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Balzac et l’homme social

Balzac et l’homme social

Publié le par Alexandre Gefen

Balzac et l'homme social

 

Séminaire Balzac 2008-2009

 

Responsables : José-Luis Diaz, Claude Duchet, Roland Le Huenen

 

Sauf indication contraire, les séances auront lieu à Paris7-Diderot, site des Grands Moulins,

7e étage salle 785 C.

(Entrée le samedi par le 5-7, rue Thomas Mann, 75013-Paris)

 

 

 

Samedi 11 octobre 2008, 14 h : José-Luis Diaz, Claude Duchet, Roland Le Huenen, Introduction

 

Samedi 13 décembre 2008, 14 h : Agathe Lechevalier (Montpellier), « Sociotope théâtral et métaphore du théâtre du monde »

 

Samedi 7 février 2009, 14 h : Elisheva Rosen (Tel Aviv), « Droit et sociologie de la vie quotidienne » ( date à confirmer)

 

Samedi 21 mars 2009, 14 h : Marion Mas (Paris 7), Le père, un « homme social » ?

 

Samedi 16 mai 2009, 14 h : Christèle Couleau (Paris 13), « Le pantographe, ou la société à géométrie variable » (séance à confirmer, peut-être à reporter à l'année suivante)

 

Autres propositions esquissées pour 2009-2010 : Roland Chollet, Aude Déruelle, Owen Heathcote (« Le Bureau comme sociotope balzacien; duColonel Chabert aux Employés »)

 

Quelques résumés :

 

Agathe Lechevalier

 

Ma communication partirait de la manière dont Balzac réinterprète la métaphore séculaire du théâtre du monde, outil qui paraît de prime abord bien anachronique, pour penser l'homme social de l'époque post-révolutionnaire. Balzac révèle la plasticité inattendue de la métaphore en l'accordant avec les dynamiques nouvelles qui caractérisent la société moderne : de topos, le théâtre devient, dans le roman balzacien, chronotope, c'est-à-dire, d'une part, qu'il règle les rapports du roman à la réalité contemporaine que celui-ci figure et, d'autre part, qu'il signifie une certaine image de l'homme.

Il s'agirait donc de montrer à la fois :

-         comment le bâtiment théâtral constitue un sociotope privilégié dans La Comédie humaine : il permet de figurer le social en exposant les normes de la société qui s'y donne en spectacle.

-         comment cette utilisation du sociotope théâtral justifie en aval l'utilisation de la métaphore du théâtre du monde pour penser le fonctionnement social de façon inédite. La métaphore du théâtre du monde, autrefois utilisée pour figurer un monde conçu sur un modèle métaphysique et unitaire, s'atomise : l'unité de base que désigne le théâtre ne peut plus être que celle de la scène, c'est-à-dire celle de l'interaction. Balzac déploie ainsi, en contexte romanesque, les intuitions qui seront développées plus tard sur le plan théorique par Erwing Goffman. Les notions goffmaniennes de façade, de coulisse, d'équipe de représentation, de séparation des publics, la théorie des « détachements », sont ainsi mises en oeuvre de manière frappante et très efficace dans La Comédie humaine où elles permettent de conceptualiser et de déchiffrer un monde social et des comportements sociaux donnés par les contemporains comme illisibles.

Si vous le souhaitez, je pourrai essayer de montrer en quoi Balzac se situe ici dans la même perspective que Stendhal (en ce qui concerne l'utilisation de la métaphore du théâtre du monde pour conceptualiser l'interaction) quoique leurs manières de penser le théâtre comme sociotope soient fondamentalement différentes.

 

 

 

Marion Mas

 

Le préambule du Traité des excitants modernes annonce quatre ouvrages « de morale politique, d'observations scientifiques, de critique railleuse, tout ce qui concernait la vie sociale analysée à fond [1]». Le premier, qui doit couronner les Etudes analytiques, est l'Analyse des corps enseignants, resté à l'état d'ébauche. Balzac entend y traiter le problème de la « callipédie », qu'il aborde sous l'angle médical, et qui concerne aussi bien le père que la mère. Mais il projette également de s'attaquer sérieusement à la question de l'acte de procréation d'une part, et aux problèmes d'éducation d'autre part. Il note à cet égard que « le père et la société sont les continuateurs de la mère [2]», mettant sur un même plan le père et la société dans un aphorisme sibyllin. De plus, Balzac rappelle que l'héritage du XVIIIe siècle en matière d'éducation a développé de nouvelles « sentimentalités » et que « [l]a Société a perdu tout ce que la Famille a gagné.[3] ». L'ébauche se conclut sur l'affirmation que ces importantes questions ne concernent pas tant « l'enfant » que « le père et la mère, la nation, les moeurs [4]». Le père est donc au coeur de ces grandes questions. Le troisième ouvrage prévu, La Pathologie de la vie sociale, se donne pour objet d'étude « la manifestation de la pensée prise sous toutes les formes que lui donnent l'état social [5]». La vie sociale, d'après le titre, est donc maladie et souffrance, qui sont avant tout d'ordre moral puisqu'elles tiennent aux formes particulières que leur donne la pensée. La Pathologie de la vie sociale est encore une « Anthropologie complète », soit, une science des moeurs, un traité de sociologie.

Ces deux textes entretiennent des relations dans la mesure où ils appartiennent virtuellement à l'ensemble « Etudes analytiques ». On peut alors faire l'hypothèse que le père devient, au même titre que « l'homme », objet particulier d'une science des moeurs, comme semble l'indiquer l'importance que lui confère le projet de l'Analyse des corps enseignants. Or, les figurations romanesques du père en font un personnage affecté de « pathologies sociales » : de la pensée de la paternité qui tue mise en place par les Etudes philosophiques à la « passion canine » et aux « déviances » du sentiment paternel, perceptibles du Père Goriot à La Cousine Bette. Le personnage du père serait bien alors un objet d'étude de la pathologie sociale.

Pour autant, le père n'est pas, en soi, une « espèce sociale », ni un type. En témoigne le recensement des pères de La Comédie humaineque Balzac fait dans son Album où il affirme que « l'auteur » a tenté, dans ses oeuvres, de « saisir la paternité dans tous les plis de son coeur, de la peindre tout entière comme il essaie de représenter les sentiments humains, les crises sociales, tout le pêle-mêle de la civilisation. ». Mais le sort romanesque fait au personnage du père ne tend-il pas à indiquer que celui-ci est bien un être social, qu'il y aurait un « père du XIXe siècle » singulier, qui serait, en somme, le produit d'un dispositif (au sens foucaldien du mot) ? Le personnage du père ne serait alors ni à proprement parler un type, ni un « être éternel », c'est pourquoi l'on a parlé « d'homme social ».

Pour étudier cette hypothèse, nous nous proposons de travailler à partir d'Eugénie Grandet et du Père Goriot (dont Maurice Bardèche dit qu'ils appartiennent tous deux au cycle des « romans de la paternité ») : les deux personnages de pères de ces romans, qui ont respectivement pour théâtre la province et Paris, sont deux monomanes qui adoptent des attitudes similaires à l'égard de leurs filles, et qui posent tous deux, pour le dire grossièrement, le problème de l'articulation entre sentiment et autorité dans deux espaces sociaux différents et fortement caractérisés. Il s'agirait alors de partir de la notion de topos (le lieu du père : l'espace domestique, la maison, l'appartement, la chambre, le grenier) pour la distinguer de celled'espace, espace imaginaire (l'autorité dans le Code civil, l'autorité traditionnellement attachée au père dans son rapport à Dieu et au Roi, l'autorité attachée au masculin, la sentimentalité attachée au père de famille en particulier depuis le XVIIIe siècle dans l'espace littéraire d'aune part, et dans l'espace juridique de la Révolution d'autre part) et espace proprement « social » (la ville – l'enfer parisien / la province) afin d'examiner comment tous ces « lieux paternels » sont reliés entre eux et de voir comment l'interaction lieux/espaces façonne un père du XIXe siècle, joue comme véritabledispositif. Il faudra alors voir en quoi, sur quoi et comment le lieu et l'espace font jouer leurs déterminations, comment ils se verrouillent, s'annulent ou implosent en le personnage du père et quelles en sont les conséquences pour le personnage du père, et, par suite, pour la paternité. Cela nous obligera évidemment à revenir sur les notions de « type » et d' « espèce sociale » telles qu'elles sont définies par Balzac.

 

Christèle Couleau

 

J'ai pensé à quelque chose sur la vie sociale envisagée sous l'aspect du cercle et des changements d'échelle. Il s'agirait de voir comment Balzac essaie de penser la société comme un ensemble d'unités de configuration (groupes, parcours, comportements) qui s'emboîtent ou se rédupliquent dans différentes dimensions. Changer de cercle, c'est changer de proportions, mais aussi s'exposer à une montée en gamme des codifications sociales – un peu comme dans les jeux de plateaux. C'est aussi, du point de vue du romancier, une manière de chercher à tous les niveaux des constantes, des règles, des types de rapports interpersonnels, - et montrer, entre autres, qu'il y a du drame à tous les échelons de la société, que l'aventure individuelle a quelque chose à dire du destin collectif, et qu'une petite misère de la sphère privée est aussi parlante à ce titre qu'un coup de théâtre dans les hautes sphères sociales. Cela pourrait s'intituler : « Le pantographe, ou la société à géométrie variable ».

 


[1] XII, p.303

[2] ACE, XII p.842

[3] TEM, XII, 304.

[4] ibid. p. 844.

[5] Ibid.