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Autour de Paulhan et de « Littérature de la terreur »

Autour de Paulhan et de « Littérature de la terreur »

Publié le par Marc Escola (Source : ED "Pratiques & théories du sens" (Paris 8))

Séminaire de l’Ecole Doctorale « Pratiques et théories du sens »
de l'Université Paris 8


Mardi 30 octobre 2007 à partir de 9h30
Salle D143, Bat D

 
 
Autour de Paulhan et de « Littérature de la terreur »



Séance animée par Eric Méchoulan, Professeur au Département d’études littéraires de l’Université de Montréal
avec la participation de Danielle Tartakowsky, Professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Paris 8


Intervenants : Philippe Roussin et Eric Trudel


Entre 1920 et 1940, Paulhan est l’un des rares à se soucier de la rhétorique. Il est l’un des seuls à penser l’impensé de la littérature du premier modernisme et de ses poétiques, d’Hugo au surréalisme. Il nomme Terreur la volonté de la littérature de faire oublier qu’elle est littérature, le pouvoir qu’elle s’octroie, ce qui lui tient lieu de réflexion sur sa situation au sein de la communauté des discours. La Terreur est la récusation littéraire de la rhétorique depuis le romantisme : le choix de l’originalité et de la différence. Mais la Terreur est aveugle, dit Paulhan: la rhétorique ne se limite pas aux figures ; ensuite, il n’y a pas de langage sans figures ; enfin, la Terreur confond cliché et lieu commun. Elle méconnaît le savoir de la rhétorique sur la communauté que font ensemble les discours. Les lieux communs, l’écrivain de la Terreur les comprend comme le signe d’un langage aliéné. Il reproche au langage commun de ne pas lui fournir les mots qui puissent rendre compte d’une expérience unique.

Le mot lui sert à désigner la contradiction au cœur de la littérature de la première modernité : un langage innocent et vierge de tout cliché et de tout lieu commun qui entend affirmer le droit de la littérature à être une représentation pour tous. Au moyen du terme, il relève ceci : dès le moment où elle se nie comme discours parmi les autres discours et s’identifie comme une rupture avec les langages de l’ordinaire, la littérature s’affirme en fait comme un régime d’exceptionnalité. Elle s’identifie moins à ce qui serait révolutionnaire parce qu’entièrement libre du rhétorique qu’elle ne dit, en fait, un pouvoir et un fantasme de puissance. Aux poétiques terroristes, Paulhan répond par le rapatriement du poétique dans la rhétorique et, à «la poussière de rhétoriques individuelles, qu’appelle la Terreur», il propose de substituer «une rhétorique commune» (N.R.F., juillet 1936). Face à la Terreur, il pose la question suivante : pourquoi la littérature croit-elle qu’il lui faut défaire la communauté de communication, récuser les indices du langage commun et ne pas se donner comme un objet relevant du monde commun ?

Il n’invente pas le terme de Terreur. Il le trouve, on le sait, dans le surréalisme, du côté de «l’appareil mental de la Grande Terreur», des insultes du Traité du style d’Aragon, des Pas perdus de Breton ou des appels de Desnos dans La Révolution surréaliste. La Terreur est, ici, la confusion de la liberté d’expression et de la liberté absolue. Elle définit le rapport de l’expression artistique à l’expression commune, de l’art à la culture de la première modernité. Paulhan comprend qu’elle correspond à la condition de l’écrivain après guerre, définie par l’opposition à l’ensemble social et culturel..

S’il travaille à son livre sur la rhétorique et la terreur depuis le milieu des années vingt, ce n’est qu’en juin 1936 que Paulhan en livre les premiers états dans la N.R.F. Il constate alors que la Terreur n’est pas seulement la rhétorique propre à la littérature de la première modernité, qu’elle est aussi une politique, qu’elle peut devenir une rhétorique politique. Entre les premiers articles publiés dans la N.R.F en 1936 et la parution des Fleurs de Tarbes en 1941, ses recherches vont s’infléchir pour s’attacher aux figures de la nouvelle rhétorique autoritaire, aux grands mots et aux slogans. Comme la Terreur, la nouvelle rhétorique politique et autoritaire déclare qu’elle veut bannir le formalisme bourgeois et le verbalisme démocratique mais elle finit par accoucher du mot d’ordre. Un même principe préside aux interdits prononcés par la Terreur littéraire contre les lieux communs et à la défiance de la nouvelle rhétorique politique pour les mots de la démocratie. À partir de 1936, Paulhan, comme Queneau dans son Traité des vertus démocratiques, comme Burke aux Etats-Unis, comme Orwell en Angleterre réfléchit à la corruption totalitaire du langage. Il comprend que l’Histoire offre désormais à la Terreur littéraire les moyens de cesser d’être une terreur pour rire, littéraire, pour devenir une terreur de fait dans un contexte d’action.


Philippe Roussin est Directeur de recherche au CNRS au Centre de recherches sur les arts et le langage

Bibliographie :

-  Misère de la littérature, terreur de l’histoire. Céline et la littérature contemporaine, Paris, Gallimard, collection NRF-Essais, 754 pages, 2005 ;

-  «Autonomie de la forme, terreur et rhétorique : deux réponses de la NRF aux avant-gardes», Revue d’Etudes Françaises, Budapest, n° 10, 2005, p. 61-75 ;

-   « Orwell, l’anti-utopie de l’homme ordinaire », Communications, Paris, éditions du Seuil, n° 71, « Le Parti pris du document. Littérature, photographie, cinéma et architecture au XXe siècle», 2001, p. 104-141


    Eric Trudel est Professeur de littérature française à Bard College, aux Etats-Unis.

   Jean Paulhan, dans Les fleurs de Tarbes, a donné le portrait saisissant de la Terreur dans les lettres, une haine du langage responsable, selon lui, d’une véritable crise de l’expression et de la pensée, menant tout droit au silence ou à la folie.  Contre cette Terreur dénoncée, Paulhan réaffirme sans illusion la nécessité d’un sens commun,  prend le parti de la règle, du cliché, et embrasse les détours de la figure. Il nous a semblé important de renverser en quelque sorte la question pour examiner ce qui reste de terreur dans l’œuvre même de Paulhan, une terreur cette fois sans majuscule, logée au cœur du texte et cachée au fondement de l’expression. Cette terreur n’est pas ici comprise comme représentation ou thème, mais bien plutôt conçue en tant que ce qui fait irruption dans le texte. Ainsi s'agit-il de voir cette terreur à l’œuvre, et de reconnaître sa part dans l’écriture de Jean Paulhan, l’écrivain.


Quelques titres :

Michel Beaujour, Terreur & Rhétorique(Jean-Michel Place, 1999)

Julien Dieudonné, Les récits de Jean Paulhan (Champion, 2001)

Laurent Jenny, La terreur et les signes. Poétiques de rupture (Gallimard, 1982)

Jean-Jacques Lecercle, La violence du langage PUF, 1996)

Arnaud Rykner, Pans. Liberté de l’œuvre et résistance du texte (José Corti, 2004)