Actualité
Appels à contributions
Quelle « identité » pour la littérature de l’époque moderne ? (revue TrOPICS)

Quelle « identité » pour la littérature de l’époque moderne ? (revue TrOPICS)

Publié le par Marc Escola (Source : Audrey Faulot)

APPEL À CONTRIBUTION

TrOPICS n°6 (2019) – Quelle « identité » pour la littérature de l’époque moderne ?

 

TrOPICS est une revue électronique pluridisciplinaire en libre accès et à comité de lecture, dirigée par l’équipe d’accueil DIRE (Déplacements, Identités, Regards, Écritures) de l'Université de la Réunion. Elle propose un numéro thématique par an comprenant des articles et comptes rendus de lecture en Lettres et Sciences Humaines (arts et littérature, langues et civilisations étrangères, didactique des langues, linguistique, études culturelles, anthropologie et sociologie).

La revue lance un appel à contribution pour son 6e numéro à paraître fin 2019 et consacré au thème suivant : « Quelle “identité” pour la littérature de l’époque moderne ? »             

Si l’on se place dans une perspective qui n’est pas strictement métaphysique, les définitions de l’identité que nous manipulons ont été forgées à partir de corpus postérieurs au XVIIIe siècle[1]. La question de leur pertinence se pose donc pour des textes de l’époque moderne : comment faire entre l’exigence de contextualisation historique, qui demeure centrale pour les études littéraires sur l’époque moderne, et le recours à un matériau exogène au corpus étudié ? Les définitions de l’identité doivent sans doute être mises à l’épreuve des textes des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, le but étant de trouver ou de façonner des outils d’analyse susceptibles d’éclairer ces objets d’études sans les dénaturer, en prenant acte de leurs spécificités.

En effet, à l’époque moderne, l’identité ne se conçoit pas tant comme une construction personnelle que comme un héritage. L’individu hérite de qualités considérées comme essentielles, qui dépendent d’instances supérieures (le « feu » ou le « lieu »...). L’enjeu principal tourne donc autour de la reconnaissance, puisqu’il s’agit pour cet individu de se faire reconnaître pour ce qu’il est, cette opération devant garantir l’harmonie entre l’ordre social et l’ordre perçu comme « naturel ».

La labilité de la notion d’identité autorise à cet égard la circulation dans les corpus les plus divers. Les questionnements sur l’individu ou l’identité personnelle se retrouvent de façon privilégiée dans les grands ouvrages philosophiques, comme l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Mais ils se déploient aussi dans les ouvrages dits « littéraires » – quoiqu’évidemment cette catégorie recoupe la première : les œuvres fictionnelles (romans, contes...) ou plus largement narratives (Mémoires...), ainsi que la littérature épistolaire, offrent un vaste terrain pour étudier la façon dont la littérature formule et problématise les questions d’identité telles qu’elles se posent à l’époque.

Sur le plan historique, le contexte des années 1500-1800 – avec la marge de manœuvre que toute borne implique – invite tout particulièrement à réfléchir à l’identité. L’effort de centralisation de l’État se traduit par un ensemble de métamorphoses sociales qui réarticulent profondément le rapport des individus à leurs communautés d’appartenance[2]. Parallèlement, on sait aussi que l’époque est féconde en questionnements sur le « moi » ou la subjectivité dont plusieurs études fondatrices, comme celle de Max Weber[3] ou de Michel Foucault[4], ont montré qu’ils ne peuvent être envisagés indépendamment de ces considérations. Toute identité implique en effet une relation complexe – et dont les termes restent à préciser selon l’objet envisagé – entre la configuration sociale et la subjectivité[5]. La question se pose d’autant plus pour la littérature de l’époque moderne, en raison de ses conditions matérielles de production et de diffusion (système des privilèges) et des hiérarchies qui la travaillent (système des genres) : il s’agit d’un espace de négociation particulièrement fécond entre l’ordre social et les prises de parole individuelles. Si la littérature de l’époque moderne est inséparable de ces enjeux idéologiques, il devient difficile de reprendre sans précaution des définitions de l’identité largement formulées, à partir des années 1950, pour penser la multiplication des rôles et la remise en question des ancrages sociaux.

À cette fin, nous invitons les contributeurs et les contributrices à proposer des articles s’inscrivant dans les axes suivants.

On pourra d’abord s’intéresser à la représentation des groupes (qu’il s’agisse de la famille, du corps de métier, de la communauté amicale...) et de l’individu dans ces groupes. On sera attentif à la subtilité des stratégies d’inclusion ou d’exclusion de l’individu par rapport à ces groupes, comme celles du libertin, qui peut distinguer différents aspects de lui – le privé et le public – pour les tenter de les articuler. Dans de nombreux cas, les aspirations individuelles ne sont pas perçues en opposition frontale avec les exigences collectives. En témoigne sans doute l’idéal de l’honnête homme, dont le comportement doit venir refléter la qualité. Ce n’est que lorsque le « système de Cour » vient pervertir cet idéal, ainsi que le décrivent Les Caractères, que l’éthos menace de se transformer en pur masque, posant la question de l’identité comme une contradiction vécue. En plus des phénomènes de contradiction, on pourra aussi étudier les formes de rassemblement et d’opposition en revenant sur la constitution de catégories comme celles de la « Pléiade » ou des « Lumières », qui se construisent dans l’adversité, sans négliger les fractures qui les travaillent. Le prisme de l’identité offre également un regard privilégié sur toutes les figures de l’altérité par rapport à la norme que sont les femmes, les étrangers ou encore les esclaves. Si l’on s’attarde sur le cas des femmes, il peut s’agir par exemple de la façon dont ces dernières collaborent entre elles et s’approprient des pratiques littéraires, ou encore de la façon dont des femmes, comme figures d’altérité, sont utilisées dans les discours. Cette perspective est d’autant plus intéressante qu’elle invite à prendre la mesure du fort présupposé essentialiste en vigueur à l’époque moderne, où les idées de « naissance » et de « qualité » sont centrales. La réflexion pourra ainsi porter à profit sur des catégories comme celle des indigents, l’imaginaire social de la pauvreté oscillant au XVIIIe siècle entre explications essentialisantes et sociohistoriques. Dans tous les cas, il s’agira de savoir selon quelles modalités – par exemple le schème « nature - culture » – se pose la question de l’identité à l’époque moderne.

L’étude des caractéristiques littéraires offre également un point d’entrée pertinent dans les questions d’identité. On sait que le choix des genres est en lien étroit avec ces questions. Le foisonnement des Mémoires aux XVIIe et XVIIIe siècles témoigne du succès de ces genres du discord où va pouvoir s’exprimer autant la fidélité à un ordre ancien que la séparation subie d’avec l’ordre actuel. Parallèlement, la fortune de la littérature picaresque met sur le devant de la scène littéraire des personnages de marginaux qui font entendre leur voix singulière, quand des formes hybrides comme les romans-mémoires se dotent pour héros de nobles déracinés ou de paysans parvenus. Ces textes élaborent volontiers des « paratopies[6] », l’identité du narrateur étant inséparable de sa prise de parole, à tel point qu’il est possible de parler, avec Paul Ricœur, d’« identité narrative[7] ». Plus largement, le traitement des genres littéraires témoigne d’un rapport à la hiérarchie qui n’est pas sans lien avec l’ordre collectif. La Querelle des Anciens et des Modernes pourrait ainsi offrir un terrain d’étude fructueux. De même, la complexité générique d’ouvrages comme Les Aventures de Télémaque invite à poser la question de leur filiation – enjeu répercuté au niveau thématique dans l’œuvre elle-même. En laissant de côté le genre, on pourrait aussi s’intéresser aux caractéristiques narratives des œuvres. La tentative de Diderot pour déstabiliser ou dissoudre l’identité de ses narrateurs peut se lire comme une expérience sur la notion d’individu, tandis que le succès des récits enchâssés apparaît comme une tentative pour relier les paroles singulières, comme dans Les Illustres françaises. Une étude quant à elle centrée sur l’énonciation pourrait s’intéresser aux emplois de plus en plus marqués de la première personne ou aux échanges épistolaires dans lesquels la relation du je au tu emblématise la relation d’identité. Enfin, on sait à quel point la conception du style comme catégorie à l’époque moderne invite à s’intéresser de près aux questions stylistiques, pour lesquelles l’articulation entre la variation et la norme est centrale. On pourra se demander si certaines figures de l’imbrication, comme la métonymie, connaissent un succès particulier dans tel ou tel corpus.

On s’intéressera donc dans ce numéro aux configurations littéraires – au sens large du terme – de l’identité. Dans la lignée de son projet éditorial, ce numéro de la revue TrOPICS envisagera un cas de déplacement et du dépaysement conceptuels, ici la convocation de la notion d’identité pour étudier la littérature de l’époque moderne.

En vue d’une publication fin 2019, les propositions d’articles, d’une longueur de 200 mots maximum, sont à envoyer par courriel avant le 30 septembre 2018 à l’adresse suivante : audrey.faulot@gmail.com.

Après réponse du comité de lecture, les articles seront attendus pour mai 2019.

Conformément aux critères de la revue, les articles seront soumis à un comité de lecture (en double aveugle) avant acceptation.

La feuille de style à utiliser est téléchargeable ici :

http://ufr-lsh.univ-reunion.fr/fileadmin/Fichiers/FLSH/BTCR/Publications/guide_auteur_BTCR.pdf.

En savoir plus : http://tropics.univ-reunion.fr/accueil/ .

 

               

 

[1] On considère que les définitions contemporaines de l’identité, qui s’intéressent à la façon dont l’individu perçoit sa place dans tel ou tel groupe et non plus à la façon dont le sujet dégage sa permanence, découlent largement des travaux d’Erik Erikson dans les années 1950 et 1960.

[2] Voir les thèses de Norbert Elias. Elias appelle « processus de civilisation » un phénomène, isolable dans l’histoire récente de l’Occident, qui correspond au passage de formes collectives à des formes individualisées. Pour Elias, la centralisation du pouvoir implique des transformations psychiques de grande ampleur.

[3] Dans Économie et société, Max Weber étudie l’élite lettrée du XVIIIe siècle. Celle-ci aurait de plus en plus pris ses distances avec ses communautés d’appartenance, s’en extrayant par l’exercice réflexif sans pour autant rompre avec elles. À long terme, cette éthique a promu un modèle de société fondé sur l’association des individus.

[4] Dans les différents volumes de l’Histoire de la sexualité (Paris, Gallimard, 1976-1984), Michel Foucault analyse les rapports entre l’éclosion des « arts de l’existence » – pratiques visant à la connaissance de soi – et les pouvoirs qui prennent en charge ces pratiques.

[5] Pour Jean-Claude Kaufmann, l’identité se définit comme le reflet des structures sociales dans un individu qui à son tour développe une réflexion sur ces dernières (Jean-Claude Kaufmann, L’Invention de soi : une théorie de l’identité, Paris, Pluriel, 2010, p. 48).

[6] Pour Dominique Maingueneau, tout énonciateur a besoin de construire son discours comme son propre espace, condition pour avoir « lieu d’être ». Ce discours est inscrit dans l’ordre social, dont il dépend par un ensemble de normes, tout en permettant à l’énonciateur d’y déployer sa propre subjectivité. Voir Dominique Maingueneau, Le Discours littéraire : paratopie et scène d'énonciation, Paris, Armand Colin, 2004. 

[7] Paul Ricœur considère que tout sujet, pour recréer sa cohérence au-delà de la diversité de ses états, doit se raconter à lui-même son existence : il fabrique ainsi son « identité narrative ». Voir Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, p. 137-198.