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Autour de Jean Sbogar de Charles Nodier. Le bicentenaire d’un roman majeur du romantisme (Atelier du XIXe s. Paris)

Autour de Jean Sbogar de Charles Nodier. Le bicentenaire d’un roman majeur du romantisme (Atelier du XIXe s. Paris)

Publié le par Marc Escola (Source : Marta Sukiennicka)

En 1818 paraissait, sans nom d’auteur, un roman en deux volumes intitulé Jean Sbogar. Aujourd’hui, Charles Nodier est surtout connu et étudié comme le conteur fantastique de Smarra et Trilby ou comme le romancier excentrique de l’Histoire du roi de Bohême. C’est pourtant bien comme « l’auteur de Jean Sbogar » que Nodier a été désigné durant toute la période romantique, et au-delà. Dès sa parution, cette « histoire de brigands » remporte un immense succès pour devenir « le roman à la mode », selon le Journal des débats (10 juin 1818). « Jean Sbogar a fait à peine son entrée dans le monde littéraire, et déjà vingt auteurs se sont jetés sur lui pour le mettre en scène », rapporte la Gazette de France, dès le mois de juin 1818 : le roman est ainsi adapté en mélodrame en 1818, en vaudeville en 1821. Lu « avec une extrême avidité » par Napoléon, ainsi que le rapporte la presse, mais aussi et surtout par tous les jeunes romantiques, le roman constitue ainsi un modèle qui pourra nourrir l’œuvre à venir de Balzac, Hugo ou Dumas. C’est le premier titre que cite Ronteix pour illustrer le jugement qu’il prononce, non sans réticences, dans son Histoire du romantisme, en 1829 : « M. Charles Nodier, dit-on, est un de nos premiers romanciers ». Jean Sbogar connaît une vogue durable au xixe siècle : le récit est réédité tout au long du siècle, en volume ou en feuilleton (dans La Lanterne, en 1889) ; il continue d’interpeller la critique (encore en 1873, le roman passe pour une « prophétie » autant esthétique que politique) ; il est traduit dans plusieurs langues, en anglais et en espagnol dès les années 1820, puis en italien et en slovène. 

Paru juste avant les deux décennies, 1820 et 1830, où se développera le romantisme, Jean Sbogar peut apparaître comme une « véritable œuvre de transition » (E. M. Schenck). C’est peut-être ce caractère intermédiaire qui explique la place réduite accordée au roman de Nodier dans les études littéraires : tandis que cette « combinaison du style d’Ossian avec celui de Schiller, de Chateaubriand et de Goethe » (selon Le Constitutionnel) peut dissuader les lecteurs amateurs de la modernité nerveuse du romantisme des années 1830, Jean Sbogar s’écarte cependant du romantisme de Chateaubriand et de Staël par son caractère noir et mélodramatique. Cette « œuvre de premier plan », selon le jugement de Jean Sgard, est, plus que d’autres, un roman-Janus, héritier d’une première forme du romantisme et annonciateur des transformations à venir. Mais c’est bien aussi ce rôle de pivot dans l’histoire littéraire qui fait la valeur et l’intérêt du roman de 1818, et qui justifie son étude. Le bicentenaire nous donne l’occasion de relire cette œuvre dont la portée et le rôle dans l’histoire du romantisme méritent d’être réévalués. En quoi la parution de Jean Sbogar a-t-elle constitué un événement important du romantisme français ? Si les réponses à cette question peuvent prendre de multiples formes, on pourra notamment s’interroger, dans les communications, sur l’un des aspects suivants : 

— la poétique romanesque. La mélancolie romantique qui formait la matière des romans personnels du début du siècle se trouve intégrée dans une structure narrative laissant une place prédominante à l’intrigue. « Ceux qui aiment les romans romanesques doivent s’empresser de lire Jean Sbogar », déclare le Journal des débats (8 juin 1818). Fontaney juge de même en 1832 : « Ce ne sont pas seulement les replis du cœur sondés et développés ; […] ici le drame domine ; l’action est pleine, rapide et pressée. On suit avec anxiété les personnages ; on court avec eux au dénouement. » « On croirait que l’auteur a partagé son temps entre la lecture de la Bible et les théâtres des boulevards… », s’indigne la Gazette de France : la poétique du roman est fondée sur un bouleversement des hiérarchies qui révèle la complexité du romantisme. Empruntant aux romans comme ceux de Mme de Krudener, qu’on crut un temps être l’auteur de Jean Sbogar, la brièveté de la forme et la dimension sentimentale, et aux romans noirs leur atmosphère mystérieuse et leurs péripéties, l’œuvre de Charles Nodier propose une synthèse des différentes tendances du romantisme qui pourra constituer un modèle pour les romanciers des décennies suivantes. 

— l’écriture de l’histoire. Le parcours de Jean Sbogar et surtout les prises de position qu’il défend, dans les « Tablettes de Lothario », ancrent le roman dans son temps : Chateaubriand loue dans le roman « l’illusion de la vraisemblance » qui découle de la narration d’« aventures qui ont cessé d’être renfermées dans les anciens lointains » et Le Figaro salue la tonalité élégiaque de ce « tableau de l’empire et de l’émigration ». Dans sa préface à l’édition de 1832, Nodier ancre l’intrigue du roman dans l’histoire des Provinces illyriennes et rapporte minutieusement un fait divers issu d’une chronique judiciaire, présenté comme la source de son récit. Si l’histoire de ce noble déshérité, passé bandit, peut être lu comme une métaphore de la génération 1800 (Claude Millet), son discours politique désenchanté jette aussi une passerelle, bien analysée par Paul Bénichou, entre Nodier et ses cadets que sont les Jeunes-France. Dans une analyse contextuelle, ce « roman politique » (Loïc Chotard) gagnerait aussi à être mis en perspective avec les écrits de Nodier sur les sociétés secrètes et les brigands sous la Révolution et l’Empire.

— la création de types de personnages. En 1824, Vignon Rétif de la Bretonne dédie son roman Og « À Jean Sbogar, et à ses successeurs, le vampire, le solitaire, le camisard, Han d’Islande, le renégat, le centenaire, le paria français, Ipsiboé, Ourika, le damné, etc., etc., etc. » : cette énumération hétéroclite, qui mêle Balzac et d’Arlincourt, Hugo et Duras, Nodier et Dinocourt, montre bien comme le héros du roman de 1818 a pu constituer un modèle pour d’autres personnages. Dès l’année de la parution du roman, la critique observe ainsi dans tel ou tel mélodrame l’apparition d’« un autre Jean Sbogar ». Mais c’est aussi sur ce point que l’originalité de Nodier a été le plus contestée par la critique, qui voit dans le brigand illyrien une reprise d’Abelino de Zschokke, du Corsaire de lord Byron — suscitant ainsi les sarcasmes de Nodier à l’égard de ce qui serait un « plagiat par anticipation » —, du Bravo of Venice de Lewis ou encore des Brigands de Schiller. Il reste à analyser précisément cette évolution du type du brigand généreux, qui fonde le « roman frénétique romantisant » (A. Glinoer), à la morale ambiguë, dont Jean Sbogar est l’un des premiers représentants. Parallèlement, le personnage d’Antonia, quelque peu éclipsé par le charisme de son amant involontaire, gagnerait à être étudié, en comparaison avec les héroïnes des romans féminins et du premier romantisme.

— l’esthétique du romantisme noir. Dès sa parution, Jean Sbogar est présenté par le critique du Journal de Paris comme un « roman noir et bizarre », dont les « aventures extravagantes […] renchérissent sur les ténébreuses productions d’Anne Radcliff [sic] ». L’imposant château de Duino, la menace qui pèse sur l’héroïne, le brigand inquiétant, la folie et l’échafaud qui concluent le roman, tout justifie le jugement de Loïc Chotard : « Jean Sbogar est, en quelque sorte, le catalogue des thèmes du romantisme noir. » On peut cependant s’interroger : « catalogue » ou programme ? Au-delà des définitions transcendantes du genre gothique et du seul modèle radcliffien, il serait utile d’étudier la façon dont le roman de Nodier s’inscrit dans le contexte du roman noir et d’analyser le traitement qu’il fait de cette esthétique.

À partir de Jean Sbogar, c’est tout le romantisme français qui peut être interrogé dans plusieurs de ses dimensions essentielles : nous souhaiterions réunir dans cet atelier aussi bien des contributions visant à renouveler l’interprétation de Jean Sbogar que des communications utilisant le roman de Charles Nodier pour jeter une lumière nouvelle sur les œuvres romantiques qui le précèdent ou qui le suivent.

 

Éléments de bibliographie

Berthier Patrick, « Sbogar sur scène », colloque Charles Nodier : création et métacréation, organisé par Valentina Bisconti et Marie-François Melmoux-Montaubin, Université de Picardie Jules Verne, 20-21 mars 2014. Actes à paraître.

Bourdin Philippe, « Le brigand caché derrière les tréteaux de la révolution. Traductions et trahisons d’auteurs », Annales historiques de la Révolution française, n° 364, 2011, p. 51-84.

Chotard Loïc, « Préface », Charles Nodier, Jean Sbogar, Paris, Éditions France-Empire, coll. La bibliothèque oubliée, 1980, p. 7-14. 

Dahan Jacques-Remi, « Aux sources de Jean Sbogar : l’affaire Chiargo-Sbogar ? », Visages de Charles Nodier, Paris, PUPS, coll. Mémoire de la critique, 2008, p. 127-131.

Delon Michel, « “Celui qui a vécu le plus...” L’idéal de vie intense dans le récit romanesque de L’Émigré (1797) à Jean Sbogar (1818) », Romantisme, n° 51, 1986, p. 73-84.

Dollot René, « Les romans illyriens de Charles Nodier », Revue de littérature comparée, XI, n° 2, 1931, p. 285-314.

Fujita Tomonao (藤田友尚), « Jean Sbogar : un aspect de l’esthétique “frénétique” chez Nodier », Kwansei Gakuin University Humanities Review, vol. 6, 2001, p. 55-77.

Glinoer Anthony, « Du monstre au surhomme : le roman frénétique de la restauration », Nineteenth-century french studies, vol. 34, n°3-4, 2005, p. 223-234.

Gosselin Monique, « Sur la poétique romanesque de Jean Sbogar », Charles Nodier. Colloque du deuxième centenaire, Besançon, mai 1980, Paris, Les Belles-Lettres, 1981, p. 133-152.

Hell Victor, « Deux figures de brigands : Karl Moor et Jean Sbogar », Charles Nodier. Colloque du deuxième centenaire, Besançon, mai 1980, Paris, Les Belles-Lettres, 1981, p. 153-162.

Huet-Brichard Marie-Catherine, « Brigandage et apories de l’Histoire : Jean Sbogar de Charles Nodier », Les brigands. Criminalité et protestation politique 1750-1850, dir. Valérie Sottocasa, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 65-76.

Larat Jean, La Tradition et l’exotisme dans l’œuvre de Charles Nodier (1780-1844) : étude sur les origines du romantisme français [1923], rééd. Genève, Slatkine, 1973 : chapitre 6, « Le thème du brigand généreux », p. 115-123.

Leblanc Nicolas, « Présence et évanescence du gothique dans Jean Sbogar », Cahiers d’études nodiéristes, n° 6, Charles Nodier et le roman gothique, dir. Émilie Pézard, Paris, Classiques Garnier, à paraître.

Lowe-Dupas Hélène, Poétique de la coupure chez Charles Nodier, Amsterdam-Atlanta, Rodopi, 1995, p. 103-110.

Maixner R., Charles Nodier et l’Illyrie, Paris, Didier, 1960 : chapitre v, p. 42-62.

Moreau Marion, « Révolution, primitivisme et mondes possibles : le modèle illyrien dans Jean Sbogar de Charles Nodier », Norme(s) et littérature au XIXe siècle, Actes des journées doctoriales 2010 de la SERD, éd. Mathilde Labbé et Landry Liébart, p. 56-62. En ligne : https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2181/files/2014/09/Actes_des_journees_2010-1.pdf 

Raulet-Marcel Caroline, « Discours du corps et détours de l’écriture : Jean Sbogar de Charles Nodier », Le Corps à l’œuvre, dir. Sylvie Brodziak, Paris, Le Manuscrit, coll. Féminin/Masculin, 2007, p. 253-268. En ligne : http://www.cahiers-nodieristes.fr/discours_du_corps_et_detours_de_lecriture.pdf 

Rioux Jean-Claude, « Crime, nature et société dans le roman de la Restauration », Romantisme, vol. 16, n° 52, 1986, p. 3-18.

Rioux Jean-Claude, « Les tablettes de Jean Sbogar ou le voleur et la Révolution », Charles Nodier. Colloque du deuxième centenaire, Besançon, mai 1980, Paris, Les Belles-Lettres, 1981, p. 113-132.

Sgard Jean et les étudiants du DEA de Poétique de Grenoble, appareil critique de Charles Nodier, Jean Sbogar, Paris, Librairie Honoré Champion, 1987.

Villeneuve Roselyne de, La Représentation de l’espace instable chez Nodier, Paris, Champion, coll. Romantisme et modernités, 2010 : voir notamment p. 90-93, 105-111, 199-205, 226-231, 455-459.

Villeneuve Roselyne de, « De la difficulté d’être brigand : sur Jean Sbogar de Nodier », Le Choix d’Hercule. Morales du premier XIXe siècle, dir. M. Roman, Chr. Pradeau, S. Vanden Abeele, Paris, PUPS, coll. Lettres françaises. À paraître. 

 

Organisation : 

Émilie Pézard (ENS Lyon / ANR Anticipation) : emiliepezard@yahoo.fr

Marta Sukiennicka (Université Adam Mickiewicz) : martasukiennicka@gmail.com

 

Merci d’adresser vos propositions de communication (un résumé de 250 à 300 mots) accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique à Émilie Pézard (emiliepezard@yahoo.fr) et à Marta Sukiennicka (martasukiennicka@gmail.com) avant le 15 février 2018.

 

L'atelier aura lieu à Paris, le 1 juin 2018