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Anthtropologie et sémiotique des camps. L’expérience et la narration

Anthtropologie et sémiotique des camps. L’expérience et la narration

Publié le par Marielle Macé (Source : Katre Talviste)

Appel à communications

ANTHROPOLOGIE ET SÉMIOTIQUE DES CAMPS ET DES DÉPORTATIONS
L'expérience et la narration

Colloque international
Université de Tartu (Estonie), les 18 et 19 mai 2007

Date limite d'envoi des propositions : 10 avril 2007

Comment raconter (et analyser) des expériences aussi terribles, aussi traumatisantes, que les déportations et les camps de concentration ? Derrière cette question en apparence simple se cachent des thèmes anthropologiques et sémiotiques complexes. Les histoires de camps et de déportation sont racontées par des survivants qui entendent témoigner et faire ainsi en sorte que la mémoire des faits vécus soit transmise aux générations futures, pour éviter que les événements tragiques tombent dans l'oubli de l'histoire. Dans ces récits de survivance, on représente des vies et des expériences concrètes, mais cette communication passe inévitablement par une expression codifiée qui prend souvent une forme littéraire très raffinée et élaborée. Si la vérité des faits est évidemment incontestable, il faut pourtant se demander de quelle manière des expériences si extrêmes se traduisent par une narration qui tend à acquérir la structure d'un véritable genre. Quelles sont les structures récurrentes de ces récits de survivance ? Y a-t-il une similitude entre ce type de récit et des formes plus traditionnelles de littérature ? Par exemple, chez Jean Geoffroy (Au temps des crématoires…), déjà dans la préface on ‘informe' le lecteur que l'objectif principal de l'auteur est le ‘discours de la vérité et que la mémoire personnelle est un instrument de récupération de la réalité. Le réalisme de Geoffroy est comparable, d'un point de vue narratif, aux romans de Balzac ou, même, au naturalisme de Zola. Dans son récit, Geoffroy commence par un incipit qui met en relief le contexte spatial et temporel : « Le 7 août 1943, j'ai été arrêté par la Gestapo en gare d'Avignon ». Cette perspective réaliste de Geoffroy peut être mise en contraste avec la démarche plus ‘subjectivante' de Jorge Semprun qui dit clairement que « Raconter bien, ça veut dire : de façon à être entendus. On n'y parviendra pas sans un peu d'artifice. Suffisamment d'artifice pour que ça devienne de l'art ! » (Semprun, L'Écriture ou la vie).

Quelle dimension est la plus efficace pour communiquer une expérience terrible et traumatisante, la dimension objectivante (Geoffroy) ou la dimension subjectivante (Semprun) ? De quelle manière le ‘littéraire' et le ‘non-littéraire' se mélangent-t-ils dans les récits de survivance ? Et encore : quelles sont les formes d'énonciation qui prévalent dans les récits de survivance ? Si certains auteurs, pour arriver à exprimer l'indicible, ont recours à la force émotive de la dimension subjectivante du narrateur-témoin (ou, au contraire, à la force réaliste de la dimension objectivante), il y a aussi des cas où le sujet de l'énonciation essaie de s'effacer pour mettre en relief la voix collective des survivants. Un exemple est constitué par le texte Au coeur du système concentrationnaire nazi, où les expériences personnelles des sujets se dissolvent pour mieux représenter la communauté des survivants : « Au-delà de ce que chacun peut relater de son expérience personnelle, seul un ouvrage collectif comme celui-ci est susceptible, pensons-nous, de donner une approche globale de la réalité vécue par les Français » (Sachso, Amicale d'Oranienburg Sachsenhausen, Au coeur du système concentrationnaire nazi). Geoffroy, Semprun, Sachso ne sont que quelques exemples d'une vaste possibilité d'expression de faits qui sont thématisés, d'un point de vue narratif, sous le nom de ‘témoignage', ‘survivance', ‘mémoire', ‘camps', ‘déportation', ‘génocide', etc. Si la thématisation nominative est déjà intéressante en soi parce qu'elle souligne un aspect de la question, nous voudrions en outre mettre l'accent dans ce colloque sur des éléments centraux tels que : le rapport entre l'expérience (insaisissable en soi) et la narration (une forme de codification qui se dépose dans l'écrit, le visuel, le filmique, etc.), l'acte de parole individuelle et la représentation d'une collectivité, l'impersonnalité de la narration transparente et objective et la charge des émotions et de la souffrance, la communication des faits vécus et l'indicibilité du mal, la perte et la récupération de l'identité individuelle du narrateur-témoin, le rôle joué par le filtre de la mémoire, les lieux stratégiques des récits des camps (par ex. l'incipit et l'excipit) et la spécificité de la matière narrative, etc.

D'un point de vue sémiotique et anthropologique, les récits des camps amplifient des dichotomies qui existent déjà dans des genres littéraires et dans notre culture : le référent extérieur et l'organisation interne, la vérité mimétique et la structure narrative, la réalité et la convention, l'expérience et sa codification. La spécificité des récits de camps réside dans l'effort des auteurs de concilier ces oppositions, malgré l'affichage d'une indicibilité de fond. ‘Dire une expérience' qui est considérée comme ‘indicible' n'est qu'une des oppositions qui caractérisent le témoignage : « Comment nous résigner à ne pas tenter d'expliquer comment nous en étions venus là ? […] Et cependant c'était impossible. À peine commencions-nous à raconter, que nous suffoquions. À nous-mêmes, ce que nous avions à dire commençait alors à nous paraître inimaginable » (Antelme, « Témoignage du camp et poésie », Le Patriote résistant 53). Les récits des camps, d'une manière ou d'une autre, produisent une combinaison de ces oppositions. L'étude approfondie de ces traits est pertinente aussi bien pour la sémiotique que pour l'anthropologie. La codification sémiotique des événements est évidemment importante afin de saisir le cours même de l'histoire. Du point de vue anthropologique, la question centrale est de réfléchir sur la manière dont les formes d'humanité (et de non-humanité) sont conçues, hiérarchisées, imposées, tolérées, etc. Les événements liés aux camps, aux génocides, à la guerre et à la violence demandent, même en négatif, une définition minimale de la culture et de l'homme. Dans ce but, les contributions de spécialistes de disciplines différentes (sciences du langage, sciences de la culture ou autres) sont particulièrement bienvenues.

Organisation :

Section d'études françaises du département de langues et littératures germaniques et romanes de l'université de Tartu. Avec le soutien de la Fondation estonienne pour la recherche (Subvention n° 6791 et Subvention n° 6466) et du Centre culturel français de Tallinn.

Comité d'organisation :

Licia Taverna, Eneken Laanes, Jean Pascal Ollivry, Stefano Montes

Informations pratiques :

Date limite d'envoi des propositions de communication :
10 avril 2007.

Résumé de la communication : 250-300 mots.

Langues de travail : français, estonien et anglais (un service d'interprétation français-estonien et estonien-français est assuré).

Durée des communications : 20 minutes.

Envoi des propositions et autres renseignements :

Licia Taverna (licia.taverna@tiscalinet.it)

La participation au colloque est gratuite aussi bien pour les intervenants que pour le public. Les actes du colloque seront publiés dans la revue Studia Romanica Tartuensia.

  • Responsable :
    Licia Taverna
  • Adresse :
    Université de Tartu (Estonie)