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Collectif sur Les Bienveillantes de J. Littell

Collectif sur Les Bienveillantes de J. Littell

Publié le par Camille Esmein (Source : Murielle Lucie Clément)

Appel à contribution Date butoir des propositions : 1er septembre 2008 Recueil collectif sur Les Bienveillantes de Jonathan Littell

Selon son auteur, la portée de l'oeuvre dépasse le seul génocide des Juifs pour revêtir une dimension plus universelle. Par ailleurs, le roman a été souvent comparé à de grandes oeuvres russes, notamment à Guerre et Paix de Tolstoï (bien que chez Littell seule la guerre apparaisse vraiment bien dans toute sa grandeur et la paix de manière sporadique en tant que souvenir du narrateur) à Vie et destin de Vassili Grossman. Le titre Les Bienveillantes évoque l'Orestie d'Eschyle dans laquelle les Érinyes furieuses se transforment finalement en Euménides apaisées : la réécriture du mythe introduit la proximité incestueuse de la soeur, prénommée de façon révélatrice Una et qui représente l'image de la femme que Max ne pourra pas dépasser, son orientation sexuelle sera en effet une homosexualité dégradée. Outre Eschylle, Jonathan Littell reconnaît sa dette à d'autres tragiques grecs (Sophocle et son Electre, mais aussi Euripide, dont l'Oreste est rendu fou par les Érinyes).

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Pour certains, le roman permettra de mieux comprendre l'Histoire. C'est le cas de Jorge Semprun : « C'est une démarche assez courageuse et tellement réussie qu'on est admiratif et béat d'admiration devant ce livre. Pour les générations des deux siècles à venir, la référence pour l'extermination des Juifs en Europe ce sera le livre de Littell et ça ne sera pas les autres livres. » Selon Julia Kristeva, « puisque Les Bienveillantes n'est pas un “ roman historique” comme les autres, les critiques formulées par les historiens à son endroit ratent leur cible. Car le narrateur, lui, s'approprie ces discours (jusqu'aux archives soviétiques et aux témoignages des victimes) pour les insérer dans sa psychopathologie. Les Bienveillantes n'est pas un ouvrage d'historien, pas plus qu'une analyse de la Shoah : c'est une fiction qui restitue l'univers d'un criminel. » Pour d'autres, le roman met en scène un narrateur peu crédible par l'accumulation excessive de traits de caractère un peu trop particuliers (homosexualité, bilinguisme, inceste) et son parcours paraît peu probable « l'auteur n'hésite pas à entraîner son personnage sur tous les points chauds du Reich : le front russe, à Kiev, la bataille de Stalingrad, Paris occupé, l'évacuation d'Auschwitz, l'assaut sur Berlin…. Et le casting ne serait pas indigne d'une superproduction. Face à Max Aue, l'anonyme, apparaissent Eichmann, Himmler, Rebatet, Brasillach, Hitler : des pointures ». Selon Philippe Sollers, « le secret du roman, dont personne ne semble vouloir parler, n'est pas là. Il s'agit en réalité d'un matricide commis en état d'hypnose, et d'une identification de plus en plus violente et incestueuse entre le narrateur homosexuel et sa soeur. Question : comment être une femme lorsqu'on est un homme ? La sodomie y suffit-elle ? Le héros jouit rarement, mais parfois de façon très claire. Ainsi à Paris, en 1943, ce SS cultivé, qui lit Maurice Blanchot et fréquente Brasillach et Rebatet, raconte son expérience : “Je descendis vers Pigalle et retrouvai un petit bar que je connaissais bien : assis au comptoir, je commandai un cognac et attendis. Ce ne fut pas long, et je ramenai le garçon à mon hôtel. Sous sa casquette, il avait les cheveux bouclés, désordonnés ; un duvet léger lui couvrait le ventre et brunissait en boucles sur sa poitrine ; sa peau mate éveillait en moi une envie furieuse de bouche et de cul. Il était comme je les aimais, taciturne et disponible. Pour lui, mon cul s'ouvrit comme une fleur, et lorsque enfin il m'enfila, une boule de lumière blanche se mit à grandir à la base de mon épine dorsale, remonta lentement mon dos, et annula ma tête. Et ce soir-là, plus que jamais, il me semblait que je répondais directement à ma soeur, me l'incorporant, qu'elle l'acceptât ou non. Ce qui se passait dans mon corps, sous les mains et la verge de ce garçon inconnu, me bouleversait. Lorsque ce fut fini, je le renvoyai mais je ne m'endormis pas, je restai couché là sur les draps froissés, nu et étalé comme un gosse anéanti de bonheur.” Comme quoi, conclut Sollers, malgré la défaite et l'humiliation de l'Occupation, la verge française gardait encore sa vigueur ».

Pour l'auteur, Max est en effet un personnage hors normes : « Max Aue est un rayon X qui balaye, un scanner. (…) Il avoue ne pas rechercher la vraisemblance mais la vérité. Or “la vérité romanesque est d'un autre ordre que la réalité historique ou sociologique” ».

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Les angles d'approche envisagés pourront être nombreux et variés et comprendre, entre autres, les accentuations suivantes (non exhaustives) :

- les personnages dont le narrateur, les personnages historiques, les personnages fictifs avec la famille du narrateur (soeur jumelle et parents, beau-père) et tous les autres personnages dont fourmille le roman.

- les aspects formels, par exemple : le point de vue du narrateur, le style, l'architecture du roman, son esthétique et les influences littéraires voire la réécriture des mythes.

- les thèmes : parricide, homosexualité (qui ne va pas sans poser de problèmes pour un nazi qui veut faire carrière),

- l'antisémitisme et la Shoah représentés, la « solution finale » que le narrateur juge inutile : « C'est le gaspillage, la pure perte. C'est tout. Et donc ça ne peut avoir qu'un sens : celui d'un sacrifice définitif, qui nous lie définitivement, nous empêche une fois pour toutes de revenir en arrière. […] Avec ça, on sort du monde du pari, plus de marche arrière possible. L'Endsieg ou la mort. Toi et moi, nous tous, nous sommes liés maintenant, liés à l'issue de cette guerre, par des actes commis en commun. » [conversation avec son ami Thomas] (p. 137) et aussi : « À la pensée de ce gâchis humain, j'étais envahi d'une rage immense, démesurée », (p. 126) ; - l'idéologie impliquée (Aue tente de relativiser la théorie selon laquelle l'extermination des Juifs serait au coeur de l'idéologie nazie en affirmant que l'antisémitisme comme un phénomène ancien : «  Les premiers écrits contre les Juifs, ceux des Grecs d'Alexandrie […] ne les accusaient-ils pas d'être des asociaux, de violer les lois de l'hospitalité, fondement et principe majeur du monde antique, au nom de leurs interdits alimentaires, qui les empêchaient d'aller manger chez les autres ou des les recevoir. » (p. 618)

- la manière dont le massacre des Juifs est posé en tant que « problème à résoudre » (problème de statistique et problème de comptabilité),

- le Bien et le Mal et la banalisation de ce dernier, l'Allemagne nazie durant la seconde Guerre mondiale.

- la réception de l'oeuvre et les raisons de son succès (plusieurs grands prix littéraires, traduction, parution en « Poche »).

- les éléments du grotesque aussi que certains n'ont pas manqué de remarquer « ainsi les commissaires Weser et Clemens, constamment à ses trousses, font preuve d'une quasi ubiquité, rencontrant et traquant Aue même dans les moments les plus absurdes. Autre détail burlesque : à la fin du roman, Aue pince le nez du Führer dans le bunker ».

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À envoyer avant le 1er septembre 2008, les propositions d'articles, rédigées en français au format Word de 400-500 mots au plus, en document joint, comprenant un titre, mentionneront nom et prénom de l'auteur et l'unité de rattachement éventuelle ainsi qu'une courte notice bio.

Après acceptation par le comité de lecture, les articles (entre 5000 et 7000 mots) seront attendus pour le 1er février 2009. La publication du recueil est prévue chez Rodopi.

Pour toute correspondance :      m.l.clement1@mac.com

Murielle Lucie Clément

(Université d'Amsterdam)

BP 95256 1090 HG Amsterdam Pays-Bas