Questions de société
Appel pour l'histoire (décembre 2009)

Appel pour l'histoire (décembre 2009)

Publié le par Bérenger Boulay (Source : Pascale Dubus)

Voir aussi:

L'histoire-géographie au lycée. Quelques principes de vigilance sur la réforme en cours (CVUH - 06/12/09)

Des universitaires prient L. Chatel de revoir sa réforme des lycées

"L'enseignement de l'histoire-géographie menacé ?" (ArkéoTopia & SLR  01/01/10)

Dossier Réforme du lycée.

Ci-contre: illustration de Charb détournée par Le Mammouth déchaîné.

Appel pour l'histoire (décembre 2009)


           « L'Histoire est la conscience de l'humanité » a écrit il y aplus d'un siècle et demi le grand journaliste libéral Emile de Girardin.
              C'est à cette conscience de l'humanité que s'attaqueaujourd'hui le ministre de l'Education nationale Luc Chatel, diplômé demarketing, ancien chef de produit, puis chef de groupe enfin directeurdes ressources humaines de  l'Oréal leader mondial de cosmétiques.

        Une mise à mort programmée.

Ilvient en effet d'annoncer sa volonté de rendre cet enseignementoptionnel  en terminale S celle qui accueille plus de la moitié deseffectifs de l'enseignement général en terminale. En réalité cettetransformation en enseignement facultatif d'un enseignement jusqu'iciobligatoire et figurant comme tel au baccalauréat préfigure sadisparition définitive à moins que les enseignants s'appuyant sur unemobilisation de tous les citoyens attachés à l'école républicaine necontraignent le ministre à renoncer à son projet. Luc Chatel croit nousdonner le change en annonçant le maintien voire le renforcement de cetenseignement en première assorti d'une épreuve anticipée du bac à lafin de cette année. Mais concentrer sur deux ans ce qui s'étudiait entrois ans suppose inévitablement soit que l'on sacrifie des pansentiers du programme d'histoire contemporaine soit leur « compactage »en « thèmes » vagues et larges, propices à tous les endoctrinements, oùl'idéologie préétablie submergera toute connaissance de faits objectifs.

On massacre l'enseignement de l'histoire depuis plus de trente ans

L'Associationdes Professeurs d'Histoire et de Géographie dénonce à juste titre cedispositif et ses conséquences corporatives. Nous voudrions icisouligner la continuité entre cette contre réforme et celles qui l' ontprécédée : dès les années 1970, fut imposée en primaire la dissolutionde nos disciplines dans le brouet clair de « l'éveil » et au collègeapparurent les « thèmes » diachroniques ; si bien qu'en 1979 AlainDecaux pour le grand public, Pierre Goubert avec le prestige que luiconféraient ses travaux universitaires sonnèrent l'alarme : onn'apprend plus l'histoire à vos enfants.

Lelycée épargné jusque là subit à son tour l'assaut des démolisseurs : en1995  le ministre Bayrou  bouleverse les programmes de seconde sousprétexte d'y introduire l'enseignement du « fait religieux » et afin desouligner les hypothétiques racines communes aux nations européennes eten particulier leurs prétendues racines chrétiennes. Cela nous valut unprogramme à thèmes totalement désarticulé sans aucun souci de cohérencechronologique et interdisant par conséquent toute appréhension de lacausalité en histoire: le citoyen à Athènes au V° siècle, naissance etdiffusion du christianisme, la Méditerranée au XII° siècle, carrefourde trois civilisations (souligner les fondements religieux etpolitiques), Humanisme et Renaissance, la Révolution et l'Empire...
Pour faire face àl'indifférence croissante des familles et des jeunes à l'égard desquestions religieuses dans une Europe de plus en plus sécularisée, onchoisit de les aborder par le biais du culturel ce qui nous valut debeaux chapitres magnifiquement illustrés sur la Renaissance artistiquedes XV° et XVI° siècles mais au prix d'un escamotage des questionssuivantes : la découverte de l'Amérique, le commerce transatlantique etla traite esclavagiste, l'effacement de la Méditerranée au profit desEtats situés sur la façade atlantique ! Le chapitre traditionnel sur lasociété d'Ancien régime  passait lui aussi à la trappe, on étudieraitdésormais la Révolution en omettant de rappeler précisément ce qu'étaitcette société du privilège qu'elle abolit en proclamant l'égalité endroits!

Nouvelle offensive  en 2003 : au nom de l'approchethématique, on imposa aux élèves de première littéraire et économiqueet sociale d'étudier l'histoire du premier XX° siècle avec la grille delecture suivante : « guerres, démocraties et totalitarismes » (19141945), inspirée directement par le révisionniste allemand ErnstNolte.

Cetteconfusion délibérément entretenue entre nazisme, fascisme et stalinismeau nom du fumeux concept de totalitarisme faisait fi des circonstanceshistoriques différentes qui avaient présidé à  la naissance de cesrégimes, ignorait les forces sociales qui les soutenaient, lesobjectifs poursuivis, l'un menant à la chambre à gaz et l'autre au campde travail suivant la formule de Raymond Aron. Cet envahissement majeurdu thème du totalitarisme permettait de gommer le rôle des magnats dela sidérurgie allemande dans la venue au pouvoir de Hitler, d'effacerle lien entre la grande crise de 1929 et la marche à la seconde guerremondiale ! Celle-ci disparaissait des programmes de troisième etdevenait une crise comme une autre, un accident de la croissance enpremière! D'une manière générale, les faits économiques et les luttessociales n'étaient plus mis en rapport avec les évènements politiques,et la trame chronologique était disloquée par ces fameux thèmes,interdisant de fait aux lycéens de première de trouver une quelconquecausalité dans l'enchaînement des évènements.

La fin de l'histoire ?

Cefut le pronostic émis par l'illuminé Fukuyama saluant la chute du murde Berlin et la désintégration de l'URSS – deux événements de nature etde portée différentes -comme l'avènement d'une ère paisible pour uncapitalisme sans entraves et sans crises...Or depuis 1989 les guerresn'ont pas manqué ni les crises économiques. Néanmoins nos ministres del'éducation nationale persistent. Luc Chatel veut aujourd'huiparachever l'oeuvre entreprise depuis près de quarante ans, de mettre àmort  l'enseignement de l'histoire et de la géographie. La contreréforme de Luc Chatel annonce  le  coup de grâce.

« Celui qui ignore son passé est condamné à le revivre. »

Veut-oncondamner la jeune génération à revivre la grande crise de 1929 ?Veut-on rendre inévitable la marche à de nouveaux affrontementsguerriers, pour le pétrole, pour l'eau, pour les métaux rares, le toutdéguisé en conflits de civilisation ? Ou en « lutte contre leterrorisme »?

Le président de la république préfère les curés aux instituteurs.

AvecCondorcet nous pensons que la théologie n'a rien à faire dansl'instruction publique et que celle-ci, gratuite, générale, laïque etobligatoire est due par la république à tous les jeunes, les futurscitoyens.

Nous rejetons les affirmations intéressées de ceux quiprétendent que pour « rétablir le lien social » il faille développer lesens du « sacré » et souligner les « fortes valeurs fédératrices » destrois monothéismes, (tu ne tueras point, tu ne voleras point, tuaimeras ton prochain, vaste programme ironise Paul Veyne, et qui n' ajamais empêché les clergés de tous bords de bénir les guerres, lesguerriers et les financiers ...)

Avecles grands révolutionnaires de 1789-1793, nous pensons que les hommes,les femmes et en particulier les jeunes générations ont besoin d'êtreéclairés et non pas  endoctrinés, comme avant-hier sous Pétain sous labannière du Sacré Coeur et du culte du chef, aujourd'hui sous ledrapeau de l'Education civique moralisatrice façon patronage, où latolérance, la solidarité et le développement durable sont chantés surtous les tons : pendant que de multiples associations s'invitent dansles classes pour « construire un puits au Burkina Faso », on négliged'enseigner aux collégiens la géographie de l'Afrique et aux lycéens lerôle du FMI, de la Banque mondiale et des multinationales dans lepillage de ce continent.

Nousinvitons tous ceux qui croient encore aux valeurs républicaines etdémocratiques, à  dire « halte au massacre de l'enseignement del'histoire et de la géographie » et, comme première mesure d'urgence àsigner la pétition de l'Association des professeurs d'Histoire et deGéographie[*] qui exige le maintien de l'enseignement  obligatoire del'histoire géographie en terminale  scientifique. La jeunesse a ledroit de connaître le passé afin de pouvoir comprendre le présent ets'attacher ainsi à ne pas revivre les désastres qui ont toujoursaccompagné et suivi le déferlement de la misère, l'ignorance etl'enrôlement des hommes et des femmes au nom de la race ou de lareligion ou de la terre.

Nous invitons ceux qui veulent se joindre à cet appel à le faire savoir auprès de Nicole Perron 71 A rue de Talant 21000 Dijon lucienperron@wanadoo.fr

[*] on la trouve sur le site de l'APHG

Premiers signataires

Arrighi Paul, docteur en histoire

Barbe Michel, agrégé  de géographie

Bartholy Marie Claude, agrégée de philosophie

Bélissa Marc, maître de conférences en histoire moderne, Université Paris Ouest Nanterre

Bihr Alain, professeur de sociologie, Université de Franche Comté.

Bourdin Gérard, historien, Institut de l'histoire du temps présent, Orne.

Cassard Jean Pierre, professeur agrégé d'histoire géographie,lycée Jules Ferry Saint Dié des Vosges

Collin Denis, agrégé de philosophie docteur en Lettres et Sciences  humaines

Dauphin Odile, coordinatrice du livre collectif L'enseignement de l'histoire-géographie de l'école élémentaire au lycée, vecteur de propagande ou fondement de l'esprit critique ? paru en 2009 à l'Harmattan

Delmas Luc, professeur agrégé, docteur en histoire

Excoffier Christine, professeur d'histoire géographie, lycée Périer à Marseille

Grumberg Pierre, journaliste à Science et Vie, après des études d'histoire

Janneau Rémy, agrégé d'histoire, ancien professeur à l'IUFM de Basse Normandie

Forey Elsa, professeur de droit public, Université de Franche Comté

Labrasca Franck, professeur de lettres à l'Université Rabelais Tours

Lescot Claudie, professeur au collège Sonia Delaunay, en ZEP, Paris, XIX° arrondissement.

Maillard Nicole professeur d'histoire géographie en collège, retraitée

Marie Jean-Jacques,  agrégé de lettres classiques, historien de la révolution russe

Moatti-Gornet Danièle, agrégée d'histoire, docteur en philosophie, professeur au lycée Simone Weil à Paris

Molénat Jean Pierre, agrégé d'histoire, docteur d'état, directeur de recherches émérite au CNRS spécialiste de l'islam médiéval

Perron Nicole,  agrégée, historienne de la révolution française

Quentin Bernadette retraitée PTT-FT

RitterspornGabor chercheur au CNRS, Centre d'études des mondes russe, caucasien etcentre européen, histoire socio-culturelle de la civilisation russe

Rochedy Patric, conteur

Sebban Serge, professeur au lycée Bergson, Paris XIX° arrondissement.

Schiappa Jean Marc, historien des babouvistes, président de l'Institut de recherches et d'études de la Libre pensée

Verlhac Martine, professeur honoraire de philosophie en première supérieure.