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Artifice(s) et frontières (Bordeaux)

Artifice(s) et frontières (Bordeaux)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Oanez Hélary)

« Artifice(s) et frontières »

Journée d’étude jeunes chercheurs

le 27 avril 2020 à la MSHA de Bordeaux

Date limite d’envoi des propositions : lundi 24 février 2020

 

Concept intrinsèquement liée à celui de limite, la frontière est un « fait sociologique[1] » qui convoque, dans l’imaginaire commun, l’idée d’une délimitation spatiale, qu’elle soit naturelle, nationale, urbaine, culturelle ou celle d’un objet. Plus largement, en tant que « point de séparation entre deux choses différentes » (CNRTL) la frontière se constitue comme la démarcation de deux entités distinctes, et soulève la question de l’unicité de ces entités, de leur seuil et de leur entre-deux. La frontière est alors ce qui les distingue, mais aussi le produit de cette distinction, « coupure et couture[2] ». Cette double acception reposant sur une dynamique réversible (séparation et point de contact) se retrouve dans le rapport qu’entretient la frontière avec quatre grands blocs de notions qui permettent de problématiser cette dernière. La frontière correspond en effet à la fois au seuil, à l’orée et à la lisière ; puis à l’obstacle et à ce qui permet son franchissement ; elle rend possible le discernement d’un commencement et d’une fin ; enfin elle est ce qui sépare de l’autre, ce qui isole l’intérieur de l’extérieur, ce qui désigne à la fois les confins et la proximité.

Si le concept de frontière, encore aujourd’hui, fait l’objet de diverses réflexions scientifiques, la notion d’artifice n’a toutefois pas été aussi étudiée malgré la diversité des significations qu’elle recouvre et la difficulté à la définir précisément. La journée d’étude « Artifice(s) et frontières » propose de mettre en relation ces deux notions et de questionner leur rapport à travers des réflexions inédites et des échanges que nous espérons féconds.

Les sujets des communications pourront s’articuler autour des axes suivants :

Frontières de l’artifice et de l’artificiel

A priori frontière et artifice ne semblent pas s’accorder. En effet, la frontière, si peu naturelle qu’elle soit, n’évoque pas le surplus, le foisonnement baroque de l’artifice, tandis que la technicité de ce dernier pourrait s’opposer au conceptuel de la frontière. S’ils se retrouvent dans leur utilité, en tant que produits d’une construction et d’un agencement, il s’agit de constructions sociales et d’agencements du monde en ce qui concerne la frontière, alors que l’artifice renvoie davantage à une production matérielle.

Des points de contacts peuvent néanmoins être identifiés. Tout d’abord en ce que « [l]’artifice invite à travailler l’entre-deux, l’amphibologie, la duplicité[3] ». Ensuite, car artifice et frontière semblent se rejoindre au sein de la création artistique, notamment par l’impératif du cadre et l’usage de la contrainte qui, selon Marcel Benabou, « apparait comme […] un redoublement superflu des exigences de la technique […]. Tout se passe […] comme s’il y avait une frontière étanche entre deux domaines, celui où l’observance de quelques règles va de soi comme un fait naturel, celui où l’excès de la règle est perçu comme artifice indigne. » La dernière phrase soulève la question de la frontière établie entre naturel et artificiel mais également, par extension, entre art et artifice. La supposition d’une possibilité de « l’art [à dégénérer] en artifice[4] » incite à s’interroger sur la conception de l’art qu’elle présuppose et sur ce qui séparerait l’artifice de ce dernier.

De fait il est compliqué de distinguer clairement les frontières de l’artifice, puisqu’il est également ardu de le définir précisément. Tandis que l’artificiel se définit par opposition au naturel et possède l’acception couramment admise de ce « [q]ui est dû à l'art, qui est fabriqué, fait de toutes pièces ; qui imite la nature, qui se substitue à elle » (CNRTL), l’artifice convoque lui aussi les notions de facticité, de tromperie, d’imitation et de fabrication, mais il est un moyen et est victime d’une « hésitation métonymique entre production et produit : l’artifice concerne l’habileté, un procédé qui se distingue par son habileté, la chose faite avec habileté[5]. »

Au-delà de ce qui le sépare de l’art et de l’artificiel, quelles pourraient être les frontières de l’artifice ? Comment se manifestent-elles ? Sont-elles fixes ? Arbitraires ? Qu’en est-il de l’artificiel ? Dans quel cadre ce terme est-il utilisé et quels problèmes celui de sa délimitation soulève-t-il ?

L’artifice pour dépasser les frontières

Par ailleurs, l’usage de l’artifice dans l’art n’est pas toujours déconsidéré. Ainsi l’artifice permet à l’art de révéler un ailleurs ou une vérité qui seraient demeurés inaccessibles autrement selon certains romantiques[6]. L’art, par l’artifice, serait alors en mesure de dépasser des frontières, telles que celles de l’individualité. Cette idée se retrouve dans l’article de Michel Morel, selon qui « la langue ne saurait se passer d’artifice, […] ne tire son dynamisme, en particulier dans le domaine poétique, que de cette frange en excès d’elle-même, cet art des limites qui l’invente au-delà de sa pratique ordinaire[7] ». À l’inverse, l’artifice peut être utilisé pour mettre en exergue, et par là questionner ou dénoncer, l’artificialité même des frontières.

Place, impact et utilisation des frontières dans la création artistique

En quoi le franchissement et la transgression de frontières peuvent-ils être utiles au processus créateur ? Les frontières pourraient-elles être productrices d’une tension féconde, constituer l’entre-deux où s’effectuerait un « fracas », une « collision »[8] propices à la création ? La frontière ne pourrait-elle pas être considérée comme un point de focalisation, un dispositif sur lesquels convergent les ambitions ? Comment les œuvres d’art jouent-elles de la frontière ? Kafka disait que « toute littérature est assaut contre la frontière[9] », qu’en est-il des autres productions artistiques et de quelle frontière s’agit-il ? Certains domaines artistiques sont-ils plus sensibles que d’autres à cette question de la frontière ?  Qu’en est-il des œuvres fragmentées et/ou numériques ?

Artificialité des frontières, labilité des frontières

Étudier la frontière peut servir à la compréhension de certains phénomènes sociaux, politiques et culturels. La mondialisation, avec ses processus de globalisation, est particulièrement intéressante en ce qui concerne la représentation de l’espace, soumise au changement et à la mouvance des frontières.

Cette labilité des frontières soulève plusieurs questions : comment se construisent de nouveaux territoires ? Quels sont les rapports des non-lieux[10] aux frontières ? Qu’en est-il des frontières sociales, culturelles, temporelles ? Comment les frontières entre un avant et un après, entre des catégories sociales, des générations, des disciplines, sont-elles établies, identifiées, évaluées et débattues ? Au travers de quelles références conceptuelles et méthodologiques ? Quelle est la place des avancées technologiques dans ces réflexions ? Permettent-elles de réfléchir aux frontières plus facilement ? Viennent-elles en absoudre ou en créer de nouvelles ? Dans quelle mesure des frontières peuvent-elles bouleverser les rapports sociaux, nationaux, linguistiques, artistiques ou narratifs ? Comment l’artifice et l’artificiel permettent-ils de former des communautés ou des mouvements sociaux par-delà certaines frontières ? En quoi permettent-ils l’émergence de nouveaux espaces artistiques et culturels (tels les nouveaux symboles et codes culturels transfrontaliers) ?

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Modalités de soumission

L’appel à communication s’adresse aux masterant.e.s, doctorant.e.s et néo-docteur.e.s, de toutes disciplines (études culturelles, arts, archéologie, géographie, humanités numériques, études de genre…). Les propositions de communication de 300 mots maximum, accompagnées d’un titre et d’une courte notice biobibliographique, sont à envoyer à artificesfrontieres@gmail.com avant le 24 février 2020. Les réponses aux propositions seront transmises le 27 février 2020 au plus tard.

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Organisation

La journée d’étude est organisée par Pía Castel Gomez et Oanez Hélary dans le cadre du Master d’Études Culturelles de l’Université Bordeaux-Montaigne. Elle se déroulera le lundi 27 avril 2020 à la salle 2 de la MSHA de Bordeaux. Les communications de 20 minutes seront suivies d’un temps pour la discussion.

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Bibliographie indicative

Angel-Perez, É., Iselin, P. (dir.), Artifice, Sillages critiques, n°10, Paris, PUPS, 2009.

Augé, M., Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992.

Bonnet, E., Soulages, F. (dir.), Lieux & mondes : arts, cultures & politiques, Paris, l’Harmattan, 2015.

Costantini, M. (dir.), Sémiotique des frontières, Paris, l’Harmattan, « Eidos », 2019.

Foucher, M., L’invention des frontières, Paris, Fondation pour les études de défense nationale, 1986.

Foucher, M., L’obsession des frontières, Paris, Perrin, 2007.

Foucher, M., Le retour des frontières, Paris, CNRS Éditions, 2016.

Labarre, N., Du Kitsch au Camp : théories de la culture de masse aux Etats-Unis, 1944-1964, thèse de doctorat soutenue à l’Université Rennes 2 en 2007.

Lavezzi, É., Picard T.(ed.). L'artifice dans les lettres et les arts, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.

Lefebvre, H., La production de l’espace, Paris, Anthropos, 2000.

Lenain, T., Steinmetz, R. (dir.), Cadre, seuil, limite : la question de la frontière dans la théorie de l’art, Bruxelles, La Lettre volée, « Essais », 2010.

Lévy-Bertherat, D., L’artifice romantique : de Byron à Baudelaire, Paris, Klincksieck, 1994.

Olalquiaga, C., Royaume de l’artifice : l’émergence du kitsch au XIXe siècle, traduit par G. Cohen-Solal et M. Veubret, Lyon, Fage, 2013.

Ortel, P. (dir.), Discours, image, dispositif, Paris, l’Harmattan, 2008.

Strathèse, 9/ 2019. La frontière en question. Seuils et franchissements, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg.

 

 

 

[1] « La frontière n’est pas un fait spatial avec des conséquences sociologiques, mais un fait sociologique qui prend une forme spatiale », Georg Simmel, 1999 [1908], p. 607, cité par Maurice Blanc et William Gasparini, 2019,
« Avant-propos : Dépasser les frontières », Strathèse, 9/ 2019. La frontière en question. Seuils et franchissements, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, URL : https://strathese.unistra.fr:443/strathese/index.php?id=1561

[2] Ibid.

[3] Élisabeth Angel-Perez, « Introduction », Sillages critiques [En ligne], 10 | 2009, mis en ligne le 15 juin 2010, consulté le 21 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/sillagescritiques/1803

[4] André Gide à propos du Grand Écart de Jean Cocteau, Journal, 18 mai 1923.

[5] Élisabeth Lavezzi, « Artifice : le mot, la notion et le concept », L'artifice dans les lettres et les arts [En ligne], Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, consulté le 21 janvier 2020. URL : http://books.openedition.org/pur/54263

[6] Déborah Lévy-Bertherat, L’artifice romantique : de Byron à Baudelaire, Paris, Klincksieck, 1994.

[7] Michel Morel, « L’écriture dans ses métamorphoses : potentialités et pertinence de l'artifice de langue », Sillages critiques [Online], 10 | 2009, en ligne depuis le 15 juin 2010, consulté le 17 janvier 2020. URL : http://journals.openedition.org/sillagescritiques/1787

[8] Nous repprenons les termes « fracas » et « collision » à Nathalie Léger : https://youtu.be/xVq7C_2nV3M?t=3 

[9] „Diese ganze Literatur ist Ansturm gegen die Grenze“

[10] Marc Augé, Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992.