performance capture est bien souvent vue comme un moyen d’amplifier l’immersion produite par les films (pensons à un long métrage comme Avatar de James Cameron, 2009), tout en constituant le signe d’une confluence évidente entre cinéma et jeu vidéo (média qui a lui-même régulièrement été qualifié de profondément immersif).

Ainsi, si le « cinéma immersif », caractérisé par une augmentation de l’immersion sensorielle, constituera bien sûr une bonne partie de ce colloque, l’un de ses objectifs sera de faire sortir la notion d’immersion des seules problématiques liées au sensoriel/physique pour lui redonner sa pluralité de sens et la confronter plus pleinement à l’histoire du cinéma et de ses dispositifs. C’est de cette manière que ce colloque ambitionne de dessiner une histoire culturelle de l’immersion, au prisme des techniques cinématographiques.

 

THÉMATIQUES ET AXES DU COLLOQUE

Ce colloque prendra en considération les propositions autour des thématiques ou enjeux suivants, nullement exhaustifs, et qui peuvent bien évidemment être pensés de manière croisée :

– Étude des techniques de mise en scène immersives

– Étude des dispositifs de diffusion immersifs

– Étude des technologies de prise de vues ou de prise de son immersives

– Étude des discours sur les techniques immersives

– Études cognitives et mesures de l’immersion physique
 

INFORMATIONS PRATIQUES

Les communications, d’une durée de 30 minutes, pourront porter sur toutes formes de cinéma (commercial, éducatif, scientifique, documentaire, d’animation, amateur, expérimental…), argentique ou numérique, à partir du moment où la notion d’immersion (mentale comme physique) du spectateur est traitée sous un angle technique.

Les propositions de communications (500-600 mots) accompagnées d’une courte notice biobibliographique de 125 mots environ (nom, institution et publications importantes) sont à envoyer pour le 15 février 2021 au plus tard aux adresses suivantes :
jean-baptiste.massuet@univ-rennes2.fr
gregory.wallet@univ-rennes2.fr

Le comité scientifique procédera à une évaluation de ces propositions en double aveugle et informera les auteurs des décisions mi-février 2021.

 

_______________________

Comité d'organisation du colloque

Marc Christie (Université Rennes 1)

Simon Daniellou (Université Rennes 2)

Jean-Baptiste Massuet (Université Rennes 2)

Grégory Wallet (Université Rennes 2)

 

Comité scientifique du colloque

Martin Barnier (Université de Lyon)

Simon Daniellou (Université Rennes 2)

Santiago Hidalgo (Université de Montréal)

Jean-Baptiste Massuet (Université Rennes 2)

Grégory Wallet (Université Rennes 2)

 

NOTES

1Héritier non proclamé du procédé triple-écran Polyvision, mis au point par Abel Gance pour son film Napoléon sorti en 1923. Le procédé repose sur des prises de vues avec une caméra triple bandes 35 mm projetées ensuite avec trois projecteurs différents sur un écran courbé à 146°.

2Qui s’incarne par exemple dans des expériences comme le format large à partir des années 1950, le Sensurround dans les années 1970 ou encore l’Odorama de John Waters.

3Par exemple, Oliver Grau distingue immersion perceptuelle (relation physique avec le spectateur) et immersion fictionnelle (relation imaginaire). Oliver Grau, Virtual Art: from Illusion to Immersion, MIT Press, Cambridge, 2003.

4Mathieu Triclot, « L’immersion n’existe pas », in Valentina Tirloni (dir.), L’Image virtuelle, Paris, L’Harmattan, coll. « Transversales philosophiques », 2012, p. 2.

5Alain Boillat, « La “diégèse” dans son acception filmologique. Origine, postérité et productivité d’un concept », CiNéMAS, vol. 19, n° 2-3, printemps 2009, p. 23 ; Roger Odin, « L’entrée du spectateur dans la fiction », in Jacques Aumont et Jean-Louis Leutrat (dir.), Théorie du film, Paris, Albatros, 1980, p. 198-213.

6Christian Metz évoque par exemple deux principaux facteurs pour ce qu’il nomme « l’impression de réalité » au cinéma. Le premier renvoie aux indices perceptifs et psychologiques de réalité que l’on trouve également dans la photographie (profondeur de champ, perspective, couleur, etc.) auxquels s’ajoutent ceux liés à la perception du mouvement. Le second facteur concerne les phénomènes de participation affective, favorisés par la nature irréelle ou imaginaire de la diégèse. Christian Metz, Essais sur la signification au cinéma, tome I, Paris, Klincksieck, 1968, p. 14-15.

7Roger Odin, De la fiction, Bruxelles, De Boeck Université, 2000, p. 38.

8À ce sujet, Valérie Péseux avance que « Plus la représentation cinématographique est complexe et combine plusieurs procédés pour intégrer physiquement le spectateur, et moins celui-ci parvient à une intégration psychique, notamment à une identification aux personnages ». Valérie Peseux, La Projection grand spectacle, Paris, Dujarric / CST, 2004.

9Citons également, en guise d’exemple, le travail de Stanley Kubrick et Douglas Trumbull sur 2001, L’Odyssée de l’espace (1968) qui accentuent le voyage intersidéral et introspectif du personnage de David Bowman à la fin du film à l’aide du dispositif très attractionnel du slit-scan.

10Colloque « Impact des innovations technologiques sur la théorie et l’historiographie du cinéma », organisé par André Gaudreault et Martin Lefebvre à la Cinémathèque québécoise de Montréal, du mardi 1er novembre au dimanche 6 novembre 2011.

11Par exemple le Panorama, mais également des dispositifs comme le « cinécosmorama » de Grimoin-Sanson.

12Jan Holmberg, « Ideals of Immersion in Early Cinema », CiNéMAS, vol. 14, n° 1, automne 2003, p. 129-147.

13Cf Martin Barnier et Kira Kitsopanidou, Le cinéma 3-D - Histoire, économie, technique, esthétique, Paris, Armand Colin, 2015.

14René Barjavel, Cinéma total : essai sur les formes futures du cinéma, Paris, Denoël, 1944.

15André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma? [1re éd. 1946], Paris, Cerf-Corlet, 2002. Bazin associe en l’occurrence la notion de « cinéma total » à des enjeux liés à l’ontologie réaliste du cinéma, lequel viserait une « représentation totale et intégrale de la réalité », « la restitution d’une illusion parfaite du monde extérieur avec le son, la couleur et le relief » (p. 22).

16Edgar Morin, Le Cinéma ou l’homme imaginaire, Paris, Minuit, 1956, p. 140-153.