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Autour du feu, enjeux d'un phénomène insaisissable

Autour du feu, enjeux d'un phénomène insaisissable

Publié le par Matthieu Vernet (Source : CIEREC - EA 3068)

Dans le cadre du programme scientifique quadriennal du CIEREC consacré aux thèmes « passages, tensions, transfigurations », ce colloque se propose d’aborder les différents enjeux posés par le phénomène du feu dans le domaine des arts visuels modernes et contemporains, mais aussi dans le champ de la musique, du théâtre, du design ou de la littérature.

Au XIXe siècle apparaît une nouvelle science qui va peu à peu modifier la conception du monde et l’imaginaire de ses contemporains : la thermodynamique ou science de la puissance motrice du feu. L’étude de la chaleur qui transforme la matière et détermine des modifications de propriétés intrinsèques fait voler en éclats l’ancien édifice newtonien, fondé sur la conservation des énergies et la réversibilité des processus. Ce n’est alors plus l’horloge mais, selon l’expression d’Ilya Prigogine et d’Isabelle Stengers, « la fournaise grondante des machines à vapeur »[1] qui devient peu à peu le modèle de fonctionnement du monde. Cette nouvelle approche semble avoir contaminé, au siècle suivant, les sphères de l’art et des sciences de l’art, où soudain les notions de hasard, de chaos, d’éphémère et d’énergie sont devenues des notions-clés pour appréhender les expériences artistiques modernes et postmodernes.

Le feu, ce « phénomène privilégié qui peut tout expliquer »[2] parce que, selon Gaston Bachelard, il peut se contredire, semble donc un objet d’étude pertinent pour penser et décrire les métamorphoses mouvementées de la création de la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Mais le feu sous ses différentes formes, qu’il soit flamme, foyer, foudre, étincelle, décharge électrique, détonation, braise ou incendie, est aussi une matière concrète aux possibilités innombrables dont se sont emparés depuis plus d’un siècle des artistes majeurs pour fabriquer des œuvres inclassables, déplaçant sans cesse les frontières de la création. Au cours de ce colloque, le feu pourra donc être abordé à la fois comme une notion paradigmatique, comme un objet de représentation ou encore comme un matériau intervenant directement dans l’élaboration de l’œuvre.

La première piste de réflexions proposée lors de ces journées convoquera le pouvoir destructeur de cet élément. En effet, pour le monde de l’art et ses acteurs, le feu est d’abord une hantise. De l’incendie de la grande bibliothèque d’Alexandrie aux autodafés nazis, en passant par le bûcher des Vanités de Savonarole, le feu est l’opérateur catastrophique de destructions irréversibles et de pertes immenses. Il représente a priori l’exacte antithèse de l’acte créateur. Figure atroce et dangereuse de l’effacement irréversible, le feu se situe du côté de l’informe, de l’aveuglant et du défigurant et posera d’emblée le problème de sa représentation. Vouloir mettre en image le feu n’est-ce pas vouloir donner forme à l’irreprésentable, celui, par exemple, des violences et des horreurs de la guerre ou de l’enfer?

Trop fuyant pour être aisément capturé, insaisissable par la main de l’artiste comme par l’esprit scientifique (Gaston Bachelard), il ne peut bien souvent être appréhendé qu’à travers les traces des multiples effets de son passage : vapeurs, odeurs, fumées, cendres. Le feu, interrogé dans un premier temps comme image paradoxale du vide et du néant, posera, au-delà des problématiques purement plastiques, de multiples questionnements autour de la notion de vérité historique et des conditions d’édification d’une mémoire commune.

Toujours dans cette perspective d’un feu destructeur, les nouvelles formes du feu que sont l’électricité et le nucléaire pourront également être interrogées à travers leurs divers modes de représentations par les artistes contemporains. Apprivoisés et invisibles, soigneusement cachés, ces nouveaux feux ont en effet pris dans nos vies une dimension inégalée, charriant avec eux de nouvelles utopies et le spectre de catastrophes jusqu’alors insoupçonnées, où la société peut à tout moment s’abîmer. Une étude des représentations apocalyptiques, récurrentes dans l’art depuis 1945, pourra notamment être menée dans le domaine du cinéma (Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio, La Jetée de Chris Marker, Dr Strangelove or: How I Learned to Stop Worrying and Love the Bomb de Stanley Kubrick).

Mais comme l’a montré Gaston Bachelard, le feu  est ambivalent, déroute les classifications élémentaires et ne cesse de se contredire : il est à la fois « cuisine et apocalypse », « douceur et torture », « dieu et diable ». Ainsi ses flammes voraces et meurtrières peuvent aussi se faire festives, régénérantes et créatrices. Il faudra alors analyser de quelle manière le pouvoir destructeur du feu, loin de représenter une menace, a au contraire rejoint les provocations et les désirs de table rase de certaines avant-gardes (Futurisme). Au lieu d’anéantir et de stériliser, le feu se fait alors figure prométhéenne libératrice, promesse d’inventions et de formes inédites, propre à ouvrir le champ des possibles dont on tentera, lors de ces journées, de défricher certaines pistes. Pourront notamment être abordées, dans cette perspective, les œuvres des Nouveaux Réalistes dont la passion pour les objets détériorés et sublimés ne pouvait faire l’impasse d’expériences liées au feu (Yves Klein, Arman, Tinguely). Certains processus artistiques fondés sur l’aléatoire et visant à la découverte de nouvelles textures et de formes inattendues pourront également être convoqués (l’Arte Povera avec Janis Kounellis et Pier Paolo Calzolari, le surréalisme et les brûlages de Raoul Ubac, ou encore les œuvres d’Alberto Burri, Christian Jaccard, Bernard Aubertin, Claudio Parmiggiani, Noël Dolla ou Chen Zhen), ainsi que certains travaux se consacrant plus particulièrement à mettre en avant le feu dans sa temporalité vive et fulgurante, ses métamorphoses et ses passages (les vidéos de Bill Viola, Lightning field de Walter de Maria, Gunpowder paintings de Cai Guo-Qiang).

Dans ces derniers exemples, la question se pose du devenir de l’expérience esthétique lorsqu’on y introduit de façon directe une matière aussi périlleuse que le feu. Lorsque Cai Guo-Qiang embrase ses gunpowders paintings dans une déflagration fulgurante et un fracas épouvantable ou que Romeo Castellucci, dans Inferno, fait brûler un piano dans la cour d’honneur du Palais des Papes, les sentiments de crainte et les réflexes instinctifs de survie ne rentrent-ils pas en conflit avec une expérience qui traditionnellement se doit d’être libre et désintéressée ? Que devient l’acte créateur lorsque l’expérience poïétique devient un acte risqué, mettant en péril l’intégrité de l’artiste ? De quelle manière les créateurs peuvent-ils ou veulent-ils s’emparer aujourd’hui, dans une société de plus en plus sécuritaire où la peur de l’accident est une obsession, d’un matériau jugé trop funeste et imprévisible par les institutions qui pourraient les accueillir (les Cheminées urbaines de Duende Studio et François Bauchet)?

Cette dernière remarque ouvre une autre piste de questionnements sur le caractère anti-institutionnel du feu. Profondément collectif, festif et contestataire, il est souvent une figure du désir et agent de changement, dont on en retrouve la présence au sein de manifestations populaires comme les festivals de rue se situant souvent en dehors des cadres traditionnels d’exposition (Burning Man festival).

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les arts traditionnels du feu comme la céramique, la gravure, la teinture ou la cuisine sont bien souvent considérés comme mineurs en regard de disciplines plus prestigieuses issues des anciens Beaux-arts où les processus aléatoires et chaotiques prennent traditionnellement moins d’importance.  Il serait donc intéressant d’examiner également l’évolution sur la scène artistique contemporaine de ces disciplines longtemps abandonnées aux marges et à l’artisanat, et ouvrant aujourd’hui de nouvelles dimensions à la création (design culinaire).

D’autres axes de réflexions pourront bien sûr se greffer, au fur à mesure des propositions, aux pistes que nous venons d’ouvrir. Pour les aborder, nous accueillerons aussi bien les contributions et témoignages d’artistes que ceux des historiens d’art, des esthéticiens ou des philosophes.

Le colloque aura lieu les 7,8 et 9 novembre 2013 à l'université de Saint-Etienne.

Les appels à communication sont à envoyer avant le 2 avril 2013 à laurence.tuot@gmail.com.

  • Responsable :
    Laurence Tuot
  • Adresse :
    Saint-Etienne, Maison de l'Université