Collectif
Nouvelle parution
C. Reggiani, H. Salceda (dir.), Réceptions et usages de l'oeuvre de Roussel

C. Reggiani, H. Salceda (dir.), Réceptions et usages de l'oeuvre de Roussel

Publié le par Ivanne Rialland (Source : La Revue des lettres modernes)

 

RAYMOND ROUSSEL 4. Réceptions et usages de l'oeuvre de Roussel

Sous la direction de Christelle REGGIANI et Hermes SALCEDA

Caen: Lettres modernes Minard, coll. "La Revue des lettres modernes", 2010

ISBN 978-2-256-91159-0

Avant-propos

Hermes SALCEDA

Cette livraison de la Série Raymond Roussel de la collection «La Revue des lettres modernes» prolonge une voie d'investigation ouverte dans notre précédent volume, dont plusieurs études avaient relevé l'influence de Roussel dans l'univers littéraire aussi bien que dans celui des arts et des spectacles.

Cette ouverture nous a semblé solliciter suffisamment les chercheurs universitaires, les écrivains et les artistes pour inviter les uns et les autres à poursuive l'exploration.

Les travaux présentés révèlent que l'“épanouissement posthume” espéré par Roussel “à l'endroit de [s]es livres” — (« Et je me réfugie, faute de mieux, dans l'espoir que j'aurai peut-être un peu d'épanouissement posthume à l'endroit de mes livres» — s'est bel et bien produit, même s'il n'a pas pris exactement les formes attendues par l'écrivain.

Il est sûr que Roussel, au début du XXIe siècle, reste un auteur pour happy few, mais il n'en demeure pas moins que son oeuvre a su trouver des lecteurs fervents, pour qui elle a pu représenter une sollicitation esthétique et théorique majeure. L'influence de Roussel parcourt ainsi, de manière plus ou moins secrète mais non moins certaine, l'art et la pensée du XXe siècle; là où on pouvait l'attendre, accompagnant les Surréalistes, les Nouveaux Romanciers, les Oulipiens dans leur aventure pour le renouvellement de la littérature, mais aussi là où on l'attendait peut-être un peu moins, servant aux philosophes d'important lieu de réflexion pour élaborer leurs théories — Gilles Deleuze a dit plus d'une fois que Raymond Roussel était le meilleur livre de Michel Foucault.

Mais l'influence de Roussel s'est aussi déployée là où on l'attendait sans doute encore moins, inspirant nombre d'artistes, plasticiens, architectes, cinéastes, musiciens, qui lui rendent hommage dans leurs oeuvres, relancent le Procédé vers de nouvelles aventures, se servent de Roussel pour leurs explorations esthétiques, illustrant ainsi la puissance de l'imaginaire de notre auteur. Dali et Duchamp avaient ouvert cette voie dans laquelle on retrouve plus récemment les noms de Guy de Cointet, Mike Kelly, Steve Fagin, Jean-Louis Faure, Érik Bullot, Pierre Bastien...

Dans Comment j'ai écrit certains de mes livres, Roussel rappelle douloureusement les échecs à répétition des oeuvres et des adaptations qu'il avait proposées pour la scène. Il est sans doute surprenant que des textes qui accordent une aussi grande place au théâtre, à toutes les formes de représentation, peuplés de figures provenant directement de l'univers des fêtes foraines et du cirque se soient tout compte fait avérés, à son époque et jusque dans les années Quatre-vingt, pratiquement irreprésentables.

Pour que le monde de la scène s'intéresse de nouveau à Roussel, il aura fallu attendre, de fait, que le langage du théâtre évolue, que se diluent les frontières entre les genres, que le théâtre se mette à dialoguer avec la danse, la performance, les arts visuels, le cirque... Il aura fallu, paradoxalement, que l'art dramatique cesse d'être subordonné au texte pour accueillir des textes aussi complexes que ceux de Roussel, dont l'inadéquation à peu près totale au théâtre conventionnel finit par constituer aujourd'hui un espace de liberté pour ceux qui les adaptent. Ainsi, comme le montre Anne-Marie Basset, ce n'est qu'à partir des années Quatre-vingt que metteurs en scène et chorégraphes rendent sous des formes variées hommage à Roussel.

Le mythe Roussel n'a certes rien perdu de l'attrayant mystère qui séduit toujours les metteurs en scène; cependant, et cette évolution est fondamentale, les potentialités inventives et poétiques des textes sont maintenant la source fondamentale d'inspiration pour les metteurs en scène comme pour les autres artistes.

Les spectacles creusent, s'interrogent et exploitent tous les aspects de l'oeuvre : le rapport entre la vie et l'oeuvre, le Procédé, l'imaginaire, la dynamique du récit.

L'interprétation chorégraphique de l'oeuvre roussellien par Josef Nadj qu'analyse Julie Gothuey est un excellent exemple de ce nouveau rapport des arts du spectacle aux textes. En effet, dans Poussière de soleils, Nadj ne conçoit pas son spectacle comme la transposition de textes qui lui seraient antérieurs, il réinterprète les signes verbaux et l'imaginaire qu'ils libèrent dans la sémiotique beaucoup plus globale du spectacle chorégraphique. Le mouvement de la création de Nadj est en fait double : il décompose l'ensemble de la vie et de l'oeuvre de Roussel en fragments qu'il utilise comme matériau qu'il fait évoluer dans son spectacle. Le principe de transformation du langage est réinvesti dans une réflexion sur les objets, les corps, les miroirs et leurs usages qui est, de fait, une interrogation sur le sens et, plus largement, sur l'identité.

Les plasticiens ont eux aussi, depuis Duchamp et Dali, souvent rendu hommage à Roussel, mais aucun, à notre connaissance,exception faite peut-être de Guy de Cointet, n'a calqué sa méthode de production plastique de manière aussi directe sur le Procédé que le graveur canadien Jacques Arseneault. En effet, tous les travaux réalisés par cet artiste depuis 1985 sont directement tributaires des textes de Roussel. À l'instar du livre posthume de son maître, Jacques Arseneault dévoile sa façon de relancer le Procédé roussellien dans une aventure créative sans doute inattendue, qui en fait jaillir les potentialités poétiques.

Plusieurs études de notre volume précédent avaient interrogé la place de la musique dans la biographie et les textes de Roussel. Une place, comme le rappelle ici le compositeur Pierre Bastien (qui a lui-même donné corps aux machineries musicales de Roussel), qui pouvait difficilement laisser indifférents les lecteurs musiciens : ainsi, «la liste des musiciens lecteurs de Roussel traverse les styles et reflète le pluriel appliqué à la musique de notre temps : on parle désormais volontiers des musiques actuelles»*. Pierre Bastien va plus loin, et montre comment pour «les chercheurs et les théoriciens de la musique contemporaine Roussel fait figure de prophète». Il rattache au Procédé les automatismes à partir desquels travaille la musique contemporaine, qui engendre souvent des matériaux musicaux à partir de processus aléatoires et les filtre ensuite à l'aide d'un système de contraintes. Si les procédés rousselliens de création inspirent la musique contemporaine, il ne faut pas négliger la puissance des espaces imaginaires créés par notre auteur qui, comme le rappelle l'artiste allemande Rebecca Horn, fonctionnent eux-mêmes comme de puissants déclencheurs pour l'inventivité

des artistes.

S'interrogeant lui aussi sur l'influence de Roussel dans les orientations musicales actuelles, Benoît Delaune, tout en se montrant sceptique quant à la possibilité d'une influence directe, relève «des points de convergence entre les deux approches de l'acte créateur et des techniques scripturales et compositionnelles ». Benoît Delaune relie ainsi la trituration des sons dont partent souvent les musiques dites concrètes et celle infligée aux mots par le Procédé roussellien. Le fait est que nombre de musiciens dits expérimentaux revendiquent Roussel comme l'une de leurs principales sources d'inspiration.

Un des paradoxes de l'histoire de la réception de Roussel est le grand impact de l'essai que lui a consacré Michel Foucault, sans doute davantage lu, en raison de la renommée du philosophe, que les textes de l'auteur. Anne-Marie Amiot analyse dans le détail cette rencontre inattendue entre Foucault et Roussel, qui relève pour elle, certes, du hasard, de la passion et d'affinités psychologiques plus ou moins enfouies entre les deux auteurs, mais qui est aussi à situer dans la ligne des préoccupations psycho-philosophiques du Foucault de l'époque. Au-delà, Anne-Marie Amiot pointe le caractère novateur du Raymond Roussel

dans l'histoire de la critique littéraire des années Soixante. Sur le Raymond Roussel de Foucault portent aussi, en partie, les entretiens de Mariana Kunešová avec le philosophe et historien de la pensée Josef Fulka et l'écrivain Michal Ajvaz, qui insistent davantage sur l'intérêt foucaldien pour la conception de la langue que sur la question de la folie.

L'intérêt de la perspective foucaldienne est sans doute d'avoir vu comment, dans le rapport de Roussel à l'écriture et dans ses textes, se jouait quelque chose de fondamental pour l'homme contemporain. C'est ce que rappelle l'écrivain espagnol Enrique Vila-Matas, qui se remémore le caractère déroutant de sa première lecture de Locus solus et le pouvoir des mondes créés par Roussel pour déplacer la pensée vers des lieux totalement étrangers et différents du monde auquel nous nous efforçons d'appartenir.

Michel Leiris fut sans doute l'un des écrivains dont la lecture de Roussel fut la plus attentive, et l'admiration la plus sincère. Cependant, l'influence et/ou les confluences des oeuvres de ces deux auteurs n'ont pas souvent été explorées. En ce sens, Christophe Ippolito vient combler un manque dans la critique roussellienne, en proposant une étude comparée de «la dimension spectaculaire dans Impressions d'Afrique [...], qui décrit notamment le gala des Incomparables, et corrélativement dans L'Afrique fantôme»; d'étonnantes résonances entre les deux ouvrages apparaissent.

Quant à Sjef Houppermans, il analyse le livre-hommage du poète Jean-François Bory, Roussel, S.A.R.L.; hommage qui revisite tout l'oeuvre roussellien et ses principaux thèmes à travers un surprenant mélange des genres et une prolifération intertextuelle pleinement postmoderne.

Dans l'histoire de la réception tchèque de Roussel que retrace Mariana Kunešová, on reconnaît les lieux et les lectures les plus fréquents de l'oeuvre de l'auteur. Roussel pénètre, en effet, en Tchécoslovaquie par l'intermédiaire du groupe surréaliste pragois, et à travers des écrivains qui s'intéressent aussi à la philosophie et présentent l'auteur à la presse littéraire via l'essai de Michel Foucault. Cependant, la place de Roussel dans l'histoire de la littérature semble évoluer puisque, du moins en République tchèque, ses oeuvres sont publiées dans des collections de classiques du XXe siècle.

Si les textes de Roussel ont ainsi pu être appréciés par des lecteurs non francophones, c'est, évidemment, grâce au travail des traducteurs, pour lesquels le Procédé représente un défi majeur. Ramón Lladó, traducteur de Impressions d'Afrique en catalan, retrace cette expérience de récriture qui oblige le traducteur à «développer dans la langue d'arrivée un travail analogue sur les doubles sens et les dédoublements, au plan lexical autant que syntaxique»*, tout en préservant les contenus fictionnels de l'original.

Nous présentons enfin, dans la partie «Analyses», les travaux de Pierre Bazantay et d'Olivier Bessard-Banquy, qui portent respectivement sur les notes de lecture de Roussel retrouvées dans la fameuse malle déposée à la Bibliothèque nationale de France, et sur l'inscription de la subjectivité dans les textes à travers les figures de l'emphase. C'est à une véritable enquête de détective que se livre Pierre Bazantay en ouvrant les trente-neuf enveloppes contenant les notes de lecture de Roussel. Une fois de plus chez Roussel, la gloire et le génie vont apparaître comme des indices fondamentaux, susceptibles de donner la clé d'une énigme que nous laissons au lecteur le plaisir de découvrir.


LA REVUE DES LETTRES MODERNES

RAYMOND ROUSSEL 4

RÉCEPTIONS ET USAGES

I. USAGES DE ROUSSEL

1. Quelques influences de l'oeuvre de Raymond Roussel dans la musique d'aujourd'hui, par Pierre BASTIEN.

2. Quelques confluences rousselliennes, de John Cage à la musique concrète et The Hafler Trio : des musiques à procédé existent-elles?, par Benoît DELAUNE.

3. L'OEuvre de Raymond Roussel à la scène : 1986–2009, par Anne-Marie BASSET.

4. Poussière de soleils de Josef Nadj : hommage et quête identitaire, par Julie GOTHUEY.

DOCUMENT : Le Rôle de la littérature dans l'oeuvre de Jacques Arseneault ou Comment j'ai réalisé la plupart de mes oeuvres, par Jacques ARSENEAULT.

II. ÉCRIRE ET PENSER À PARTIR DE ROUSSEL

1. Michel Foucault, Raymond Roussel, ou les jeux de l'amour et du hasard, par Anne-Marie AMIOT.

2. Mises en scène d'un continent de Roussel à Leiris : d'une Afrique l'autre, par Christophe IPPOLITO.

3. Jean-François Bory : roussellien ou roussellâtre?, par Sjef HOUPPERMANS.

4. La Réception tchèque de Roussel : discrètement, la partie avance, par Mariana KUNEŠOVÁ.

ANNEXES : Entretien avec Petr Král. – Entretien avec Michal Ajvaz. – Entretien avec Josef Fulka.

5. Traduire Roussel ou comment doubler les mots, par Ramon LLADÓ.

DOCUMENT : Retour à Locus solus, par Enrique VILA-MATAS.

III. ANALYSES

1. Les Trente-neuf enveloppes de Roussel, par Pierre BAZANTAY.

2. Comment Roussel a écrit certaines de ses phrases : des formes de l'emphase et de l'excès chez l'auteur de Locus solus, par Olivier BESSARD-BANQUY.

3. De Raymond Roussel à Cadet Roussel ou Comment des illustrateurs ont écrit certains de leurs livres en pensant à lui, par Éléonore HAMAIDE-JAGER.

BIBLIOGRAPHIE

Bibliographie, oeuvres et critique (2005–2009), par Christelle REGGIANI.

CARNET CRITIQUE

Raymond ROUSSEL, OEuvres VII. Impressions d'Afrique, Jean-Philippe GUICHON ed. (par Anne-Marie BASSET). – Raymond ROUSSEL, OEuvres IX. L'Allée aux lucioles, Flio, Pages choisies, Annie LE BRUN et Patrick BESNIER eds (par Christelle REGGIANI).