Questions de société
Censure sur TF1, par Collectif de Rouen.

Censure sur TF1, par Collectif de Rouen.

Publié le par Marc Escola (Source : SLU)

Visite à l'université de Rouen de TF1 le jeudi 12 février: censure totale de beaucoup de choses, notamment de ce qui a été dit sur la masterisation. Une vidéo du reportage est disponible ci-dessous, sur laquelle on voit bien que l'accent a été mis sciemment sur la seule question du statut des EC.

http://videos.tf1.fr/video/news/0,,4256822,00-aux-cotes-des-grevistes-a-l-universite-de-rouen-.html


Le point obscur des réformes Pécresse-Darcos censuré sur TF1 - par le collectif mobilisé de Rouen (février 2009)


[Ce dossier a été préparé par les enseignants-chercheurs du comité de mobilisation de l'université de Rouen]

Mont Saint-Aignan, jeudi 12 février, 11h.

Une équipe de TF1 prend place dans un amphithéâtre de l'Université de Rouen pour filmer une Assemblée générale des enseignants et des étudiants de l'UFR des Lettres et Sciences humaines. La salle est remplie d'une foule d'anonymes, personnels et étudiants, qui attendent la visite du Président de l'Université. Se sachant filmés par une chaîne nationale, les organisateurs et les participants n'ont pas cru utile de capter eux-mêmes des images pour les utiliser sur la toile et assurer ainsi une large diffusion à leurs échanges. Depuis vendredi soir, ils s'en mordent les doigts !

TF1, jeudi 12 février, 20h20.

Car lorsque la présentatrice du journal de jeudi évoque la grève rampante qui sévit actuellement dans plus de soixante-dix établissements d'enseignement supérieur ainsi que la grogne d'une dizaine de Présidents d'Universités auteurs d'un appel virulent à la mobilisation , il se produit un incident qui ressemble fort à un acte de censure. Qu'on en juge ! Au vingt heures, Laurence Ferrari annonce [texte intégral] : « Le dialogue de sourd continue entre les enseignants du supérieur et leur ministre, Valérie Pécresse. Les présidents d'université ont durci le ton aujourd'hui contre les réformes en cours. Le mouvement de grève touche actuellement une quinzaine d'universités. Pour en comprendre les raisons, Louis Olivier et Eric Bourbotte se sont rendus sur le campus de Rouen en grève depuis dix jours ». Une carte de France occupe déjà l'écran (voir image ci-dessus).

Trois secondes de flottement silencieux passent sans commentaire ni mouvement d'image, puis l'on entend une voix qui donne un ordre (« enchaîne », « on passe » ou « on saute ») et la présentatrice reprend : « Voilà… Un reportage de Louis Olivier que nous verrons dans quelques instants. En tout cas, sept fédérations de l'Education Nationale appellent à la grève et à manifester le jeudi 19 mars, à l'occasion de la prochaine journée d'action interprofessionnelle. »

Quelques secondes de silence qui parurent un siècle aux personnels de l'Université et à leurs familles guettant avec espoir ce qui s'annonçait comme la première expression fidèle de leurs revendications dans le journal du soir d'une chaîne nationale. Mais Laurence Ferrari passe à un autre sujet et le reportage annoncé n'est pas diffusé. Dans la diffusion en différé sur le site de TF1, le journal a été soigneusement toiletté et l'incident du direct habilement gommé.

Flash TF1

TF1, vendredi 13 février, 20h15

Le reportage est finalement diffusé le lendemain au prix d'un très gros mensonge du présentateur qui s'efforce d'expliquer la diffusion d'images filmées la veille avant 15h : « Louis Olivier et Eric Bourbotte ont passé 24 heures sur ce campus pour comprendre les causes du malaise ». Grotesque, car Rouen est à une heure de train de Paris ! Mais de surcroît, le reportage est totalement lénifiant. Il reprend le même discours inlassablement répété de journaux télévisés en journaux écrits (à quelques rares exceptions près) : les enseignants-chercheurs sont (mollement) en grève pour la défense de leur statut. Entendez : primo, la mobilisation ne va pas durer ; secundo, c'est encore une manifestation scandaleuse de l'égoïsme des fonctionnaires qui s'accrochent à leurs privilèges.

Pour toutes les personnes présentes à cette Assemblée générale et qui savent précisément ce qui a été filmé et enregistré pendant plus d'une heure de débat, le doute n'est pas permis : elles ont été censurées. Et si la censure s'est appliquée aussi radicalement, au point de mettre en péril le bon déroulement du journal du soir, c'est parce que certains propos filmés dans cette assemblée donnaient dans le mille. Oui, c'est parce qu'ils énonçaient avec clarté une analyse de la réforme qu'il ne faisait pas bon de rendre publique que les enseignants-chercheurs de Rouen ont été censurés une première fois par l'interdiction in extremis de la diffusion du jeudi, puis la seconde fois par la diffusion d'un reportage soigneusement déminé.

Le point obscur de la réforme Pécresse/Darcos

Que disaient-ils ? D'abord, et justement, que l'information sur les réformes en cours dans l'Éducation Nationale déforme généralement les motifs de lutte de la communauté universitaire. Au point, comme le Président de Paris IV-Sorbonne l'a déclaré mercredi 11 février dans un Amphithéâtre Richelieu électrisé, que l'on peut légitimement parler d'une « méthode de voyou » à propos de la politique de contrôle de l'information pratiquée par la Présidence de la République.

Les rouennais énuméraient aussi les trois points qui cristallisent leur mécontentement dans la politique du gouvernement en matière de service public d'enseignement, non seulement dans le supérieur, mais dans toute l'Éducation nationale. Il s'agit de la « mastérisation » des concours, de la révision du statut des enseignants-chercheurs et de l'inconcevable réduction des moyens alloués à l'Enseignement supérieur. Ces trois éléments sont indissolublement liés dans les déclarations de la Coordination nationale des Universités depuis le 22 janvier dernier et ils sont vigoureusement dénoncés comme un ensemble cohérent de mesures destinées à démolir sine die le service public de l'enseignement. Mais les radios et télévisions répètent à l'envi que les enseignants-chercheurs se mobilisent pour la défense de leur statut, omettant ainsi deux motifs dont un, la « mastérisation », qui est le véritable élément déclencheur de la résistance de l'Enseignement Supérieur, dès le mois d'octobre 2008. La ficelle est grosse ! Le plus petit soupçon de corporatisme associé au statut des fonctionnaires est si facile à défigurer en une défense égoïste de leurs « privilèges ». Il est vrai qu'en Assemblée générale, le Président de l'Université de Rouen s'est arrêté longuement sur le statut des Enseignants-chercheurs auquel les médias réduisent la grogne des universitaires, mais la tribune et la salle, elles, ont vivement débattu de la « mastérisation » pour en analyser les effets.

La « mastérisation », ils la conçoivent d'abord comme le remplacement pur et simple d'un concours par un diplôme, même si, pour l'heure, le gouvernement prétend ne pas vouloir abolir les concours du Capes et de l'Agrégation. Et ils considèrent que cette opération décrétée dans le dos des étudiants et présentée sans vergogne comme une « amélioration de la formation » et, plus sournoisement, avec la promesse d'une revalorisation de leur statut futur, relève du « mensonge ». Toujours selon les enseignants-chercheurs de l'Université Rouen, ce « mensonge » tire profit de la relative complexité du système pour engager subrepticement la « précarisation du métier d'enseignant » à très brève échéance et accomplir la « casse du service public d'enseignement, du primaire au secondaire » . La complexité n'est qu'apparente, en effet. Il suffit de rappeler que la formation des enseignants des premier et second degrés est accomplie dans les Universités (qui ont récemment intégré les IUFM) pour expliquer que la principale réforme de l'Éducation nationale passe par le Supérieur, à l'insu d'une partie des intéressée. En somme, un petit service, sournois, de la ministre Pécresse (Enseignement supérieur et Recherche) au sinistre Darcos (Éducation nationale).

Le ton est devenu grave lorsqu'un enseignant-chercheur a fait part à l'Assemblée de son émoi : les ministres Pécresse et Darcos ne se rendent-ils pas coupables de « cynisme » ? Ont-ils un tant soit peu conscience de l'éthique qui fonde le lien entre enseignants et étudiants ? Et ne voit-on pas qu'en exigeant des universitaires qu'ils conçoivent les masters d'enseignement sur la base de circulaires bâclées et contradictoires , qu'en les contraignant à accomplir une réforme qui « introduit un CPEbis au coeur de l'Éducation Nationale », les ministres placent toute une profession dans la situation d'accomplir une mission sournoise, cynique et amorale auprès de leur public quotidien.

Mais si cette analyse à laquelle les universitaires se rangent en nombre croissant – et qu'ils expliquent à leurs étudiants dans des dizaines d'Assemblées générales qui se tiennent chaque jour dans toute l'université française –, si cette analyse faisait apparaître pour ce qu'il est le principal motif d'une grève profondément politique, qu'adviendrait-il ?