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Bande dessinée et engagement

Bande dessinée et engagement

Publié le par Perrine Coudurier (Source : Fabrice Preyat)

COLLOQUE INTERNATIONAL

ORGANISÉ

PAR LE CENTRE D’ETUDES LITTERAIRES, PHILOLOGIQUES ET TEXTUELLES/PHILIXTE (ULB)

ET

PAR LE GROUPE DE RECHERCHE SUR L’IMAGE ET LE TEXTE/GRIT (UCL)

 

Avec la collaboration du Groupe de contact FNRS « Recherches sur les relations texte-image »

et du Séminaire de 3e cycle ED3 et ED4 « Texte, Image, Musique »

 

« BANDE DESSINÉE ET ENGAGEMENT »

23-25 octobre 2013

 

ARGUMENTAIRE

 

À peine entamée, la deuxième décennie du XXIe siècle a vu la production BD francophone porter un intérêt manifeste à l’actualité sociale, économique, politique, culturelle et religieuse, locale ou internationale, passée ou présente, avec le souci tout aussi explicite d’en rendre compte de manière critique[1]. La pratique semble, à première vue, bien partagée au sein du champ éditorial concerné et peut être interprétée comme un signe supplémentaire de l’accession à un stade véritablement « adulte » du mode d’expression en question : tout comme le roman, la bande dessinée est désormais susceptible d’évoquer n’importe quel sujet et, corollairement, de se montrer ouverte sur le monde dans sa complexité, sans pour autant oublier ses origines fictionnelles comiques et/ou aventurières. Ce qui n’a pas échappé à la critique littéraire, comme l’atteste le sommaire du dernier numéro de la très vénérable Revue des Deux mondes, qui consacre près d’une trentaine de pages à un entretien rassemblant Abel Lanzac, scénariste de la suite Quai d’Orsay, et François Bujon de l’Estang, ambassadeur de France et par ailleurs membre de la rédaction de la revue[2].

Pour en apprendre sur la notion même d’engagement en BD, il peut être utile de s’inspirer, fût-ce provisoirement, de ce qu’il en a été en Littérature, quand on sait que cette dernière a longtemps influencé la destinée même de ce mixte d’images dessinées et de texte écrit, moins parce qu’elle servait de modèle pour ses récits (encore que l’adaptation d’œuvres littéraires ait accompagné la genèse et les premiers pas du genre) que parce qu’elle lui a longtemps imposé la fonction de repoussoir symbolique (ce qu’a attesté jusqu’il y a peu l’appartenance de la BD au vaste continent des productions dites « paralittéraires »).

L’engagement en littérature est une vieille histoire. À toutes les époques, mais avec une variabilité inhérente aux contextes, l’écrivain s’est impliqué par ses écrits dans les débats sociétaux. Mais c’est avec l’Affaire Dreyfus et plus encore avec la prise de position sartrienne maximaliste que l’on observe une focalisation et un réinvestissement tout particulier de la problématique (pour Sartre, l’engagement est le propre de la littérature[3]). Il faut encore préciser que l’engagement littéraire n’est pas seulement une question de contenu, il concerne tout autant la forme de l’écrit. Pour s’en tenir une nouvelle fois à l’époque contemporaine, on observe que l’élargissement formel fut d’abord expérimenté sur un mode négatif, c’est-à-dire – et au risque du paradoxe – que c’est en imposant les enjeux esthétiques au détriment de tout autre (on élargit… en substituant) que la doctrine de l’Art pour l’Art autonomise le champ littéraire dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce processus d’autotélisation littéraire connaîtra quelques nouveaux temps forts dans la seconde moitié du XXe siècle, avec le Nouveau Roman (pour la création littéraire) et le paradigme structuraliste (pour la critique littéraire). Le mode positif qui succède à ce régime de l’exclusion doit beaucoup à Roland Barthes, au demeurant grand animateur du structuralisme en France. À sa question « Qu’est-ce que l’écriture ? », le critique et sémiologue répond que c’est avec elle – l’écriture – que l’écrivain s’engage :

 

« Langue et style sont des forces aveugles ; l’écriture est un acte de solidarité historique. Langue et style sont des objets ; l’écriture est une fonction : elle est le rapport entre la création et la société, elle est le langage littéraire transformé par sa destination sociale, elle est la forme saisie dans son intention humaine et liée aux grandes crises de l’Histoire. »[4]

 

De retour sur le terrain du questionnement des modalités de l’engagement en bande dessinée et en s’appuyant sur ce qui précède, les activités qui actualiseront cette perspective de recherche pourront développer les problématiques suivantes :

  • Quels sont les engagements dont témoigne la bande dessinée (contre le racisme, le sexisme, etc.) ? Ou, en d’autres mots, à quelle diversité peut-elle prétendre ? Par ailleurs, comment la dialectique forme-contenu en rend-elle compte ?
  • Une histoire de ces engagements dans la production francophone est à faire, mais un élargissement de cette investigation à la production d’autres cultures est souhaitable. Pour ce qui concerne la BD franco-belge, ce type d’investissement a connu des manifestations explicites bien avant ce début du XXIe siècle (cf. les réalisations de Jacques Tardi, de Pierre Christin avec Jean-Claude Mézières ou Enki Bilal, de Chantal Montellier, etc.). Avec quelle prégnance ? Et qu’en est-il des modalités implicites de ces manifestations (dans Les pieds nickelés de Forton, Le Lotus bleu de Hergé, etc.) ?
  • Quelle(s) fonction(s) accorder à ces expressions de l’engagement en bande dessinée ? Les réponses varieront selon les époques considérées, mais on peut s’interroger sur l’implication de cette pratique de création BD dans le processus même d’autonomisation du champ de la BD.
  • Pour ce qui concerne l’actualité de la production, l’engagement en BD participe-t-il à la concurrence symbolique que ce 9e art entretient désormais à l’égard de la littérature et des arts visuels ?
  • Un état des lieux de la critique portant sur la BD « engagée » (au sens large et/ou strict) est une autre tâche à programmer.

D’autres pistes de recherche peuvent être très utilement ajoutées à ce premier inventaire.

 

Veuillez envoyer vos propositions de contribution d’une longueur approximative de 300 mots, ainsi que vos coordonnées et votre affiliation institutionnelle, à Maaheen Ahmed (ahmedmaaheen@gmail.com), à Jean-Louis Tilleuil (jean-louis.tilleuil@uclouvain.be) et à Fabrice Preyat (fpreyat@ulb.ac.be) pour le 1er septembre 2013.

 

Le colloque, organisé conjointement par l’UCL et l’ULB, se tiendra du 23 au 25 octobre 2013, à Bruxelles. Une publication des actes est prévue.


Bibliographie (à compléter)

 

ARON Paul, « Engagement », dans ARON Paul, SAINT-JACQUES Denis et VIALA Alain (sous la dir. de), Le dictionnaire du littéraire, Paris, PUF, 2002, p. 177-178.

BAETENS Jan, Formes et politiques de la bande dessinée, Leuven, Peeters, 1998, 151 p., coll. « Accent ».

Beaux-Arts, Hors-série n°21 : La BD entre en politique, avril 2012, Paris, 146 p. [+ sélection de BD]

BLANC Jérôme, « Du pèze sur la planche : les représentations de l’argent dans la bande dessinée », Hermès, n°54 : La bande dessinée, art reconnu, média inconnu, Paris, p. 171-178.

CANON Christophe, SOUMOIS Frédéric et VANHELLEMONT marc, L’Église, la femme et le pouvoir dans la bande dessinée, Bruxelles, Bruxelles Laïque asbl, 1990, 168 p.

CARBONNELL Charles-Olivier (sous la dir. de), Le message politique et social de la bande dessinée, Toulouse, Privat/IEPT, 1975, 183 p., coll. « 

CUZACQ Christian,

« Atome et BD [Quelles représentations du phénomène atomique la bande dessinée a-t-elle véhiculées au cours des cinquante dernières années ?] », dans Le Collectionneur de Bandes Dessinées, n°32, mars-avril 1982, Paris, p. 8-15.

DACHEUX Eric et LE PONTOIS Sandrine (sous la dir. de), La BD, un miroir du lien social. Bande dessinée et solidarité, Paris, L’Harmattan, 2011, 236 p., coll. « Communication et civilisation ».

DELANNOY Pierre Alban (sous la dir. de), La bande dessinée à l’épreuve du réel, Paris, L’Harmattan, 2007, 162 p., coll. « Cahiers Interdisciplinaires de la Recherche en Communication Audio Visuelle/CIRCAV ».

DELISLE Philippe, Bande dessinée franco-belge et imaginaire colonial. Des années 1930 aux années 1980, Paris, Karthala, 2008, 196 p.

ID., Spirou, Tintin et Cie, une littérature catholique ? Années 1930-1980, Paris, Karthala, 2010, 184 p.

DENIS Benoît, Littérature et engagement, de Pascal à Sartre, Paris, Seuil, 2000, 319 p., coll. « Points Essais : série “Lettres” ».

ID., « Engagée (Littérature) », dans ARON P., SAINT-JACQUES D. et VIALA A. (sous la dir. de), Le dictionnaire du littéraire, op. cit., p. 176-177.

Dossier. La bande dessinée de reportage, dans 9e Art, n°7, janvier 2002, Angoulême, CNBDI, p. 44-69.

DUBOIS Jacques, Les romanciers du réel, de Balzac à Simenon, Paris, Seuil, 2000, 361 p., coll. « Points : série “Essais” ».

FAGOT Sylvain et UZEL Jean-Philippe (sous la dir. de), Énonciation artistique et socialité, actes du colloque international de Montréal (3-4/03/2005), Paris, L’Harmattan, 2006, 251 p., coll. « Logiques sociales ».

FRÈRE Bruno, « Penser Le combat ordinaire ou comment plonger dans la chair sociologique du monde », dans Hermès, n°54, op. cit., p. 27-34.

FRESNAULT-DERUELLE Pierre, La chambre à bulles. Essai sur l’image du quotidien dans la bande dessinée, Paris, UGE, 1977, 192 p., coll. « 10/18, n°1146 ».

HAUDOT Jonathan, « Bande dessinée et témoignage : la mise en récit de la Shoah », dans Hermès, n°54, op. cit., p. 155-160.

KNOCKAERT André et VAN DER PLANCKE Chantal, « Bandes dessinées et religion. Bibliographie thématique », dans Archives de sciences sociales des religions, n°51-1, 1981, p. 139-150.

LECIGNE Bruno et TAMINE Jean-Pierre, Fac simile. Essai paratactique sur le Nouveau Réalisme de la bande dessinée, Paris, Futuropolis, 1983, 159 p.

LEGUEBE Wilbur, La société des bulles, Bruxelles, Vie ouvrière, 1977, 173 p.

MASSART Pierre, « La paralittérature : un concept intermédiaire pour une production intermédiaire », dans Recherches sociologiques, n°1 : Sociologie de la littérature, 1992 (vol. XXIII), Louvain-la-Neuve, Unité de sociologie, p. 55-83.

MATTELAERT Armand et DORFMAN Ariel, Donald l’imposteur ou l’impérialisme raconté aux enfants, Paris, Alain Moreau, 1976, 203 p., coll. « Textualité ».

NEEFS Jacques et ROPARS Marie-Claire (sous la dir. de), La politique du texte. Enjeux sociocritiques, Lille, PU de Lille, 1992, 281 p., coll. « Problématiques ».

PEREZ-YGLESIAS Maria et ZELEDON-CAMBRONERO Mario, La B.D. critique latino-américaine. Idéologie et intertextualité, Louvain-la-Neuve, Cabay, 1982, 211 p.

PORRET Michel (sous la dir. de), Objectifs bulles. Bande dessinée et histoire, Chêne-Bourg (Suisse), Georg, 2009, 302 p., coll. « L’équinoxe ».

PREYAT Fabrice, « La bande dessinée catholique en francophonie. Une légitimité recherchée, une illégitimité entretenue », dans Alain DIERKENS, Sylvie PEPERSTRAETE et Cécile VANDERPELEN-DIAGRE (sous la dir. de), Art et religion, Bruxelles, Edit. de l’ULB, 2011, p. 129-197.

ID., « Ecrire le travail, figurer le prolétariat : une mission du roman graphique ? », dans Cahiers marxistes, 2012, p. 77-110.

RENARD Jean-Bruno, Bandes dessinées et croyances du siècle. Essai sur la religion et le fantastique dans la bande dessinée franco-belge, Paris, PUF, 1986, 235 p., coll. La politique éclatée ».

SIMON André, « Approches idéologiques », dans Europe, n°720 : La bande dessinée, avril 1989, Paris, p ; 88-95.

THUMEREL Fabrice, Le champ littéraire français au XXe siècle. Éléments pour une sociologie de la littérature, Paris, Armand Colin, 2002, 235 p., coll. « U : série “Lettres” ».

TILLEUIL Jean-Louis, « Modes et travaux de l’héroïsme féminin. La part du mal dans la bande dessinée francophone contemporaine », dans WATTHEE-DELMOTTE Myriam et DEPROOST Paul-Augustin (études réunies et présentées par), Imaginaires du mal, Louvain-la-Neuve/Paris, Presses universitaires de Louvain/Le Cerf, 2000, p. 425-448, coll. « Bibliothèque de la Faculté de philosophie et lettres de l’UCL : section Tranversalités, n°1 ».

ID., « Pour vivre mieux (votre légitimation), changez de régime (d’imaginaire) ! Étude de la réorientation stratégique de la ‘nouvelle BD’ dans le champ culturel contemporain », dans CHASSAY Jean-François et GERVAIS Bertrand (sous la dir. de), Paroles, textes et images. Formes et pouvoirs de l’imaginaire. Volume 1, actes du colloque Pouvoirs de l’imaginaire : paroles, textes et images (Université du Québec à Montréal, Canada, 2-4/11/2006), Montréal, UQAM, 2008, p. 219-239, coll. « Figura, n°19 ».

 


[1] Citons, entre autres titres : Laurent ASTIER et Denis ROBERT, L’affaire des affaires [Clearstream], 4 tomes, Dargaud, 2009-2011 ; Laurent GALANDON et Frédéric VOLANTE, Shahidas [le terrorisme au féminin], 2 tomes, Bamboo, 2009-2011 ; Christophe BLAIN et Abel LANZAC, Quai d’Orsay. Chroniques diplomatiques, 2 tomes, Dargaud, 2010-2011 ; Fabien NURY et Thierry ROBIN, La mort de Staline, 2 tomes, Dargaud, 2010-2012 ; PÉCAU, DUVAL, DAMIEN et FERNANDEZ, Jour J [mai 68], 10 tomes, Delcourt, 2010-2012 ; Natacha BUSTOS et Francisco SANCHEZ, Tchernobyl-La zone, Des Ronds dans l’O, 2011 ; Sarah GLIDDEN, Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins), Steinkis, 2011 ; Eric LIBERGE, Wotan, 1939-1941, Dupuis, 2011 ; Sylvain RICARD et Franck BOURGERON, Stalingrad Khronika, T. 1, Dupuis, 2011 ; Laurent GALANDON et ANLOR, Les innocents coupables [la prison pour enfants], 2 tomes, Bamboo, 2011-2012 ; Mathieu SAPIN, La campagne présidentielle [de François Hollande], Dargaud, 2012 ; Pat MILLS et Joseph COLQUHOUN, La grande guerre de Charlie [1914-1918], Délirium, 2012…

[2] Olivier CARIGUEL (entretien réalisé par), « Le tourbillon du pouvoir. Entretien exclusif [avec François Bujon de l’Estang et Abel Lanzac] sur la bande dessinée Quay d’Orsay », dans Revue des Deux Mondes, juillet-août 2012, Paris, p. 64-90.

[3] Ce que posait déjà à sa façon Mme de Staël au tout début du XIXe siècle… pour la littérature du XVIIIe siècle, lorsqu’elle avance à son propos qu’elle n’est plus seulement un art, mais « c’est un moyen ; elle devient une arme pour l’esprit humain, qu’elle s’était contentée jusqu’alors d’instruire et d’amuser » (De la littérature, édition établie par Gérard Gengembre et Jean Goldzink, Paris, Flammarion, 1991 [pour l’édit. en poche ; 1800 pour l’édition originale], p. 287, coll. « Garnier-Flammarion, n°529 ».)

[4] Roland BARTHES, « Qu’est-ce que l’écriture ? », dans ID., Le degré zéro de l’écriture, suivi de Nouveaux essais critiques, Paris, Seuil, 1972 [pour l’édit. en poche], p. 14, coll. « Points : série “Littérature” ».