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Du village à la ville : représenter le va-et-vient en littérature de jeunesse / Del pueblo a la ciudad : representar el vaivén en la literatura juvenil (revue Ondina/Ondine)

Du village à la ville : représenter le va-et-vient en littérature de jeunesse / Del pueblo a la ciudad : representar el vaivén en la literatura juvenil (revue Ondina/Ondine)

Publié le par Université de Lausanne (Source : Esther Laso y León)

Appel à contribution pour le numéro 9 de la revue Ondina/Ondine

Du village à la ville : représenter le va-et-vient en littérature de jeunesse / 

Del pueblo a la ciudad : representar el vaivén en la literatura juvenil​ 

 

En France, le mouvement néorural commencé dès 1970, n’a cessé de croître. En 2010 l’exode urbain concernait « environ 110000 personnes par an contre 70000 pour l’exode rural[1]. Selon la même source, de 1970 à 2010, 4,5 millions de personnes étaient retournées vivre en zone rurale. Le développement des technologies de la communication et l’avancée de la couverture des réseaux de télécommunication sur le territoire ont favorisé l’émergence du télétravail. La prise de conscience environnementale et la vulnérabilité des grandes métropoles à la pollution et aux crises sanitaires semblent avoir accéléré le désir des Français de retourner vivre à la campagne[2].

Les auteurs de littérature de jeunesse ont à maintes reprises évoqué le va-et-vient de la campagne à la ville et de la ville à la campagne. La Comtesse de Ségur en 1863 a ainsi mis en scène les déconvenues de deux petits Bretons entichés de la capitale. Dans la dédicace à son petit-fils en tête du roman Les Deux Nigauds, la Comtesse exprime clairement ses réticences à l’égard de Paris :

« Mon cher petit, c’est à toi, bon petit habitant de l’excellente Bretagne, que je dédie l’histoire de ces deux nigauds qui préfèrent Paris à la campagne. Tu ne feras pas comme eux, car déjà Paris t’ennuie et la Bretagne te plaît. Reste toujours brave et loyal Breton, et garde-toi de devenir un Parisien frivole, moqueur, vain et inconstant »[3].

À l’époque, la révolution industrielle provoquait d’importants mouvements migratoires des campagnes vers les villes avides de main d’oeuvre. Et Paris attirait les notables provinciaux par sa vie sociale et culturelle.

Plus près de nous, c’est dans les années 1930 que Sarah Stewart (texte) et David Small (illustration) situent l’histoire de Lydia dans l’album intitulé Le jardin secret de Lydia. Lydia est une petite fille obligée de partir en ville chez son oncle à cause de la misère et du chômage qui frappe les zones rurales aux Etats-Unis[4]. Cet album publié pour la première fois en 1997 montre pourtant un changement de paradigme par rapport au rêve parisien des deux Nigauds, ici Lydia n’exprime aucun intérêt particulier pour la ville. Au contraire, en attendant de pouvoir rentrer chez elle, elle s’occupe de redonner vie à la terrasse et aux balcons de l’immeuble de son oncle en y plantant fleurs et légumes. La nostalgie de la campagne est ainsi omniprésente.

Au début du XXe siècle, enfin, les villes ont perdu leur attrait et les auteurs donnent vie à des personnages – souvent des adultes, ou des adolescents dans les dystopies – qui font le chemin inverse et décident de retourner vivre à la campagne malgré l’incompréhension, et parfois même l’opposition de leur progéniture. On pourrait citer Le bonheur est un déchet toxique de Manu Causse ou Les enfants de Noé, roman d’anticipation de Jean Joubert. Dans le domaine de la dystopie on pourrait également mentionner Nous sommes l’étincelle de Vincent Villeminot qui raconte l’histoire du repli d’un groupe de jeunes dans les forêts de Dordogne pour s’opposer au modèle social urbain et consumériste régnant. Ce qui n’est pas sans rappeler les communautés hippies des années 1970 et leurs héritières, les ZAD, présentes aussi en littérature de jeunesse.

Qu’en est-il en Espagne ? Les étrangers qui séjournent en Espagne s’étonnent souvent de la relation étroite qui unit les Espagnols à « leur village ». « Este verano, a la playa y luego al pueblo a descansar », « en mi pueblo se prepara de esta manera », « en mi pueblo se dice asi », entendent-ils fréquemment dans la rue[5]. Cette relation est scellée verbalement par l’emploi récurrent du possessif ou plus simplement de l’article défini qui montre bien qu’il n’existe dans l’esprit des locuteurs qu’un seul village possible : le leur.

Mais de quel village parle-t-on ? En réalité, il s’agit souvent du village des grands-parents, ou même des aïeux tout bonnement. La population espagnole s’est en effet massivement regroupée autour des grandes villes depuis la seconde moitié du XXe siècle. Aujourd’hui encore, les villages continuent de voir leur population permanente se réduire comme peau de chagrin et ne survivent que grâce au retour périodique de ceux partis chercher fortune en ville. Ces migrations ont provoqué des mutations sociales qu’il convient de prendre en compte. En effet, au moment de l’exode rural des années 1950-1960, des milliers de personnes ont quitté la campagne pour se regrouper en périphérie des villes. Au cours des deux décennies suivantes, les villages ont perdu un nombre considérable d’habitants et ceux qui sont restés, ont vieilli. Actuellement, la situation est telle que lors des dernières élections législatives, un parti politique a vu le jour pour défendre les intérêts de celle que l’on a nommée « L’Espagne vide ou vidée » : ¡Teruel existe ! Tout un programme, qui se passe de traduction.

Alors, lorsqu’un Espagnol évoque « son village », qu’éprouve-t-il exactement ? Sans doute de la nostalgie, car le village c’est pour tous les adultes espagnols un souvenir d’enfance généralement agréable : le lieu des vacances, de la liberté retrouvée, des parties de pêche avec le grand-père, des visites au potager avec grand-mère pour cueillir des tomates forcément exceptionnelles, etc. Il éprouve également un sentiment de sécurité puisque le village est le lieu de ses racines, où il peut se ressourcer et renouer avec son identité profonde loin des faux-semblants de mise dans son activité professionnelle citadine. Souhaite-t-il pour autant retourner y vivre de manière permanente ?

Le mouvement néorural est encore très timide en Espagne et, comme ailleurs, il est rarement lié au désir de reprendre le travail de la terre. Le mouvement sociopolitique qui réclame des mesures pour sauvegarder « L’Espagne vidée » prétend ainsi aussi récupérer les valeurs morales et sociales du monde rural pour faire face à la dégradation du monde urbain. Ce mouvement s’est renforcé dernièrement à cause d’une crise sanitaire qui a modifié les conditions de vie et de socialisation, impulsant de la sorte un début d’exode urbain. Les gens souhaitent de nouveau se rapprocher de la nature pour y trouver un refuge et des réponses aux défis actuels. Ces dernières années, la situation des villages abandonnés a éveillé l’intérêt de jeunes auteurs et plusieurs romans évoquant l’abandon des territoires ruraux ont été publiés avec succès (Intemperie, La España vacía, El canto del cuco, Tierra de mujeres, Los asquerosos). Mais qu’en est-il dans la littérature de jeunesse ?

De manière réitérée, les écrivains pour la jeunesse ont abordé la question des va-et-vient villes/campagnes. Jusque dans les années 1980, les auteurs espagnols comme Montserrat del Amo, Mª Luisa Gefaell, Juan Farias, Lolo Rico de Alba, Concha López Narváez ont raconté l’exode rural et la dépopulation des villages. Au XXIe siècle, d’autres récits comme La Voz del Valle (2015) de Ana Alonso invitent à penser un futur meilleur pour ces villages. D’autres encore, comme Cuando la luna llora (2019) d’Esperanza Fabregat ont recours au genre fantastique pour évoquer le retour au village des grands-parents.

Pour ce nouveau numéro de la revue Ondina/Ondine, nous voudrions inviter les chercheurs.es à se pencher sur le sujet, par exemple, dans une approche sociolittéraire pour mettre en perspective les représentations de la campagne et de la ville par rapport au contexte de publication des ouvrages et à l’évolution des mentalités. Pour sa part, une approche sociopoétique permettrait de repérer les procédés poétiques qui structurent ces représentations lors du processus de création littéraire, et qui contribuent à construire un faisceau de significations explicites et implicites. Enfin, une approche comparatiste pourrait mettre en évidence l’évolution des mentalités sur le sujet en diachronie, ou les variations en fonction des origines culturelles des auteurs.

Avant de proposer des pistes de recherche – non exhaustives, nous formulerons quelques questions auxquelles nous espérons que le numéro d’Ondina/Ondine apportera des éléments de réponse. Ainsi on pourra s’interroger sur le profil des personnages impliqués de manière volontaire/subie dans le déplacement de la campagne à la ville ou inversement : cela concerne-t-il des adultes ou des enfants ? Plutôt des personnages féminins ou masculins ? Quelles conséquences cela a-t-il sur l’histoire, sur l’argumentation ? Ce déplacement obéit-il à une décision individuelle inscrite, ou pas, dans un mouvement collectif ? Exprime-t-il davantage une volonté d’échapper à une situation (cadre ou mode de vie) ou une quête d’une vie meilleure ? Dans ce dernier cas, quel est éventuellement le rapport entre la représentation idéalisée de l’objet de la quête et la réalité rencontrée ? Le changement de lieu de vie est-il planifié, préparé ou fait-il suite à une décision impulsive ? De quelle manière ce changement modifie-t-il le mode de vie des personnages, la nature des relations familiales ou, plus largement, la nature des relations à autrui ?...

On pourra ainsi mettre en perspective des modèles de représentations du va-et-vient campagne/ville ; comparer ceux qui correspondent à un déplacement vers les villes et ceux qui renvoient au chemin inverse ; faire une lecture des textes pour analyser la transformation du mode de vie (habitat, travail, tâches quotidiennes, etc.) et repérer les éléments de critique sociale (gestion du temps, alimentation, pollution, consumérisme, individualisme, etc.) ; étudier les projections imaginaires que les personnages se font du lieu de destination et, éventuellement s’intéresser aux réalisations utopiques présentes en littérature de jeunesse (des villes ouvrières aux campements hippies et aux ZAD).

Finalement, nous souhaitons remercier la directrice de la revue Ondina/Ondine, Mme. Elvira Luengo Gascón, de nous avoir confié l’édition de ce numéro.

María Victoria Sotomayor, Universidad Autónoma de Madrid, Coordinatrice du groupe de recherche LIJEL (UAM)

Esther Laso y León, Universidad de Alcalá, Membre du groupe LIJEL

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Les propositions d’article (400 mots) en espagnol ou en français, accompagnées d’une brève bibliographie et de 5 mots clés doivent être envoyées avant le 8 janvier 2021 en fichier .DOC à l’adresse ondinaondine@gmail.com, et en copie aux adresses suivantes : mvictoria.sotomayor@uam.es pour les propositions en espagnol et esther.laso@uah.es pour celles en français, en précisant dans un fichier séparé le nom de l’auteur, son courrier électronique et une brève biobibliographie. Les contributeurs seront informés de l’avis du conseil de rédaction et du conseil scientifique de la revue fin janvier 2021.

Les articles des propositions retenues seront à envoyer pour le 15 juillet 2021 en respectant les consignes de la revue qui peuvent être consultées à cette adresse : https://papiro.unizar.es/ojs/index.php/ond/about/submissions. Les articles seront expertisés en double aveugle. Ils ne devront pas dépasser les 30000 signes, espaces compris.

Publication prévue au cours du 1er semestre 2022.

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Eléments de bibliographie :

Alonso Ana, La Voz del Valle, Madrid, Anaya, 2015.

Causse Manu, Le bonheur est un déchet toxique, Paris, Thierry Magnier, 2017.

Cedillo Jaime, “La alianza del hombre y la tierra, germen de una nueva literatura rural”, en El Cultural, 29 agosto, 2016. En línea: https://elcultural.com/La-alianza-del-hombre-y-la-tierra-germen-de-una-nueva-literatura-rural

Collot Michel, Pour une géographie littéraire, Paris, Ed. Corti, 2014.

Comtesse de Ségur, Les deux Nigauds dans Oeuvres complètes, volume 3, Paris, Robert Laffont (collection Bouquins), 1990.

Desmares-Poirrier Claire, L'exode urbain : manifeste pour une ruralité positive, Mens, Terre vivante (Champs d’action), 2020.

Duby Georges, Wallon A. (dir.), Histoire de la France rurale, tomes 3 (1789-1914) et 4 (1914-1974), Seuil, 1981.

Escarpit Robert, Sociologie de la littérature (réédition en accès libre), Socius, 2015. Lire : http://ressources-socius.info/index.php/reeditions/17-reeditions-de-livres/173-sociologie-de-la-litterature / Sociología de la literatura, Barcelona, Oikos-Tau, 1971.

Fabregat Esperanza, Cuando la luna llora, Barcelona, Edebé (Periscopio), 2019.

Goldmann Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964 / Para una sociología de la novela. Madrid, Ciencia Nueva, 1967.

Hamon Philippe, Texte et idéologie, Paris, PUF, 1997.

Joubert Jean, Les enfants de Noé, Paris, L’école des loisirs, 2000.

Laurichesse Jean-Yves, Lignes de terre Écrire le monde rural aujourd’hui, Paris, Classiques Garnier (Bibliothèque des lettres modernes), 2020.

López Narváez Concha, El amigo oculto y los espíritus de la tarde, Ilust. de Teo Puebla, Madrid, Noguer, 1984.

Mathieu Nicole, Les relations villes/campagnes. Histoire d’une question politique et scientifique, Paris, L’Harmattan (Logiques sociales), 2017.

Merlin Pierre, L’exode urbain De la ville à la campagne, Paris, La Documentation française, 2009.

Molino Sergio del, La España vacía: viaje por un país que nunca fue, Madrid, Turner, 2016.

Montandon Alain, «Sociopoétique», Sociopoétiques [En ligne], n°1, mis à jour le : 03/07/2019. URL : http://revues-msh.uca.fr/sociopoetiques/index.php?id=640

Rio Yves « La relation ville/campagne dans la littérature de science-fiction », revue Le Déméter, Paris, 2013, p.241-258.

Rouvière Catherine, Retourner à la terre. L'utopie néo-rurale en Ardèche depuis les années 1960, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2015.

Steinbeck John Les raisins de la colère, Paris, Gallimard (Folio), 1984 (1939, 1ère édition en anglais) / Las uvas de la ira, Madrid, Alianza Editorial, 2019.

Stewart Sarah (auteur) et Small David (illustrateur), Le jardin secret de Lydia, Paris, Syros, 2006 (1ère éd. en anglais, 1997).

Viard Jean, Marié Michel, Hervieu Bertrand, Le sacre de la terre, La Tour d’Aigues, Ed. de l’Aube (Grand Format), 2020.

Villeminot Vincent, Nous sommes l’étincelle, Paris, Pocket jeunesse, 2019.

 

 

[1] Antoine Blouet, « Interview de Pierre Merlin », Maires de France, déc. 2010, p. 16-17.

[2] Voir tous les articles sur le sujet publiés pendant le 1er semestre 2020. Par exemple, l’article de Marion Cocquet « Exode urbain, la vie en vert » publié le 13 juin 2020 dans l’hebdomadaire Le Point ou celui de Mayra García Bermúdez “Éxodo urbano” publié dans La Voz de Galicia le 13 de mai 2020.

[3] Comtesse de Ségur, Les deux Nigauds dans Oeuvres complètes, volume 3, Robert Laffont collection Bouquins 1990, p.340.

[4] Cet album rappelle le contexte décrit par John Steinbeck dans Les raisins de la colère.

[5] « Cet été, nous irons à la plage, puis au village pour nous reposer. Dans mon village on le cuisine de cette manière. Dans mon village, on l’appelle ainsi (un plat, un objet, une coutume, par exemple) ». Notre traduction.