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Appropriation de l’Histoire dans les Arts du Spectacle aux XXe et XXIe siècles

Appropriation de l’Histoire dans les Arts du Spectacle aux XXe et XXIe siècles

Publié le par Alexandre Gefen (Source : Estelle Dalleu-Romain Ragni Calzuola)

Les Arts du Spectacle, que l’on parle de cinéma, de théâtre ou de danse, ont toujours eu pour vocation de recréer la vie, ou du moins en donner l’illusion, sur un écran ou une scène. Dans cette recréation, cette mimésis du vivant, les Arts du Spectacle ont régulièrement pris le parti de mettre en scène ce qui a été, ce qui nous a précédé, bref de mettre en scène l’Histoire. C’est cette entreprise particulière qui sera l’objet de notre étude dans les deux journées que nous avons décidé d’organiser, celle de vouloir transmettre à un public particulier une vision d’un événement, d’un personnage ou d’une période historique.

Il est nécessaire de partir du postulat que cette recréation de l’Histoire, dans sa vocation artistique, ne peut être qu’un point de vue, une perspective depuis laquelle l’artiste injecte sa subjectivité et ce même dans une volonté documentaire. Cette subjectivité est amenée par les caractéristiques même du média choisi pour représenter la période historique choisie. En effet, chaque média demande une certaine mise en scène, des choix de la part de l’artiste par rapport à la réalité (si celle-ci peut-être connue dès le départ) et qui l’oblige à prendre parti dans une hypothétique réalité historique. C’est pour cela que c’est bien le mécanisme d’appropriation de l’Histoire réalisée par l’artiste que nous souhaitons étudier dans les Arts du spectacle  des XXe et XXIe siècles dans les oeuvres de langue romane, et sa portée sociale, idéologique et politique. La problématique de cette étude s’articule en 3 axes complémentaires.

 

Lire l’instant présent au regard des événements historiques ; donner au présent un recul qu’il n’a pas ; obligation d’utiliser le passé car le présent est censuré ; l’Histoire, même future, est étudiée pour y trouver un sens

 

Comprendre le monde dans lequel nous vivons est souvent bien compliqué. Les événements qui font partie de l’Histoire sont bien complexes à analyser dans l’immédiateté de l’instant, dans la fugacité du présent. Cette complexité se doit à un recul insuffisant de la part de l’observateur qui, en tant que contemporain de l’instant à étudier, ne peut qu’éprouver des difficultés à démêler ce qui est important de ce qui ne l’est pas.  Ce recul, que ne possède pas l’observateur pour l’instant présent, peut être trouvé dans l’étude de l’Histoire et certains auteurs, dramaturges ou réalisateurs décident de mettre en scène l’Histoire pour éclairer le présent. En effet, s’il est difficile de comprendre les causes et la portée d’un grand changement politique par exemple, certains exemples historiques peuvent apporter un nouvel éclairage sur l’instant qui se déroule. Ainsi Antonio Buero Vallejo dans La detonación [1977] décide de réfléchir sur la possible transition démocratique que commence à connaître l’Espagne avec l’analyse d’une autre transition de l’Histoire espagnole, celle de la fin de la monarchie absolue de Ferdinand VII en 1833. Antonio Buero Vallejo essaye de se donner ici le recul nécessaire qu’il n’a pas sur l’Histoire qui entoure la sortie de sa pièce.

Si parfois un artiste décide d’utiliser le passé comme révélateur des événements présents, il se peut aussi quelquefois que cela se doive plus à une nécessité, une contrainte qu’à un choix artistique. En effet, il arrive que la situation politique dans un espace donné soit si répressive qu’il est impossible pour le dramaturge ou le cinéaste de mettre en perspective dans leur oeuvre des événements proches ou actuels. Pour contourner la censure ou la répression qu’entraînerait un tel choix, celui-ci décide quelquefois de rebondir sur une période de l’Histoire de son pays, ou même d’un autre pays, pour donner au spectateur – averti – des clés d’interprétation de l’Histoire présente. Ainsi pendant la dictature uruguayenne ou la dictature argentine, il n’est pas rare de voir des dramaturges représenter des scènes d’abus de pouvoir appartenant à l’Histoire du pays – comme ceux des espagnols contre les indigènes au moment de la conquête par exemple – pour mettre en parallèle ceux exercés par le gouvernement en place au moment de l’écriture de la pièce. L’appropriation réalisée par l’artiste a ici des fins sociales et politiques évidentes.

Enfin, pour mieux comprendre le présent les auteurs peuvent choisir de placer l’action de leur fiction dans un autre segment temporel : celui du futur, de ce qui peut se passer. Nous rentrons dans le domaine de la science-fiction où un artiste s’imagine les conséquences, les effets des actes présents. Là encore, l’appropriation de l’Histoire future est généralement dédiée à la compréhension de la société présente. Une analyse de la construction de la part de certains artistes d’une histoire alternative pourra également être faite. L’Histoire alternative est une reconstruction ludique de la part d’un auteur qui s’imagine ce qui aurait pu se passer si un événement s’était déroulé de façon différente dans l’Histoire. Dans cette Histoire qui n’aura sans doute jamais lieu se reflètent et s’éclairent les mécanismes de l’Histoire actuelle. Il en va ainsi d’un film comme La jetée de Chris Marker [1962], qui, sous couvert d’événements apocalyptique – une troisième guerre mondiale –idéologique et intime,  imbrique l’Histoire passée, présente et future.

 

Truquer l’Histoire ; fausser l’histoire pour en ressortir un message ; manipulation ; linguistiquement la reprise des discours d’une époque et leur donner un autre sens ; adaptation de l’Histoire au message que l’on veut transmettre

 

Si dans le premier axe, l’intention du cinéaste ou du dramaturge était d’étudier l’Histoire pour en tirer un message exemplaire pour l’interprétation du présent, dans ce deuxième axe il s’agit de mettre en avant une appropriation de l’Histoire plus controversée : celle d’adapter l’Histoire et les événements qui s’y rattachent au message que l’on veut transmettre. On parle alors d’utilisation frauduleuse, abusive ou même de trucage de l’Histoire. Qu’il s’agisse d’un remodelage total des événements historiques ou de simples omissions volontaires dans le cours des événements, ce travail a toujours pour but de convaincre et même d’endoctriner les récepteurs pour qu’ils adhèrent à un message dont l’émetteur se sert de postulat. Le mensonge se voit alors légitimer par la transmission d’une vérité qui le transcende.

La manipulation propre à cette appropriation de l’Histoire peut se faire de plusieurs façons :

  • La mise en scène d’événements qui de toute évidence ne se sont pas déroulés ou qui restent très controversés chez les historiens par manque de preuve scientifique.
  • Le détournement d’événements qui se sont déroulés mais à qui l’on donne un sens ou une portée qu’il n’avait pas au départ. La sélection des événements ainsi que l’importance donnée à chacun d’eux fait partie aussi d’une des méthodes de réécriture de l’Histoire qu’il sera intéressant d’étudier. Les arts du spectacle reposant en grande partie sur le visuel, il serait intéressant de voir comment l’image que crée l’artiste sur scène ou sur écran permet de fausser la « réalité » des événements.
  • Le détournement de discours, de messages prononcés et à qui l’on essaye de donner un autre sens que son sens premier. L’étude pourra alors porter sur le fonctionnement de la manipulation linguistique dans les arts du spectacle.

Dans ce deuxième axe, les desseins de cette appropriation sont à nouveau d’ordre politique   

et idéologique. Mais l’appropriation de l’Histoire peut aussi être due à un besoin social.

 

 Créer un patrimoine visuel commun ; créer un patrimoine historique à posteriori pour combler ce qui généralement correspond à un manque identitaire ; créer une histoire alternative

 

Après une crise importante, qu’elle soit d’ordre politique, économique ou social, il arrive qu’une société soit amenée à s’interroger sur son identité, à trouver de nouvelles bases sur lesquelles se reconstruire. C’est alors que les artistes peuvent jouer un rôle important en convoquant les figures, les événements du passé pour reconstruire une identité historique commune. Cet aspect de l’appropriation de l’Histoire peut recouper les deux premiers axes. En effet, le théâtre, le cinéma ou la danse peuvent utiliser des réalités historiques oubliées, laissées au second plan ou auxquelles il n’avait pas été donné une telle importance pour mieux comprendre l’instant présent et se reconstruire. Mais l’on peut également subvertir l’Histoire, la truquer, la changer mais non plus exactement pour manipuler le spectateur mais pour repenser une Histoire acceptée avant mais qui ne peut plus l’être après que la société soit entrée en crise. On cherche alors à transformer le présent en modifiant le passé ou du moins la vision que l’on a d’elle. Par exemple, lorsque l’Uruguay sort de sa dictature de douze années en 1985, la société qui se considérait auparavant comme la « Suisse de l’Amérique » se retrouve en grave crise identitaire. Le théâtre va refléter cette crise en reprenant et en subvertissant les grandes figures et images historiques comme cela va être le cas pour José Artigas, héros de l’indépendance uruguayenne.

                Il arrive que le matériel visuel historique soit tout simplement inexistant et que l’artiste décide de recréer les images qui manquent à une société. C’est le cas du cinéaste philippin Raya Martin qui au travers de la trilogie sur l’indépendance de son pays, et en particulier de son film A Short Film About the Indio Nacional [2005] utilise les procédés du cinéma primitif (noir et blanc, intertitres (ou cartons), film muet accompagné d’une musique au piano rappelant les accompagnements in vivo, etc.) et donne à voir l’absence d’un matériau visuel historique commun des débuts du cinéma aux Philippines.

 

  

   Le colloque, qui se déroulera sur deux jours, les 18 et 19 octobre 2012, réunira une vingtaine d’intervenants, et fait la jonction entre deux laboratoires de recherche de l’Université de Strasbourg : le C.H.E.R. (Culture et Histoire dans l’Espace Roman - EA 4376) et l’A.C.C.R.A. (Approches Contemporaines de la Création et de la Réflexion Artistiques - EA 3402). Il est circonscrit à l’espace des langues romanes, et aux XXe et XXIe siècles.

   Coordination : Romain Ragni Calzuola et Estelle Dalleu

   Comité scientifique : Estelle Dalleu (A.C.C.R.A., Université de Strasbourg), Carole Egger (Université de Strasbourg), Anna Frabetti (C.H.E.R., Université de Strasbourg), Olivier Neveux (A.C.C.R.A., Université de Strasbourg), Romain Ragni Calzuola (C.H.E.R., Université de Strasbourg), Isabelle Reck (C.H.E.R., Université de Strasbourg), Germain Roesz (A.C.C.R.A., Université de Strasbourg), Jean-Noël Sanchez (C.H.E.R., Université de Strasbourg).

   Les conférences sont attendues en langue française.

   Les propositions de communication prendront la forme d’un résumé d’une quinzaine de lignes, en indiquant l’axe de recherche étudié, et accompagnées d’une brève présentation de l’auteur. Elles sont à faire parvenir pour le 31 janvier 2012 à l’adresse électronique suivante : artspe.histoire@gmail.com

   Les actes du colloque donneront lieu à publication.

   L’état actuel du budget ne permet pas la prise en charge des frais de déplacements et d’hébergements.