Questions de société
 

"Campus de Saclay : l'Université Paris-Sud se rebiffe" (blog de S. Huet, Sciences², 24/11/2010)

Publié le par Arnaud Welfringer

 

"Campus de Saclay : l'Université Paris-Sud se rebiffe" - Sylvestre Huet, Sciences², Libéblog, 24 novembre 2010

Nouvel épisode dans la naissance mouvementée du Grand Campus Paris-Saclay. Des réunions décisives sont prévues en décembre. Elles portent sur un point fondamental : quelles seront les relations entre l'Université Paris-Sud et les autres partenaires (23 au total) de ce projet présenté comme crucial par le Président de la République Nicolas Sarkozy ?

L'examen des projets de statuts de la Fondation de coopération scientifique (FCS) Campus Paris-Saclay tourne à l'affrontement. Cette FCS doit, selon le préambule des statuts actuellement en discussion exercer «la responsabilité de la définition et de la mise en oeuvre de la stratégie scientifique du campus» et en tant qu'«organe de gouvernance» conduire «un projet transformant pouvant préfigurer le système de recherche, d'enseignement Supérieur et d'innovation du XXIème siècle dans un contexte de concurrence internationale».

Ce texte pose deux questions majeures : de quel «système» parle t-on ? et quelle place vont y occuper l'Université et le CNRS. Le discours de Valérie Pécresse et de Nicolas Sarkozy prétend que, dans le nouveau système qu'ils mettent en place, les universités sont «au coeur», et de surcroît «autonomes». Bref, au centre du pouvoir en théorie. Quant au Cnrs, après l'avoir vilipendé, la ministre ne cesse de souligner son rôle «stratégique» au plan national et international, en particulier en complémentarité avec le rôle territorial des universités.

Ce discours entre en violent conflit avec les actes. Et en particulier le projet de statut de la Fondation de coopération scientifique tel que poussé par le ministère de Valérie Pécresse. Il suffit de se pencher sur la composition de son futur Conseil d'Administration pour le vérifier. L'actuel projet de statut stipule en effet que l'Université Paris-Sud n'y disposerait que de 11 voix sur 125, et le Cnrs de 7 voix... alors que ces deux entités apportent 60% des étudiants du futur campus et plus de 50% des chercheurs, ingénieurs et techniciens des laboratoires.

Devant cette proposition invraisemblable, en totale contradiction avec les discours ministériels - à moins que la formule "universités autonomes et au coeur du système" ne cache un projet très différent de son affichage - le Conseil d'Administration de Paris-Sud a exprimé sa volonté de voir ce projet de statut amendé. De son côté, le PDG du Cnrs, Alain Fuchs, a fait part de sa vive inquiétude à la dernière réunion du Conseil Scientifique du Cnrs.

Valérie Pécresse a récemment déclaré : «Je me bats depuis trois ans et demi, mais je ne voudrais pas me battre seule pour que l'université Paris-Sud ait toute sa place dans le campus de Saclay », en conclusion de son hommage à Ngô Bào Châu, lauréat français de la médaille Fields en 2010, mardi 16 novembre 2010 à l'université Paris-Sud. «Je compte sur toute la communauté scientifique et universitaire du plateau de Saclay et d'Orsay pour se saisir sérieusement de la question. Je ne peux pas faire les choses à votre place, car ce n'est pas la logique de l'autonomie», dit-elle à l'attention des responsables et des enseignants-chercheurs de l'université. Le sens de cette déclaration n'a en réalité rien de clair. Incite t-elle les universitaires à se coucher devant le diktat et d'accepter une gouvernance où ils sont réduits à la portion congrue ?

Dans une note présentant le projet de statut, le Président de Paris-Sud, Guy Couarraze, insiste sur le risque que prendrait l'Université si elle se retirait du projet. Il évoque le rêve d'une grande université «confédérale», avec un regroupement des acteurs du Campus autour du principal acteur. Mais les risques semblent bien plus prégnants que le rêve.

Les questions liées à la gouvernance du futur Campus ne sont pas les seuls problèmes posés par un projet monté à la hâte. Le gouvernement a mis le couteau sous la gorge des universitaires en les menaçant de voir l'université péricliter s'ils n'acceptaient pas un déménagement sur le plateau de Saclay, quittant ainsi le site d'Orsay. Or, cette décision pourrait bien se traduire par un gigantesque gachis d'argent public.

Des équipements scientifiques lourds (à l'Institut d'astrophysique spatiale dont les bâtiments sont récents, Elyse en chimie...) ne se déplacent pas en un tour de main. La démonstration selon laquelle rénover et étendre le campus sur son lieu actuel serait plus cher que des constructions nouvelles sur le plateau n'a pas été faite et heurte le simple bon sens. De toute façon, un tel déménagement ne saurait être rapide et suppose d'avoir au préalable réglé de manière satisfaisant l'accès par les transports publics pour des milliers d'étudiants. Lire ici une note présentant une contestation du projet.

En outre, les restructurations en cours, avec la désignation de LABEX (laboratoires d'excellence) qui concentreraient les financements au dépens d'autres risque de troubler complètement le dispositif. Le risque est grand de voir l'Université coupée en deux ou trois parties, avec tout le niveau Licence sacrifié. Or, si Paris-Sud constitue avec Pierre et Marie Curie le fer de lance de l'université française en sciences de la matière et de la vie, ce n'est pas seulement à leurs chercheurs, universitaires, laboratoires et doctorants qu'elles le doivent, mais aussi au flux d'étudiants en licence et masters qu'elles produisent et qu'aucune autre structure ne peut produire à leur place.

Lire un communiqué de la FSU et du SNCS sur ce sujet.