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Censure, autocensure, résistances

Censure, autocensure, résistances

Publié le par Marc Escola (Source : Annie Epelboin)

Journées d'études


Censure, autocensure, résistances


Organisées par Annie Epelboin


Mardi 3 juin & mercredi 4 juin  2008


Université Paris 8 – Bâtiment D - salle D143

Ces journées d'étude et de recherche seront l'occasion de réfléchir ensemble sur les modalités de la création littéraire en situation d'adversité. Les formes diverses de brutalité répressive, de chantage et de terreur idéologique qui ont marqué particulièrement la vie et la création artistique au XXe siècle, en imposant le mutisme ou le conformisme, ont cherché à en finir avec la libre expression. Elles ont cependant suscité  des oeuvres résultant, semble-t-il, de la transaction entre le renoncement à créer et l'énergie créatrice, entre la nécessaire adaptation et la force libératrice qui impose d'écrire. Cette transaction permet que s'érige une capacité de résistance fondatrice d'oeuvre : faisant jouer ensemble ces forces contradictoires d'autocensure et de libre expression, l'oeuvre résultante propose des lectures obliques, voilées, parfois cryptées, ou même paroxystiques (Mandelstam, Platonov, Chalamov, Celan…).

Doit-on pour autant affirmer que la persécution est nécessaire à l'art d'écrire (Leo Strauss) ? Peut-on préciser le point de non-retour par-delà lequel cesse véritablement l'activité créatrice, sous le coup d'une censure par trop répressive et intériorisée ? Les schémas classiques de détournement (ironie, parodie, déplacements sur les vecteurs spatio-temporels) valent-ils au XXe siècle comme par le passé ? On s'interrogera sur ce que semblent avoir inventé les « totalitarismes » en obligeant à une intériorisation forcenée de la norme officielle. Sur les effets d'ambivalence voire même de fascination qui entrent en jeu dans les oeuvres  qui ont été créées dans ce contexte. Sur le rôle qu'y a joué le soudain développement des mass media. Doit-on pour autant ne s'adresser qu'au passé ? Qu'en est-il aujourd'hui, qu'en est-il ailleurs, des effets de l'autocensure sous les cieux plus cléments du « libéralisme » ?

(Cette manifestation a reçu le soutien de l'équipe « Littérature et histoires », de l'Ecole Doctorale « Pratiques et théories du sens »

et du Service des Relations et de la Coopération Internationales de l'Université Paris 8)

PROGRAMME

(le résumé des interventions figure à la suite)

Mardi 3 juin

Matinée : 9h30-12h30

9h30 Présentation : Annie Epelboin  (Université Paris 8)

Modérateur : T. Samoyault

9h45 Sophie Gouverneur (Collège International de philosophie) :  Art d'écrire et persécution chez Leo Strauss

10h15 Claude Mouchard (Université Paris 8) : Censure et vérité : l'Areopagitica de John Milton.
10h45 Discussion
11h Pause

 11h15 Annie Epelboin  (Université Paris 8) : L'Interlocuteur Unique : la censure au nom du peuple en système totalitaire

11h45 Katia Dmitrieva (Université RGGU Moscou) :  Abolition de la censure : la mentalité russe prise au piège ?  (de N. Karamzine à l'époque postsoviétique)
12h15  Discussion

12h30 : Déjeuner

Après-midi : 14h-18h30

Modérateur: P. Bayard

14h Catherine Coquio (Université de Poitiers) : La lutte contre l'autocensure et ses effets littéraires : à partir d'un texte de Danilo Kis.

14h30 Luba Jurgenson (Université Paris 4) : Un modèle de résistance (Chalamov) : la perte à l'oeuvre dans la construction du sens


15h Alain Brossat (Université Paris 8) :  Redacted - les formes de censure contemporaines
15h30 Discussion
16h15 Pause

16h30-18h30 FILM (salle à préciser) Tania Kouzina (doctorante, Université Paris 8) et Annie Epelboin : Présentation et projection du film de V. Todorowski sur la guerre en Tchétchénie « Mon demi-frère Frankenstein ».
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Mercredi 4 juin : 9h30-13h:

9h30  Emmanuel Dreux (Université Paris 8) : Hollywood, Chaplin et le Dictateur : à partir d'un "calembour pileux"

10h Zineb Ali Ben Ali  (Université Paris 8) : La stratégie de l'écho. Une écriture contrainte dans l'algérien du discours unique, 1962- 1988.

10h30 Françoise Simasotchi (Université Paris 8) :  « Bruits de combat et de chaînes brisées », Aimé Césaire et  J. Zobel  face à   la censure en Martinique sous Vichy.

11h Discussion

11h30 Table ronde, animée par Claude Mouchard, avec Frédérique Leichter-Flack (Université Paris 10) et les participants.

Résumés des interventions (ordre alphabétique)


Zineb Ali -Ben Ali : La stratégie de l'écho. Une écriture contrainte dans l'algérien du discours unique, 1962- 1988.

Entre le  coup d'État de Boumediene et la fin du Parti Unique - l'Algérie vivait sous le signe du monologisme : un seul peuple, un seul discours. Dans ce contexte, comment écrire, créer, avoir une pensée ? En Algérie, la critique politique prend les couleurs de la critique sociale, et l'humour déplace et voile les points d'attaque. Une étude reste à faire pour voir l'accompagnement du Discours unique et comment l'écrivain ou l'homme de théâtre s'en détachent, pour en montrer les failles et les limites. L'humour et les histoires drôles, les pratiques de détournement dans l'enseignement...

Alain Brossat :  Redacted - les formes de censure contemporaines
Le principe de la censure contemporaine, est la furtivité, soit sa difficulté a être détectée en tant que censure. Ses techniques et dispositifs les plus courants, dans les démocraties a l'occidentale, ne sont pas la suppression, l'interdiction ou la menace, mais l'omission, la sélection, la hiérarchisation, la mise en forme, etc. Reste à savoir jusqu'à quel point cette fluidification d'une censure néanmoins toujours aussi efficiente peut donner lieu a l'apparition d'espaces critiques dans lesquels les formes comme le principe même de la censure pourraient être en question.

Catherine Coquio : La lutte contre l'autocensure et ses effets littéraires : à partir d'un texte de Danilo Kis.

Dans un article de 1985, l'écrivain yougoslave Danilo Kis évoque la lutte de l'écrivain contre son "double" qui lui fait pratiquer l'autocensure, et les traces de cette lutte dans l'écriture, sous la forme en particulier de la "métaphore", par quoi l'autocensure détourne la pensée "vers le champ de la poétique". Citant à ce sujet certains écrivains russes des années 20, il  poursuit ensuite sur le risque que fait courir à l'écrivain la victoire morale contre l'autocenseur en lui (la mort), ou la liberté en exil (une forme de stérilité dans l'immigration). Je propose de vérifier la pertinence de cette analyse à propos d'écrivains - russes mais aussi arméniens – qui échouèrent à se protéger jusqu'au bout du régime soviétique, et d'autres qui ont écrit ailleurs et plus tard en exil - à commencer par Danilo Kis lui-même, en distinguant son cas de celui d'Ismaël Kadare. 



Katia Dmitrieva :  Abolition de la censure : la mentalité russe prise au piège ? (de Karamzine à l`époque postsoviétique)

Prenant pour le point de départ le fameux mot de Karamzine "si on avait supprimé la censure j'aurais quitté la Russie", j`essayerai de démontrer à quel point la censure contre laquelle s'est toujours battue l`intelligentsia libérale russe s`est avérée en fin de compte assez propice pour le développement  de la littérature, aussi bien au XIXe siècle qu`au XXe siècle.



Emmanuel Dreux : Hollywood, Chaplin et le Dictateur : à partir d'un "calembour pileux"

Tout commence par une moustache ! Pourtant, l'évidente ressemblance entre Charlot et Hitler aurait bien pu empêcher le film de se faire : hésitations de l'artiste à aborder un tel sujet, craintes, intimidations et mises en garde des futurs alliés face au pouvoir de dérision d'un tel projet… De 1938 à 1940, la réalisation de The Great Dictator rencontre de nombreux obstacles et différentes formes de censure – et d'autocensure – qui font apparaître Chaplin comme un modèle de résistance et d'indépendance créatrice au sein d'une usine à rêves soumise alors au bon vouloir de la propagande


Annie Epelboin : L'Interlocuteur Unique : la censure au nom du peuple en système totalitaire

Dès lors que le censeur usurpe la voix et la place du peuple –ou du « prolétariat »-, il se substitue insidieusement au destinataire de l'oeuvre. Ecrire pour le tiroir (Boulgakov) ? Tenter le dialogue impossible  (Platonov) ? Garder le cap sur « l'ami éloigné » (Mandelstam) ? Autant de positions adoptées en réponse qui infléchissent profondément les choix d'écriture et mettent en péril la survivance des oeuvres : si tant est que le texte demeure, son authenticité est problématique, sa genèse est nécessairement marquée d'obscurité.



Sophie Gouverneur : L'art d'écrire et la persécution selon Léo Strauss

Léo Strauss définit l'art d'écrire comme la réponse politico-littéraire à la persécution
dont risquent d'être victimes ceux qui cherchent à communiquer une"pensée libre et indépendante". Cette "écriture entre les lignes" soulève plusieurs questions : est-elle véritablement suffisante pour permettre l'expression publique de la pensée ? Prend-elle des formes nouvelles dans les démocraties modernes libérales ? Quel statut Strauss accorde-t-il finalement à la persécution lorsqu'on sait que ses analyses ont été écrites au début des années 40 ?

Luba Jurgenson : Un modèle de résistance (Chalamov) : la perte à l'oeuvre dans la construction du sens.

Le tissu complexe de motifs récurrents qui émaille Les Récits de la Kolyma, crée une structure mnémonique à plusieurs niveaux dont l'enjeu est l'advenue du sens sur les ruines de la représentation. Cette construction métatextuelle, où la perte et l'oubli jouent  paradoxalement le rôle d' « agents de liaison » entre le vécu et le dire, exprime-t-elle l'essence du témoignage ou surgit-elle en réaction à la falsification de l'Histoire au moment du Dégel.


Claude Mouchard : Censure et vérité : l'Areopagitica de John Milton.

Ce pamphlet du poète anglais est né en un temps où se sont déployés des combats idéologiques et de nouvelles pratiques de propagande qui ont d'emblée débordé les frontières de l'Angleterre. Mais c'est également au XVIIe siècle qu'il s'est arraché ¬ tout autrement que ne l'a fait le Paradis perdu ¬  pour courir le monde et  les époques, et pour traverser maintes situations révolutionnaires. On ne peut l'ignorer, aujourd'hui encore, quand on parle de censure.


Françoise Simatotchi : « Bruits de combat et de chaînes brisées », A. Césaire et  J. Zobel  face à   la censure en Martinique sous Vichy.

Face à la censure  pratiquée en Martinique sous Vichy,  des écrivains  martiniquais ripostent. En 1941, A. Césaire, R. Ménil et d'autres fondent la revue Tropiques. En 1942, J. Zobel, écrit Diab-là, son premier roman. L'examen des modalités de la censure subie par ces deux productions littéraires, et de ce qu'elles révèlent de leurs enjeux, fait apparaître que les stratégies d'écriture  adoptées alors ont été déterminantes tant pour l'entrée sur la scène mondiale que pour les orientations futures de la littérature antillaise.