Agenda
Événements & colloques
Approches du roman familial dans la littérature et la culture québécoises contemporaines

Approches du roman familial dans la littérature et la culture québécoises contemporaines

Publié le par Julien Desrochers (Source : CRILCQ)

Approches du roman familial dans la littérature et la culture québécoises contemporaines

 

Colloque interdisciplinaire d'études québécoises

 

Organisé par Maïté Snauwaert, CRILCQ
Date : Les jeudi 27 et vendredi 28 avril 2006 à l'Université de Montréal
Lieu  : Pavillon Lionel-Groulx, Université de Montréal
Salle C-8111 (Salle de séminaire de Littérature générale et comparée) le jeudi 27 avril
Salle C-9141 (Salle de réunion) le vendredi 28 avril

 

Jeudi 27 avril 2006

Première séance

  • 9h00 Chantal Nadeau (Communication, Université Concordia) :
    "Le droit nu : le roman queer familial"
  • 9h30 Répondant : Marcie Frank
  • 9h45 Questions
  • 10h00 Pause
  • 10h30 Table-ronde : Familles plurielles du XXIe siècle
    Catherine Mavrikakis, Lucie Lequin, Robert Schwartzwald
  • 11h00 Discussion
  • 12h00 Dîner

Deuxième séance

  • 14h00 Christian Saint-Germain (Philosophie, Université du Québec à Montréal) :
    "Le legs dépressif et la suite des choses. Paternité québécoise et dépression"
  • 14h30 Répondant : Patrick Poirier
  • 14h45 Questions
  • 15h00 Pause
  • 15h30 Table-ronde : Imaginaires contemporains
    Martin Robitaille, Michael Delisle, Nelly Arcan, Gilles Dupuis
  • 16h00 Discussion d'ensemble
  • 17h00 Fin de la journée

 

Vendredi 28 avril 2006

Première séance

  • 9h00 Ellen Corin (Anthropologie, Université Mc Gill) :
    "Le jeu de la différance dans un monde en turbulence. Familles en esquisses"
  • 9h30 Répondant : Nicolas Lévesque
  • 9h45 Questions
  • 10h00 Pause
  • 10h30 Table-ronde : La filiation au féminin
    Lori Saint-Martin, Andrea Oberhuber, Louise Dupré, André-Line Beauparlant
  • 11h00 Discussion d'ensemble
  • 12h00 Dîner

Deuxième séance

  • 14h00 Simon Harel et Cindy Baril (Études littéraires, Université du Québec à Montréal) :
    "" Terra memoria ". Territorialités du souvenir"
  • 14h30 Répondant : Pierre L'Hérault
  • 14h45 Questions
  • 15h00 Pause
  • 15h30 Table-ronde : Cinéma québécois
    Christian Poirier, Étienne Beaulieu, Denyse Therrien
  • 16h00 Discussion d'ensemble
  • 17h00 Fin de la journée

 

Problématique :

Il est remarquable, dans les productions culturelles contemporaines, de voir à peu d'années d'intervalle paraître des ouvrages interrogeant, de près ou de loin, les questions de la filiation, du passage des générations, voire littéralement du « roman familial ». Si la perspective littéraire se saisit aisément de cette expression, devenue un syntagme figé, tirée des écrits de Freud, c'est qu'en comportant le terme de « roman » elle s'inscrit déjà dans sa propre classification, et implique une élaboration fictionalisante - que recouvre au reste la formule freudienne. Son usage est donc propre à rendre compte d'une tendance récente et importante dans la sphère des écrits et études autobiographiques et autofictionnels. Celle-ci cependant n'est pas valide dans le seul champ littéraire, mais s'étend à d'autres domaines de la production intellectuelle et artistique, et par là, plus largement, se voit entérinée dans et par le champ social.

Au Québec, les films de 2005 Crazy de Jean-Marc Vallée, La vie avec mon père de Sébastien Rose, Familia de Louise Archambault, mais aussi Horloge biologique de Ricardo Trogi, mettent en scène, en question, et en crise, la famille. Celle-ci est auscultée comme un problème, tantôt parce qu'elle serait en péril et la société avec elle, tantôt parce qu'elle constituerait le péril pour l'individu, comme milieu d'influence. Ensemble, ces films réunissent tous les aspects du spectre, depuis la question de savoir s'il faut ou non faire des enfants, jusqu'à celle de savoir comment aider ses parents à mourir ( Les Invasions barbares de Denys Arcand), en passant par celle de savoir ce qu'est un couple et si c'est une structure qui a de l'avenir, une association humaine viable. La famille a à voir avec le sens de la vie, son poids et sa valeur, elle est donc le terreau fertile d'un questionnement profondément éthique comme celui de sa reconduite. D'un bord à l'autre, elle semble être devenue - ou enfin reconnue ? - comme un milieu délétère, dont il est difficile de s'échapper, et ce d'autant plus que le choix de ne pas la reproduire semble aussi périlleux que celui de la perpétuer.

Il faut préciser d'emblée qu'il ne s'agit évidemment pas d'un problème nouveau. La famille a sans aucun doute alimenté de longue date les productions culturelles, comme foyer de tensions et d'histoires propice aux situations dramatiques. Mais en cette qualité de milieu sensible, elle se modifie au gré des transformations socio-historiques, dont il est difficile de distinguer si elle se fait le reflet ou le moteur : c'est ce qui oblige aujourd'hui à réfléchir l'historicité de la famille, à l'aune de la crise contemporaine qu'elle connaît, dont on forme l'hypothèse qu'elle possède une pertinence et une acuité particulières. Car d'une part cette historicité jette un éclairage important sur l'époque que nous vivons, d'autre part elle pourrait bien être en train de fournir les armes d'un renouvellement des formes et enjeux de la littérature, des arts, et plus largement des productions culturelles.

Le modèle familial, historiquement, décroît. Foucault a montré dans son histoire de la sexualité que le modèle nucléaire, restreint aux seuls parents et enfants, était récent et proche de l'incestueux. La littérature porte la trace de cette mutation qui a vu s'éteindre la famille nombreuse non seulement en terme de progéniture mais surtout au niveau de la taille de la cellule, au début du siècle encore regroupant sous un même toit les aïeux et les proches de même génération (frères, soeurs, beaux-frères et belles-soeurs). La saga a cédé la place à l'histoire individuelle, et, entend-on souvent, au recentrement sur le moi. Mais ce qu'on appelle « roman familial » cherche à renouer les liens généalogiques, à retrouver des racines. Aussi la monoparentalité grandissante, cas apparent d'éclatement du familial, est-elle contrebalancée par une aspiration renaissante à l'inscription dans un ensemble lié.

Si on considère la famille sous l'angle d'une structure sociale, la prégnance de sa mise en question paraît l'héritage historique aujourd'hui tacitement assimilé des savoirs mis au jour par la psychanalyse depuis le début du XXe siècle, et en cela son actualité est sans doute à rapporter à un effet fin-de-siècle , de millénaire même, ou aussi bien début-de-siècle et de millénaire - à un moment charnière de l'histoire humaine, impliquant son temps de crise. Aussi bien, sa problématisation paraît radicalement contemporaine, dans sa mise en cause des valeurs et fondements les plus éminents des sociétés occidentales, des questionnements concernant la condition féminine et la viabilité du modèle de couple hétérosexuel. Il est difficile de démêler les causes des effets, mais il n'est pas trop risqué d'avancer l'hypothèse qu'une mutation du rapport au temps et au vieillissement, en raison de l'allongement statistique de la durée de vie, mais aussi, inversement, de la possibilité de sa disparition rapide à tout âge avec l'épidémie du SIDA, paradoxale à notre époque, implique une interrogation des structures sociales les plus élémentaires et pérennes, qui ont semble-t-il permis à l'humanité de se maintenir jusqu'à aujourd'hui, et dont elle semble à présent à la fois vouloir se déprendre et se réclamer de nouveau.

Or, le Québec traverse une véritable crise démographique : un vieillissement de la population, avec une classe d'âge avancé majoritaire, issue du baby-boom de l'immédiat après-guerre, et une classe en âge de procréer insuffisante à renouveler la population, au plan mathématique comme à celui des mentalités et de l'évolution des modes de vie. Si ces aspects sont partagés par nombre de sociétés occidentales, le Québec mérite une étude distinctive en ceci que sa communauté francophone a connu la singulière contrainte historique et idéologique, imposée par le clergé, de devoir renouveler sa population pour lutter contre sa disparition en tant que peuple. Au plan de la transmission de génération en génération et du modèle familial, les retombées ne peuvent être que considérables pour l'imaginaire et la construction identitaire.

L'appellation de « roman familial » est ainsi à entendre comme la façon dont une histoire familiale, jamais littéralement autobiographique, même lorsque revendiquée telle, car toujours empreinte de fiction, ou plus exactement traversée par le travail d'une mise en fiction, est constituée comme un roman moins en un sens générique strict qu'au sens large d'une configuration complexe de récits, et d'une représentation subjective. Il s'agit donc d'une tendance qui dépasse le cadre des études littéraires, en même temps que celui-ci semble le lieu par excellence de son articulation. C'est pourquoi on en appelle pour ces débats à la compétence d'historiens, de sociologues, de philosophes, d'anthropologues, de psychanalystes, et de spécialistes des études littéraires, théâtrales, cinématographiques.

Dans « Le roman familial des névrosés », Freud posait cet élémentaire constat : « En vérité, le progrès de la société repose d'une façon générale sur cette opposition des deux générations. » (1) Que devient, aux premières heures du XXIe siècle, cette opposition parents-enfants? Constitue-t-elle toujours, à un niveau anthropologique fondamental, un moteur nécessaire et suffisant d'avancement, ou bien est-elle le terrain de déchirements imperméables à toute conciliation? Que nous apprennent les oeuvres contemporaines de ces transformations du social par le prisme de sa structure nucléaire? En mettant l'accent sur la spécificité des études québécoises, on souhaiterait ouvrir le chantier d'une véritable réflexion transdisciplinaire sur ces enjeux qui paraissent à la fois contemporains et vitaux, marqués par l'urgence autant que par la pérennité, dans leur rapport à la mémoire et au devenir humains, leur interpellation de la double échelle de l'histoire individuelle et de l'Histoire collective.

(1) Sigmund Freud, « Le roman familial des névrosés » (1909), in Névrose, psychose et perversion, introduction de Jean Laplanche, traduit de l'allemand sous la direction de Jean Laplanche, Paris, Presses Universitaires de France, [1973] 1981, p.157.