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"Archiver / créer". École d'été de l'Université de Genève

Publié le par Marc Escola (Source : Eléonore Devevey)

"Archiver / créer". Ecole d'été de l'Université de Genève, Faculté de Lettres.

Objet de savoir pour les historiens, les archives ont longtemps été protégées par le secret et d'un accès réglementé. Aller aux archives, c’était se rendre dans une sorte de crypte où le passé pourrait ressusciter. Le Goût de l’archive d’Arlette Farge (1989) est caractéristique de ce rapport sensible et romantique aux archives. Mais trente ans après, tout a changé et les archives se sont démultipliées ; elles ont envahi à la fois les débats publics et les pratiques ordinaires, les créations des cinéastes et celles des plasticiens.

C’est bien sûr d’abord un effet de leur numérisation, de plus en plus fréquente et systématique : consultables en dehors des lieux de leur conservation, partout, tout le temps, les archives s’ouvrent à toutes sortes de réinvestissement. Il faut évaluer les effets de cette dématérialisation, qui n’est pas simplement une évolution technologique mais un véritable changement de paradigme : les archives étaient rares, précieuses, protégées par le pouvoir qui les produisait et les conservait ; aujourd'hui, elles prolifèrent. Il est rare qu’un site Internet, une exposition, une administration, une exposition n’ait pas un onglet, un service, un secteur "archives" qui permette de documenter son travail mais plus encore de construire et de manifester son identité. La nature et les usages des archives se sont transformés : non seulement tout peut (voire doit) être archivé mais toute trace du passé, tout document finit par être considéré comme archive – l’archive au singulier l’emporte alors sur les archives (Mal d’archive de Jacques Derrida).

Cette extension du domaine de l’archive s’est trouvée prise, en outre, dans le tour mémoriel de notre rapport au passé (la commémoration, la passion de la généalogie en étant les autres symptômes, comme l’a montré Pierre Nora dans les Lieux de mémoire). Elles ne sont plus seulement un objet de savoir mais un lieu ou un support de la mémoire. Enfin, leur statut même de source a été remis en question. Par les historiens d’abord qui exigent à présent qu’on aille soit « dans le sens dans l’archive », soit « à rebours de l’archive » (reading along or against the archival grain), mais en considérant toujours celle-ci comme un lieu où le savoir n’est pas seulement récolté, mais construit au sein de dispositifs de pouvoir. Par les artistes et créateurs ensuite, qui les utilisent délibérément à contre-sens, non pas comme ce qui permet de documenter une histoire, mais comme matériau ou dispositif à part entière de l’invention (groupe Atlas de Walid Raad) : avec elles, on invente son passé, on le rêve, on le mythifie, on le reconstruit, qu’il soit personnel ou collectif (Christian Boltanski, Anselm Kiefer). Les archives sont parfois fabriquées de toutes pièces pour pouvoir raconter l’Histoire ou, à l’inverse, c’est la quête des archives qui devient la trame de l’écriture (Dora Bruder de Patrick Modiano, Austerlitz de W.G. Sebald) ; et parfois sont constitués comme archives de simples reliquats de la vie privée (« L’Herbier des villes » de Georges Perec, Time Capsule d'Andy Warhol) ; parfois encore leur montage est mis au service d’une réflexion sur le pouvoir, sans discours (Harun Farocki).

Si la formule de Georges Perec « Penser / classer » a pu apparaître rétrospectivement comme la devise des années 1970 et 1980, alors la formule « Archiver / créer » cristallise-t-elle peut-être quelque chose de notre présent et de notre passé récent. Ce sont ces usages multiples des archives qui vont nous intéresser : savoir, histoire, patrimoine, identité, mémoire, autant de pôles autour desquels s’organisent la connaissance et la création contemporaines.

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Cette École d'été de l'Université de Genève (Geneva Summer School of Criticism) s'adresse aux étudiants post-gradués et doctorants de toutes les disciplines des humanités. Outre cinq séminaires intensifs animés par des spécialistes renommés, elle comporte un ensemble d'animations et d'événements autour des archives et de leurs usages savants et/ ou esthétiques.

Les cinq séminaires combineront réflexion théorique et approche pratique des archives :

  • Le récit, l’enquête, l’archive au 21e siècle (Nathalie Piégay, Université de Genève)
  • Décoloniser les archives (Emmanuelle Saada, Columbia University)
  • Pratiques de l’archive, pratiques du savoir (Jean-François Bert, Université de Lausanne)
  • Archives littéraires et humanités numériques (Jérôme David, Université de Genève)
  • Tentatives d'effraction : du document à l’archive, ou comment faire entrer le réel dans l’œuvre (Vincent Debaene, Université de Genève)

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Frais d’inscription

Inscription anticipée (jusqu’au 15 février 2019) : 1,200 CHF

Inscription jusqu’au 15 avril 2019 (date-limite) : 1,500 CHF

Étudiants membres de la CUSO : 500 CHF

Tarifs réduits (nombre de place limité) pour étudiants à faibles revenus

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Une équivalence de 6 crédits ECTS (à valider par l’Université de rattachement) peut être délivrée sur remise d’un travail écrit.

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Coordination : Eléonore Devevey (archivercreer@unige.ch)